Après avoir failli disparaître, elle retrouve aujourd’hui une seconde jeunesse grâce à ses meilleurs interprètes qui permettent de redécouvrir ses mérites. On citera notamment son faible pouvoir alcoogène et aussi sa grande singularité gusto-olfactive. On aime ses notes résineuses, poivrées, réglissées, pouvant tirer vers les agrumes, la violette et le kirsch ; mais aussi ses tanins croquants et frais, sa « végétalité » noble pouvant aller vers une finesse et suavité tannique remarquable, lorsqu'elle est cueillie à maturité phénolique complète. Et vinifiée avec doigté !
Son berceau est sans conteste la Savoie. Mais on la retrouve aussi dans l'Isère, l'Ain et le Jura. Elle est bien évidemment présente en Suisse, dans les cantons de Vaud (vignobles de Lavaux et Chablais principalement), mais elle reprend vigueur à Genève (1 ha) où elle fut jadis largement cultivée. Avant d’être interdite. On la trouve aussi de façon quasi anecdotique en Valais. La mondeuse est cultivée également en Californie et en Oregon sous le nom de Refosco, en Sicile (Cottanera), Argentine, Australie et Nouvelle-Zélande. Cépage vigoureux et naturellement productif, il est particulièrement bien adapté aux climats montagnards et assimilés. Il semble d'ailleurs donner ses meilleurs résultats dans les éboulis calcaires et les terrains schisteux, mais il a surtout besoin de soleil et des meilleures expositions pour mûrir complètement, à l'instar du nebbiolo transalpin, par exemple.
Treille de mondeuse chez Henri Chollet, le 18 novembre 2010.
Dans les années 70, 80 et même 90, la mondeuse effrayait nombre d'amateurs, qui redoutaient son acidité et sa prétendue rusticité. La faute à des rendements trop généreux, des vendanges trop précoces et des vinifications imprécises. Elle traînait derrière elle une vieille réputation de « vin de musette », à couper à l’eau ou à la piquette, comme on peut l’entendre dans la bouche de Jean-Louis Simon, directeur retraité des Stations fédérales de viticulture, orateur hors pair.
Heureusement, les choses ont changé. Les progrès de la viticulture de ces dernières années nous permettent aujourd’hui de goûter des vins bien plus agréables et aboutis. Lors de la dégustation de mercredi dernier, les vignerons présents étaient eux-mêmes assez étonnés du bon niveau global.
Voici mes coups de cœur…
Genève, Mermoud Père & Fils, Mondeuse de Lully 2009. Oeuvrant depuis de nombreuses années pour la renaissance et notoriété du vignoble genevois (et du coteau du Lully), Luc Mermoud a décidé au début des années 2000 de remettre la mondeuse à l’honneur, cet ancien cépage genevois longtemps banni. Aidé de son fils, il la traite comme un grand vin et parvient à lui donner en 2009 des accents sophistiqués séduisants : notes de fruits noirs, boisé fin, bouche ample, généreuse et solaire, dans le tons du millésime, mais sans exagération ni vulgarité.
Lavaux, Domaine des Rueyres, Mondeuse noire 2008 et 2007. Personnage plein de bonhomie, heureux de faire du bon vin, l’artisan Jean-François Cossy cisèle des mondeuse particulièrement soignées et stylées, donc les accents fumés plairont aux aficionados de syrah. La version 2008 offre un niveau de maturité et pureté unique pour le difficile millésime, rehaussée d’un élevage sous bois chic mais respectueux. Son ainée de un an, 2007, est superbe avec ses notes de poivre, d’ambre et d’agrumes, elle est construite sur des tanins de grande finesse. Un délice !
Yvorne, Domaine Mayencourt, Mondeuse du Globe 2009 et 2007. Marcel Mayencourt est la mémoire vivante de la mondeuse en Suisse. Octogénaire gaillard aujourd’hui aidé de son fils Marco, il la cultive depuis presque toujours avec un maximum d’amour, mais en produit à peine 250 bouteilles par an ! Quand les collègues arrachaient leurs plants, lui bichonnait les siens, prenait tous les risques pour vendanger à maturité totale (parfois en novembre), et élevait son vin avec humilité en cuve « pour ne pas le marquer, pour respecter sa pureté ». Le résultat ? Un millésime 2009 sur les fruits à l’eau de vie rappelant les meilleurs rouges valdotains voisins, avec une bouche pleine de (beaux) tanins et de potentiel. Quant au 2007, il est parfait à boire aujourd’hui, avec ses parfums d’agrumes et fruits exotiques pouvant rappeler les plus grands crus beaujolais, un vin de grand style.
La Mondeuse du domaine Mermoud à Lully (Genève)
Savoie, Domaine du Prieuré St Christophe, Mondeuse Prestige 2004 et 1997. Avec son collègue Louis Magnin présent ce jour là, Michel Grisard est sans doute le vigneron savoyard le plus emblématique du cépage mondeuse. Depuis 1985, malgré les quolibets décrétant que son cépage fétiche ne ferait jamais mieux que désoiffer les ouvriers viticoles, Michel n'a jamais cessé d'y croire et a voulu montrer tout le potentiel du cépage : viticulture biodynamique, petits rendements, travail des sols, cuvages longs et parfois même en grappes entières, et enfin élevages prolongés, en fûts ! Pour goûter la quintessence de son travail, voici sa Mondeuse Prestige 2004, un essence de fleurs à la douceur tannique et à l’allonge aromatique incroyable. La même cuvée, dans un millésime plus ancien (1997) ressemble aujourd’hui à une grande syrah avec ses notes de violette et réglisse, aux tanins assagis et savoureux.
