Arbois est un nom mondialement connu. Il provient du celte « ar » et « bos », signifiant « terre fertile », un qualificatif qui sied particulièrement bien à ce terroir. En 1285, le vin d’ici est déjà connu puisque le Comté de Chiny en offre à ses invités lors du tournoi de Chauvency. Plus tard, l’appellation devient la première AOC française. Joseph Girard est en effet désigné pour représenter le dossier du vignoble d’Arbois au comité national des appellations d’origine, avec la publication du décret de loi du 30 juillet 1935, instituant les AOC. Il obtient la première classification le 15 mai 1936, en concomitance avec Châteauneuf-du-Pape, Tavel, Cassis et Monbazillac.
Aujourd’hui, Arbois est aussi la première AOC du Jura, de par son volume de production. Elle est répartie sur 12 communes, avec un total de 800 hectares, soit presque la moitié du vignoble jurassien. Les cinq cépages autorisés dans la région peuvent prétendre à l’AOC, qui produit environ 70% des vins rouges et 30% des blancs. Les rouges dominent en terme de surface et de production sur ce terroir de plus en plus favorable à cette couleur. Dans un relief tourmenté comportant des éboulis calcaires, le sol se compose majoritairement de marnes irisées très profondes, argilo-siliceuses et compactes. Parmi les autres villages de l’appellation figurent : Abergement-le-Grand, Les Arsures, Mathenay, Montigny-les-Arsures, Mesnay, Molamboz, Les Planches-près-Arbois, Pupillin, Saint-Cyr-Montmalin, Vadans et Villette-les-Arbois.
Qui dit Arbois dit aussi Louis Pasteur, la maison et la vigne du scientifique témoignant de sa présence passée dans le Bourg. Pasteur est revenu sa vie durant dans cette maison, qui est d’ailleurs la seule qu’il ait jamais possédée. C’est ici qu’il a mené ses travaux sur les fermentations et qu’il a mis au point la fameuse pasteurisation. Grâce aux expériences menées dans sa vigne de Montigny-les-Arsures, il a pu remettre définitivement en cause la croyance en la génération spontanée des micro-organismes.
Pour en revenir au vin local, les rouges d’Arbois sont issus des cépages trousseau, poulsard, et plus marginalement de pinot noir. Le trousseau, fruité et épicé, est le plus réputé dans sa capacité à conférer aux vins du corps et un réel potentiel de garde. Le poulsard (ou ploussard, à Pupillin) donne quant à lui des vins délicats, à la robe légère qui tire sur le « pelure d’oignon », en vieillissant. Les vins blancs sont issus des cépages chardonnay, savagnin ou encore melon à queue rouge (une variété de chardonnay jurassienne). Ils sont vinifiés en version ouillée ou oxydative, pour donner, pour les savagnins d’élevage sous voile les plus longs, le mythique Vin Jaune, à la complexité et au potentiel de garde exceptionnel. A Arbois, on peut aussi produire du vin de paille : les raisins passerillés sur claies – ou via d’autres précédés plus modernes – doivent alors avoir une richesse en sucre supérieure à 306 gr/l et le vin doit titrer 14,5% vol. On produit également, et enfin, du Macvin et du Crémant-du-Jura.
Maison de Louis Pasteur, à Arbois
De tout cela, il en fut question jeudi dernier, dans le cadre de l’Ecole du vin, avec une soirée menée de main de maître par notre ami Michele Caimotto de Wine Rose. Voici le compte-rendu de la dégustation.
Arbois, Poulsard Amphore 2020, Stéphane Tissot : Robe trouble. Nez très floral, poivré et poudré. Gaz carbonique présent sur l’attaque pour un vin frais, infusé, offrant un peu d’acétate d’éthyle, au style nature et éthéré, l’amphore permettant sans doute de gommer le côté réducteur du cépage. C’est plutôt abouti et plaisant, même s’il a rebuté quelques puristes par son aspect « brut ».
Arbois, Trousseau Marnes Rouges – Cuvée des Géologues 2019, Lucien Aviet : Nez encore peu expressif et rentré, comme souvent avec les rouges du domaine en jeunesse. Attaque plus expressive, avec un tanin mûr et un vin ample, caressant, de saveur épicée, qui tapisse la bouche et se prolonge avec un côté crayeux très agréable. Belle finale qui terroite. C’est très bon et ça confirme le savoir-faire du domaine en matière de trousseau et de rouge de garde.
Arbois, Trousseau Le Clousot 2019, Michel Gahier : Nez sexy et ouvert, avec un raisin très mûr, à la limite de la décadence, tirant sur les agrumes, mais la présence d’acidité volatile chatouille aussi les narines. En bouche, on est sur le même profil avec un raisin légèrement figué, une vraie ampleur, mais l’acescence donne de la chaleur et un piquant un peu italien à la finale.
