Une petite voix résonne en vous. Vous seriez déjà venu ici, dans une autre vie. Le nom du village vous est familier. Celui du cuisinier aussi. Et vous voilà embarqué, suivant le fil d’une délicieuse rivière, la Veyle, qui musarde à travers la Dombes.
Même le temps a changé de forme ici. Il a pris la dimension d’une carte postale. « Bienvenue au village : vivre et découvrir un lieu unique, magique et authentique » Le village, c’est Vonnas. Et Vonnas, c’est Georges Blanc. Son fief presque. Un village dans le village. Boutiques, magasins, hôtels, spas, restaurants, muséographie, se succèdent, dans un joyeux charivari coloré.
Vous êtes (presque) au centre de l’Europe gourmande. Un pied dans le passé. Un pied sur la berge qui vous mène tout droit à la salle à manger. Le personnel de salle est là, qui vous accueille au garde à vous. Une escouade de serveurs, l’air bredouille ou nonchalant, encadrée par quelques briscards, l’œil aiguisé par les célébrités. Arrive enfin la « grande » carte des vins. Elle impressionne. De très belles références à des prix sages. De nombreux vins manquent toutefois à l’appel. La carte est précédée par un vrai sommelier, la lippe gourmande, corseté de cuir : un sacristain à l’heure de l’élévation.
– Que vous est-il arrivé ? Tous ces vins barrés, qui manquent à l’appel, une razzia ?
– Non, nous avons décidé de changer de formule. La carte n’est plus tout à fait représentative de ce que nous proposons. Les vins barrés sont effectivement épuisés, mais nous avons beaucoup de vins qui ne sont même pas à la carte…
– Un Fleurie Vieilles Vignes 2009 d’Yvon Métras devrait surfer avec sur les plats « signatures » de votre menu Saveur en fête, non ?
Une majorité de couples aux tables voisines, ravis d’être là, les yeux dans les yeux, à fêter un anniversaire, à tisser des rêves ou ouvrir une incise. Les grenouilles viennent-elles des Dombes ?
Pas le temps de répondre à cette question : Georges Blanc vient de faire son apparition dans la salle, glissant d’une table à l’autre, tel un patineur céleste, très soucieux des arabesques qu’il laisse derrière lui.
Il est rassurant, Georges Blanc, avec son œil vif, sa mine de chat gourmand passé par la cuisine minceur et l’émulsion poudrée de Carita. Les tables se l’arrachent. Pour la photo qui viendra plus tard prendre place dans l’armoire aux souvenirs ou sur Facebook. Et lui. G., de surjouer la scène, pour la cent millième fois peut-être, prenant la pose entre elle et lui, se penchant doucement et regardant les autres tables, toutes aimantées par cette scène.
ÉCLATÉ DE HOMARD CONFIT AU VIN JAUNE,
FINE RAVIOLE À L’OSEILLE,
MORILLES ET POINTES D’ASPERGES
FINE RAVIOLE À L’OSEILLE,
MORILLES ET POINTES D’ASPERGES
Car, comme chez Proust, et depuis longtemps déjà, les dîneurs n’ont d’yeux que pour les tables où ils ne sont pas, exception faite pour quelque riche commensal, lequel ayant réussi à amener à sa table une people en vue, s’évertue à en tirer quelque promesse de félicité, tout en dévorant avec un rude appétit l’Eclaté de Homard confit au Vin Jaune dont le seul intitulé semble le ravir.
Sur la Volaille de Bresse, la salle entière devrait ronronner d’aise et le Fleurie prend un relief insoupçonné, libérant des arômes qui font honneur à son nom. Ce devrait être le point fort du repas ; hélas, la tension est déjà retombée. Cuisson approximative pour la volaille. Crêpes vonassiennes alanguies au four. La chorégraphie du plat semble sortie tout droit d’un atelier janséniste. Seule la Royale d’artichauts et de foie blond vient sauver un peu le plat. Un relâchement dans la brigade ? M. Georges l’a senti peut-être, qui déchausse les patins et file dare-dare vers ses cuisines. Pas de quoi inquiéter pourtant la population des dîneurs venus ici pour autre chose. Pour le spectacle. Pour le prix des étoiles. Pour cette cuisine placide, bien faite, mais sans génie, sans rien qui vienne troubler les plans secrets des comètes et les attentes des hommes.
On ne devrait jamais revisiter ses souvenirs.
Le menu
Le menu
EMBROUILLADE DE CUISSES DE GRENOUILLES
AU BASILIC POURPRE, CÉLERI ET SAFRAN
ÉCLATÉ DE HOMARD CONFIT AU VIN JAUNE,
FINE RAVIOLE À L’OSEILLE,
MORILLES ET POINTES D’ASPERGES
LA VOLAILLE DE BRESSE SAUCE FOIE GRAS AU CHAMPAGNE,
AVEC UNE ROYALE DE FOIE BLOND À L’ARTICHAUT,
UNE GAUFRETTE D’AIL DOUX
ET DES CRÊPES VONNASSIENNES
AU BASILIC POURPRE, CÉLERI ET SAFRAN
ÉCLATÉ DE HOMARD CONFIT AU VIN JAUNE,
FINE RAVIOLE À L’OSEILLE,
MORILLES ET POINTES D’ASPERGES
LA VOLAILLE DE BRESSE SAUCE FOIE GRAS AU CHAMPAGNE,
AVEC UNE ROYALE DE FOIE BLOND À L’ARTICHAUT,
UNE GAUFRETTE D’AIL DOUX
ET DES CRÊPES VONNASSIENNES
Le restaurant Georges Blanc à Vonnas
8 Comments
Et beh !