Dans la cave d'Henri et Vincent Chollet.
Je signale enfin que dans le millésime 2009, les cuvées Vin du Bacouni et Les Treilles de Valérie, produites par Henri et Vincent Chollet (domaine Mermetus), sont des vins splendides de précision, de justesse et d’expression, malheureusement épuisés au domaine, mais présents sur les meilleures tables. Ainsi qu'au CAVE !
Encore bravo et merci à la famille Chollet pour cette manifestation organisée dans un esprit convivial et passionné, afin de célébrer un cépage peu banal mais très attachant. Nous en reparlerons prochainement au CAVE, au cours d’une soirée consacrée aux vins et cépages rouges de l’Arc alpin !
18 Comments
Un cépage sur le cassis et le poivre (mais moins que sur un pineau d’Aunis), rappelant la syrah. Souvent un peu rustique.
Une de mes plus belles rencontres :
Chignin Mondeuse A&M Quénard VV 2007
J’avais hésité entre syrah du Rhône Nord et vin continental suisse.
En 2000, la Mondeuse, B. et M. Grisard "Prieuré Saint-Christophe" tradition 1996 m’avvait paru un peu dominée par son acidité.
Magnifique présentation de la Mondeuse – vraiment bravo à son auteur.
La vidéo de J.-L. Simon vient encore compléter ce cépage qui devient grandiose.
J’ai dégusté les Mondeuses des Les fils de Charles Trosset (Arbin). J’ai adoré.
Jacques, croyez-vous que l’auteur de ce bel article permettra qu’on le fasse figuré dans Vinissime ?
Amitiés, Philippe.
Bien sûr, Philippe, il faut l’intégrer dans Vinissime !
Bonjour Philippe, merci pour le petit mot. Oui, bien sûr, sans souci et même avec plaisir !
Cette dégustation a été un grand moment pour moi, ça fait plaisir de voir comment et combien ce vin de Mondeuse a évolué, en deux décennies! Il est vrai, que 2009 a été une année bénie, pour le vin et encore plus, pour la Mondeuse qui est un cépage tardif. Ce cépage peut faire de très beaux vins de soif et surtout de vrais vin de gastronomie. Il faut savoir que sont degré reste entre 10° et 12°, même avec de petits rendements (Exception pour 2009, une parcelle sur Arbin à 12,5, tout comme chez Louis Magnin), mais ce degré entre 11,5 et 12 lui va bien. Cet après midi, j’ai ouvert une bouteille de 84, un des plus petits millésimes de ma carrière.La couleur est bien restée rouge, même si le disque est orangé. Le 1er nez est très évolué, cuir, sacristie, un peu poussière. A l’aération, le vin revient bien, sur les épices et le végétal, un beau végétal. Alors en bouche, la fraicheur est présente et le fruit est bien là, un peu tendu. c’est encore du vin! Mais, il n’aura jamais ce que la saison ne lui a pas apporté dans la vigne. Ouvertes également, 2 bouteilles de + de 15 ans, sur de beaux millésimes: ça fait plaisir.
En conclusion, un mot de Nicolas sur la Mondeuse: un vin moderne, frais, désaltérant, pas trop d’alcool, et je rajouterais, avec un très grand potentiel…
Michel Grisard, Ce que vous dite du titre de la Mondeuse se disait jusqu’à il n’y a pas si longtemps du Cabernet médocain…
Ce que vous dites…
Bravo pour l’article Nicolas Herbin.
12°, le cabernet dans le Bordelais?
Je préfères 37°2 surtout le matin 🙂
Et voilà le salace, version ABM ! Mais où va t’on ?
Grand Jacques et Nicolas : votre pote Belluard m’a dit avec beaucoup de fermeté que la mondeuse, sa mondeuse, est un vin qu’il faut impérativement oublier pour au moins 5 ans en cave.
Comme sa cuvée "Feu".
J’apprends qu’il en fait. Je la goûterai volontiers à l’occasion, de toute façon, il faut que j’aille le voir ! Merci François.
Que voilà une citation de semaine bien almée…
Oui, François, Dominique a planté un peu de Mondeuse. Les vignes sont encore jeunes. Les premières cuvées laissaient beaucoup d’espoir. Je n’ai pas dégusté 2009 – 2010 mais mon petit doigt m’a dit que s’était super! Et je crois même, qu’il a fait une cuvée, dans un œuf.
Pour la Mondeuse, l’essentiel est de maitriser le rendement, et de lui laisser du temps. Bien sur, il y a les adeptes de la Mondeuse jeune et facile… Il en faut pour tous les gouts.
Alors jeune et facile, la blanche Irlandaise, sur la guitare réclame l’oubli, puisque les derniers masques crurent, encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !
Michel :
Ceci dit, Dominique a ajouté aussitôt ce que tu dis : ce sont des jeunes vignes, et il va falloir patienter qq années pour qu’elles soient au top et ensuite attendre que le vin soit aussi à son optimum. grosso modo, on est parti pour dix ans 🙁
François, 10 ans, il faut bien ça, mais la décennie n’est pas l’échelle de mesure du vigneron, c’est l’année, le millésime, un vin seulement tous les ans. Les cuisiniers ont plus de chance que nous.
J’ignorai totalement que la syrah provenait de la mondeuse. Merci pour cette info utile à connaitre dans les moments de dégustation
Oui mais …. la Mondeuse d’aujourd’hui a perdu son caractère terreux presque gentiane. On ne trouve plus que des mondeuses qui pourraient être du gamay! Dommage