Michele Caimotto
Arbois, Melon à queue rouge – Cuvée des Docteurs 2020, Lucien Aviet : Nez classique et gourmand, avec un léger côté sotolon (le vin est-il élevé dans la même cave que les vins de voile ?), notes de fumé, d’ardoise, de Suze, de citron confit. Attaque riche pour un vin mûr et équilibré, plutôt solaire et explosif pour le domaine, ample, qui se prolonge sur la richesse. Il vieillira sans doute bien et le temps assagira son exubérance.
Arbois, Chardonnay Rose Massale 2019, Stéphane Tissot : Robe sensiblement évoluée. Nez hélas prématurément oxydé (premox) : lampe à pétrole, lactone, lourd et fatigant. La bouche confirme l’oxydation. Une seconde bouteille se goûte un peu moins évoluée, mais pas totalement intègre non plus. Il faudra en ouvrir une troisième pour découvrir un vin aromatique, fringant, vif et incisif. On regrette néanmoins le manque d’homogénéité de la mise, surtout pour un cru vendu autour de 40 frs/euros la bouteille !
Arbois, Chardonnay Les Follasses 2019, Michel Gahier : Nez sur la livèche, simple, bouche du même acabit, avec de gros amers, grasse mais un peu lourde, de l’alcool en finale. Un style assez fatigant. Effet millésime ?
Arbois, Le Sage Vagnin 2019, Philippe Chatillon : Nez « nature » sur l’autolyse des levures, le vin présente énormément de gaz, il est sans doute mis en bouteille sans soufre. Bouche dans le même registre mais qui, une fois dégazée, présente un caractère salin et un profil très tendu, avec une acidité électrique. J’avoue que cette dernière est assez rébarbative pour mon palais, mais d’aucuns l’adorent et le plébiscitent dans l’assemblée. Ajoutons qu’il a gagné à s’aérer et se réchauffer dans le verre, ce qui est prometteur quant à sa tenue dans le temps.
Arbois, Foudre à canon naturé 2020, Domaine de La Borde : Premier nez un peu diffus, mais qui s’ouvre bien ensuite sur un profil d’épices, d’agrumes et de menthol, il travaille bien à l’air. Attaque ample pour un vin juteux et frais, avec une vraie amplitude, une grosse longueur et une salinité exacerbée propre au terroir de Pupillin. Julien Mareschal confirme qu’il est un des meilleurs interprètes de son village.
Arbois-Pupillin, Savagnin 2013-2015-2016, Domaine de la Renardière : On passe sur le premier vin de voile de la soirée. Très beau nez droit et précis sur le sotolon, la peau de noix, attaque large et ronde pour un vin suave, puissant, qui retrouve les parfums du nez, avec une puissance alcoolique liée à la concentration de l’élevage. C’est bon et pour encore longtemps. La table lui est destiné.
Côtes-du-Jura, Vin Jaune 2011, Domaine des Cavarodes : Magnifique nez très fin, subtil, sur des notes éthérées, on est sur un côté croute de comté, vieille cave, mystérieux et captivant. Bouche raffinée et très élégante, fine, subtile, au toucher délicat. Finale parfumée et fondante, c’est extra ! On dirait presque un Château-Chalon. Et voilà un vigneron qui ne m’a encore jamais déçu, ses rouges sont également extras !
Arbois, Vin Jaune 2011, Jacques Puffeney : Robe étonnement jeune et brillante, vin puissant, solaire, sexy, d’un classicisme implacable, changeant, exubérant, il met tout le monde d’accord au nez. Attaque étonnement fraîche et droite, avec des amers de long élevage et de grand whisky, on est presque sur un type Isley en bouche. C’est structuré, jeune, droit et donc loin d’être au bout. Il survivra au Puff !
Arbois-Pupillin, Vin Jaune 2011, Domaine de la Renardière : On est presque sur un nez de liquoreux, confit, exotique, notes de mangue. Attaque grasse et ample, avec une texture visqueuse de liquoreux là aussi, le vin est baroque. C’est un style plus grenier que cave, où le mode d’élevage a exacerbé la concentration et la puissance du vin. Ici c’est fromage ET dessert !
On termine la dégustation par un grand écart dont le Jura a le secret, qui réunit un grand vin produit par la jeune génération et un témoin du siècle dernier, produit par un vigneron retraité.
Arbois, Vin Jaune 2015, Domaine de La Borde : Le nez est magnifique, anisé, sur la noix fraîche, la badiane, les agrumes, le citron confit. Attaque fine et juteuse pour un vin salin, aux grands amers, long, corsé, incroyablement salivant et à la rémanence folle. Un Jaune de terroir, qui se pose au sommet du millésime et n’aura pas peur d’affronter ses cousins de Château-Chalon dans 30 ans. Bravo Julien !
Arbois, Vin Jaune 1983, Roger Lornet : Robe orangée, trouble, nez de café, de truffe, d’ambre, avec le coté colophane des vieux vins Jaune. Le vin n’est pas mort, il a de la présence et de la longueur, avec un finish sur des accents d’amontillado, c’est un beau vieux, assagi, qui tire ses dernières cartouches.
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