Aujourd’hui, le couvre-chef est, dieu merci, au vestiaire, comme le souvenir (peut-être) des années Veyrat, n’était-ce l’épisode des couteaux jetés à terre par le grand Marc et l’exigence : l’impérieuse et terrible exigence de certains grands chefs. Avec laquelle on ne transige pas.
Il y a quelques années, piégé peut-être par un journaliste, Edouard Loubet déclarait au Canard enchaîné à l’occasion d’un hors-série ironiquement intitulé « Qu’est-ce qu’on déguste » :
« On est cent vingt maisons dans le monde à être à ce niveau, cela implique une exigence sans faille. On doit d'abord apprendre aux jeunes à s'habiller, se raser et arriver à l'heure. Et pas de ouais, on apprend à dire oui. Ici on éduque les gens. S'ils comprennent ils restent, sinon tant pis pour eux. J'ai des jeunes à qui je dis trente fois « Connard » dans la journée mais qui m'adorent… »
Je n’étais pas très rassuré, donc, en débarquant ici… Sur le parking, j’ai échangé mon t-shirt Free Tibet contre un polo plus smart.
J’ai gardé en revanche mes leggins de grimpe Cassin (ma marque fétiche) car j'arrivais de Buoux, juste à côté… Etais-je rasé ? Je ne m’en souviens plus…
Mais j’avais mon joker, mon égide : elle, toujours aussi belle, le regard perdu au loin, parmi les bouquets de lavandes, les cyprès, les paillettes d’or qui ajourent les collines. Elle qui aime tant les plantes sauvages comestibles ! Un instant, j’ai cru en faire partie…
Tu dois absolument lire David Servan-Schreiber ! a-t-elle susurré à ce moment, faisant remarquer également que nous devrions déjeuner à l’intérieur car le mistral soufflait trop fort.
Tiens, pendant qu’elle me parle du ratio 1/1 entre l'apport d'oméga-3 et d'oméga-6, arrivent les mises en bouche : anchoïade et légumes croquants ; cromesquis d’agneau ; soupe de melon et green power : une infusion de sauge, cardamome, thym, romarin.
Visiblement, elle adore cette véritable petite bombe de jouvence ! Moi aussi, ça tombe bien !
On passe à table. Le chef vient nous saluer. C’est un bouillonnant, un inquiet qui le cache bien, une marmite glaciaire qui vous amène une brise acérée des montagnes.
Il voudrait savoir, le chef, qui nous sommes, d’où nous venons, comment nous sommes arrivés ici ? Je ne vais pas lui faire un cours sur Gauguin. Je le lui dirai tout à l’heure. Quand elle aura fini de m’expliquer les vertus du thé vert, du herbes aromatiques, du curcuma et de tous les fruits qui favorisent l’apoptose des cellules…
J’attends, je devine, j’espère la suite…
Le menu d’un déjeuner d’exception
Soupe de melon au vinaigre de vin rouge
Du déjà vu ? Du cliché ? Pas tout à fait : une grande simplicité et une construction, par association, sur quatre ingrédients (vinaigre et vin rouge aromatisé), très pure, très élégante.
Ecrevisses & Santoline à l’écume de glands de chêne torréfiés et sous-bois
Le moins enthousiasmant des plats de ce déjeuner mais ça reste très bon.
Sorbet céleri à la vodka
Percutant en diable. De petites salves gustatives, bien ajustées. Une association intelligente.
Lapin confit à l’achillée mille-feuilles, purée mona-lisa, amandes croquantes et navet
Très grand plat. Extatique. Un lapin en trois cuissons. 1. Bouillon, vin blanc, vinaigre, achillée, condiments, jour J-2, 65 degrés, une heure. 2 Jour J-1, dépiauté, confit, toujours à basse température. Jour J-0 : envoyé et c’est gagné. Superbe de subtilité, de justesse, d’élégance. Digne d’un très grand ! Pour un déjeuner, c’est royal ! Et cette sauce infinie à l’achillée, puissance contenue, oh tous ces mondes et ces noms : herbe de la Saint-Jean, herbe à dinde (pourquoi pas à lapin ?), herbe aux cochers, sourcil de Vénus.
Telle l’arcure émouvante de son regard au moment où elle associait le tout. Avec un verre de Domaine de Montcalmès 2005 qui, pour le coup, a sorti le grand jeu, oui, le très grand jeu !
Soufflé au Cèdre des crêtes du haut Luberon et mendiants
Les cèdres ont colonisé une partie du paysage ici, suite à l'intuition de quelques visionnaires. Modification du biotope et 150 ans plus tard un soufflé balsamique, protéiforme, en style de révélation.
Et pour conclure une infusion de sauge, thym et romarin au miel d’acacia et eau de vie de framboise.
Essayez : c’est magique ! On est sur des frontières sereines et ça remplace bien de médiocres arabica.
J’ai vu s’illuminer son visage, dans son regard sourdre des étoiles. Voulez-vous que je vous dise ?
Pour finir, elle m’a tressé ce compliment en forme de question : dis, on reviendra ici, hein ?
Les prix le menu tel qu’il figure ci-dessus est à 58 E. Autres menus à 140 et 190 E.