On rentre en phase d’opposition aux lieux communs au Cave ?
Avec un Nicolas qui chahute un peu Coche, voilà un Grand Jacques qui écrit des choses… "incise".
Quasi-violent ! Mais bon : on sait que qui aime bien…
Allons, allons : pas facile d’être à la tête d’une institution. Idem chez Monsieur Paul.
Et puis, c’est vrai, on a tant de souvenirs de l’époque où la 2CV était commune…
Bref, le temps passe et fait ici un peu plus de ravages qu’ailleurs ?
Va savoir, Charles ! Le Grand Jacques avait peut-être ses chaleurs historiques…
François, ce n’est pas une question de temps qui passe. C’est une question d’état d’esprit, de souffle et d’inspiration. J’ai trouvé cela chez Guérard l’an dernier. Pas à Vonnas. N’oublions pas qu’on se trouve dans un trois macarons et que les prix pratiqués sont au diapason. A ce niveau, le client a le droit d’être exigeant.
Bine évidemment, car, tu le sais, je suis le premier à m’énerver contre ces prix déments pour des mousses approximatives !
A HK, quelqu’un m’a parlé d’un repas chez Passard, à 2, pour plus de 850 euros sans les vins !
Le poulet à la crème, c’est chez mon pote Mr Job du beaujolais : sois à ce qu’on t’dit ! 🙂
Bonjour de Bangkok où, (à l’aéroport hein, pas d’erreur) un massage (tu as un adjectif pour "les pieds" ?) m’a rappelé quelques souvenirs singapouriens 🙂
Académisme … Implacable constat sur la cuisson …
Côté vins, et sans remettre en cause la qualité du vin de Métras (bien aimé son Moulin-à-vent 2009), n’avez-vous pas été tentés par du Riesling ou du chardonnay (pas forcément Coche-Dury) ?
Côté modernisme, tu as au moins évité la froideur de l’Ipad !
🙂
Constat sans appel ! Mais quand on voit la multiplicité des établissements dont Georges Blanc se réclame sur son site, on se dit qu’ubiquité ne rime pas forcément avec qualité. Une sorte de nouvelle utopie des temps modernes.
Souvenir diffus d’un soir dans la Dombes, où nos pas s’étaient égarés à "Vonnas-sur-Blanc", enclave anachronique et bling-bling contrastant terriblement avec le (vrai ?) village.
Pour ma part, je préfère la sincérité et le naturel de la table d’un Michel Bras ou d’un Régis Marcon, pour un prix sensiblement identique.
Bruno
J’aime bien que l’on oublie jamais le prix des choses, et mêmes des délicieux 3nétoiles, on n’est pas tous des Bric’s tonnerre de Zeus, merci d’y penser Messieurs Perrin et Mauss.
Vonnas c’est assez étonnant effectivement, l’arrivée est marquante:
"On débarque alors à Vonnas, dans un monde à part, un peu trop pour nous, mais qui doit faire un effet-buzz sur tous les gastronomes globe-trotter qui débarque sur cette place griffée « au bon goût de la France »."
Mais ce qui m’étonne le plus c’est le plat de Volaille de Bresse ! Vous pouvez constater sur mon blog dans le lien qui suit que le plat pris à la brasserie en oct 2011 est quasi le même en ce qui concerne la matière première. Quantité et qualité (à vue d’nez) semble relativement identique…le tout étant facturé 2 à 3 fois plus cher.
secretsepicure.blogspot.f…
Mais bon il est évident qu’on ne vient pas ici pour compter les centimes et les grammes, qu’un jour je me ferai une joie de tenter les plats de la grande adresse, mais je crois que comme Bruno, je resterai sans doute plus fidèle à d’autres…(ahhh 2 ans sans Marcon…c’est long !)
Bonjour, j’ai beaucoup aimé cet article et c’est à peu près l’idée que je me suis faite des ses grandes tables françaises. Je vis à Genève et j’ai toujours baigné dans la gastronomie française mais je me suis un peu fatigué de cette cuisine qui est un peu partout la même, toujours les mêmes sauces…etc..Récemment j’ai fais 2 repas, 1 en Espagne et 1 en Italie qui m’ont troublé positivement…à chaque plat c’était une gifle…Martin Berasategui en Espagne, Enrico Crippa en Italie, http://www.piazzaduomo.it
Salutations gourmandes
Gregory
Pardon, l’adresse correcte est :
http://www.piazzaduomoalba.it