Direction Quimper-Corentin à une centaine de km de la Roche bernardienne. Pour voir sa cathédrale gothique bien sûr (une des plus anciennes de Bretagne), sa vieille ville pleine de charme malgré les hordes de touristes, quelque peu désœuvrées en ce jour de bruine, mais surtout pour visiter l’exposition Yves Tanguy au Musée des Beaux-Arts. Un événement pour les amateurs car la dernière exposition des œuvres de Tanguy en France remontait à 1982… Breton d’origine, Yves Tanguy est resté très attaché à la terre de ses ancêtres, à ses légendes aussi, à l’instar d’André Breton qui prit le jeune Tanguy sous son aile et sut déceler en lui un génie singulier…
« C’est, venant d’un homme qui ne se rend à rien que de très pur, toute l’échappée sur le mystère pour lui d’être parmi nous. » (A. Breton, préface à « Y. Tanguy et les objets d’Amérique ».
L’exposition (qui a lieu jusqu’au 30 septembre) propose une rétrospective très fouillée (53 tableaux et de très nombreux dessins) d’une œuvre encore trop méconnue, les premiers travaux du jeune Tanguy – autodidacte pur – faisant allégeance à ses débuts au cubisme et au dadaïsme, puis le cheminement personnel à travers la peinture, l’exploration d’un monde sans référence connue, sans liaison évidente, nécessaire, avec la réalité, avec ce que nous appelons la réalité… Un monde d’une singularité absolue, unique à bien des égards dans l’histoire récente de la peinture, sans référence, un monde de toiles énigmatiques et hantées par une théorie d’ »êtres-objets strictement inventés » (AB). Sans doute faut-il trouver là, dans ce décalage, dans cette impossible figuration, une des explications de la relative mise à l’écart de l’œuvre d’Yves Tanguy. Cette peinture ne se dit pas, ne se commente pas, ne se met pas en parallèle avec d’autres traces, d’autres créations, elle exprime une singularité, un événement pur, une expérimentation… Quelques toiles comme des évidences de ce travail, de cette quête des formes pures. A voir absolument un jour ! Finissez ce que j’ai commencé (1927) – Les mouvements et les actes (1937) : selon moi, la toile-charnière, celle à partir de laquelle rien ne sera plus tout à fait comme avant, celle qui marque, d’une façon non arbitraire, nécessaire, absolue, la naissance du peintre comme poseur d’énigmes, comme brouilleur de signes et dynamiteur de l’arbitraire des trois règnes… Et, enfin, durant la dernière partie de la vie d’Yves Tanguy, celle de l’exil volontaire aux USA, de la maison de Woodburry au Connecticut, dans ce moment joyeux et tragique de la vie avec Kay Sage – Tanguy accède à une certaine reconnaissance et bénéficie d’un forme de sursis. Deux tableaux me bouleversent dans une production que je trouve plus hétérogène que la précédente. Mirage, le temps (1954) et Multiplication des Arcs , deux tableaux-phares de cette dernière période. D’ailleurs, dans une sorte de frénésie prémonitoire de la fin, Tanguy achèvera Multiplication des Arcs quelques semaines avant sa mort… Le titre paraît presque – pour une fois… – évident, la seule question demeure : quand la flèche sera-t-elle lancée ? Une grande partie du tableau est comme assiégée, quasi dérobée au regard, par une sorte de labyrinthe, prolifération incroyable des éléments, soudainement soudés les uns aux autres, liés, chacun existant dans la suspension du sens, dans l’événement qui va arriver, qui est déjà arriver : il n’y a pas d’issue.
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