Carte des vins intéressante, assez classique. Ne vous attendez pas y faire de grandes découvertes mais elle est, m’a-t-on assuré, en train d’être remodelée… Il y manque quelques grands noms. Dont les vins de mon ami Michel Tardieu, tout proche. Mais ça, c’est une autre paire de manches comme on disait en 1611 et des poussières…
Beau choix de vins savoyards. C’est (presque) normal, vu l’ascendance d’Edouard Loubet.
Les prix des vins chérots, chérots… Le service du vin et, notamment, la gestion des températures de service n'est pas à la hauteur des prix demandés.
L’adresse La Bastide de Capelongue, 84480 Bonnieux-en-Provence. Service réservation : +33 (0)4 90 75 98 52 – Mail : reservation@capelongue.com
11 Comments
Jacques,
Belle maison que la Bastide de Capelongue!
Je n’ai pas vu terminé le village construit de l’autre coté de la route, avec le pigeonnier, la piscine et la bergerie. Ce doit être magnifique.
Oui, Edouard est savoyard d’origine.
Madame Loubet était du tout début de la création de Val Torrens, en construisant l’hôtel Fitz Roy, avec François Prudent qui habite Cevins maintenant.
En plus, Edouard a épousé Isabelle, la fille de Marie Ange Veyrat aux Chalets de la Croix Fry.
Deux familles de vrais professionnels de l’hôtellerie et de la restauration qui ont toujours construit et avancé.
Bonne fin de vacances.
Michel.
Petit détail qui a tendance à me faire tiquer: les "assiettes" en ardoise, qui font déjà un peu éculées…
Mais ce lapin avait effectivement l’air magnifique!
Et quant on pense que tout cela venait couronner une séance d’escalade à Buoux, que demander de plus? Buoux reste une falaise formidable, avec une grosse valeur sentimentale pour moi puisque j’y avais réussi mon premier 7a (la mythique TCF).
Jacques, un petit billet sur tes ascensions un de ces jours? Et quand allons nous grimper ensemble 😉
François
François, voilà une raison supplémentaire pour retourner dans le secteur… Le Pilier des fourmis pourquoi pas ? A vrai dire, l’intérêt des grimpeurs s’est un peu déplacé et Buoux est passé de mode. Aujourd’hui, c’est plutôt la falaise de Lourmarin, et, plus loin, St-Léger du Ventoux ou les gorges du Verdon qui rameutent les amateurs de score cards. Les temps changent…
Et puis, non loin de là, il y a aussi La mythique Fenière (dont je n’ai pas parlé cette fois-ci) avec une carte des vins à tout casser ! Y es-tu déjà allé ?
Buoux passé de mode? Quel dommage… ou plutôt quelle chance, pour en profiter encore plus au calme.
J’irai donc y faire un tour dès que possible (c’éait prévu), avec un passage à la Fenière, que je ne connais pas!
Et puis un passage à Orpierre, mon autre Mecque de la grimpe sudiste!
Comme toi, celà fait quelques années que je n’avais plus grimpé (en falaise au moins, la salle restant la seule alternative du citadin débordé). L’appel se faisait trop pressant, j’ai repris ma corde et mes dégaines il y a 10 jours…
Salut Jacques,
the lapin looks like raw. Of course, this can´t be the case……..seulement poché?
à bientot,
Martin from Berlin
Jacques :
you know that Martin is a pure high level chef in Berlin ! Carefull with your explantion !
Baci,
Grand Jacques :
Revu à la TV en Allemagne ce film UK complètement dingue de 2 zozos qui ont fait une grimpette "première" au Chili.
Beaucoup pensé à toi.
Et là, j’apprends que notre François R, homme placide et modéré s’il en est, diplomate pouvant briguer l’ambassade du Vatican à moins de 30 ans, est un fondu de Buoux !
Sachez, jeunes gens, que vous étiez en culottes courtes quand je me baladais là-bas, lors de ma 4ème année de sciences éco : 1968 . Le seul millésime où on passait les oraux bronzé comme c’est dieu pas permis.
Il y avait là une auberge assez dingue où on participait aux travaux culinaires avant de s’engoncer, tôt le matin, dans un sac de couchage à même le sol. … du temps du mexicain…
Et Camus qui dormait là, à côté, tout sage, à Lourmarin.
Yes, Martin, seulement poché, but 3 differents cookings (you have the description in the post).
François à Lourmarin, à l’âge où nous étions en culottes courtes, j’eusse aimé voir cela. Et mai 1968, tout bronzé… Ah jeunesse !
Quelle beauté que Buoux!
Pour les amateurs de grimpe, je conseille les petites falaises delaissées du Grozeau (près de Malaucène)!
Pas beaucoup de voies, mais quelle merveille au coucher du soleil!
En revanche, c’est dur et surcôté…
Jacques, vous êtes toujours attendu à Châteauneuf(du Pape). Mais venez plutôt en automne ou en hiver. Les vins sont plus à propos.
Merci pour ces précisions Hortense ! Vous ne m’aviez pas dit que vous pratiquez l’escalade…
Dites, si c’est surcôté à Grozeau, ça doit donc être plutôt facile, non ?
Non, je me suis trompée. C’est l’inverse, c’est souscôté. C’est donc très dur!
Je pratique en effet l’escalade, mais surtout comme un moyen pour faire de la haute montagne.