Il était lumineux, solaire, ouvert aux autres, communicatif, d’une équanimité apparemment sans faille. Les fées du goût et du partage avaient été bienveillantes avec cet enfant-là, né à Montils en Charente-Maritime. Il était un cuisinier brillant, doué, travailleur, à la trajectoire impressionnante de facilité.
Etait … Mais comment parler de Benoît Violier au passé tant sa présence est vive, tant le sillage qu’il laisse derrière lui sera indélébile ?
Apprentissage sous la houlette de Philippe Prévot, un ancien de Robuchon: Benoît obtient le titre de Meilleur apprenti du Sud-Ouest. Il complète sa formation en pâtisserie-confiserie avec Didier Stéphan, MOF et accomplit ses premiers pas dans le compagnonnage, cet idéal de perfection et de partage des savoirs. Le service militaire le happe et le fait côtoyer ministres et présidents. Rencontre déterminante : Benoît entre alors au service de Joël Robuchon avec lequel il restera 16 mois. Arrivé à Crissier en 1996 sur recommandation de Joël Robuchon, Benoît Violier est intégré dans la brigade de Fredy Girardet comme chef de partie. En 1997, Philippe Rochat succède à Girardet et nomme Benoît Violier chef adjoint, puis en 1999, chef de cuisine. En 2000, c’est l’obtention du titre envié de Meilleur Ouvrier de France (MOF). L’obsession du meilleur toujours.
Et lorsque, en 2012, Philippe Rochat décide de prendre sa retraite, c’est à Benoît Violier qu’il confie le destin de l’Hôtel de Ville de Crissier. Avec l’aide d’une brigade de salle et de cuisine au top (parmi lesquelles il faut citer Franck Giovannini, Benoît Carcera et Louis Villeneuve qui était déjà là au temps de Girardet), Benoît Violier va, en moins de quatre ans et avec la complicité de son épouse Brigitte Violier, conserver les trois étoiles du Michelin et écrire quelques-unes des plus belles pages du prestigieux établissement. Jusqu’à ce titre de « meilleur restaurant du monde » décerné en décembre 2015 par l’algorithmique « La Liste », laquelle apparaît surtout comme une réponse franco-française au World’s 50 Best…
Une trajectoire pure, limpide, idéale. Et une ascension proche de la fulguration pour cet immense chef qui, il y a quelques jours à peine, dans une interview accordée à Libération, déclarait « Etre cuisinier, c’est toute une vie ».
Notre époque a hélas l’obsession des classements. Ou des classement des classements comme le revendique La Liste. Meurt-on pour un classement ou des étoiles ? Non, bien sûr… Mais la douleur de ne pas en être taraude parfois. On pense à Alain Chapel ou à Bernard Loiseau disparu dans des circonstances tragiques en 2003 et dont – étrange synchronicité – l’établissement vient de perdre sa troisième étoile, soit le lendemain de la mort de Benoît Violier.
Alors, comment expliquer le geste du charismatique chef de Crissier ?
Meurt-on d’être arrivé à ce que l’on pense être le sommet de sa montagne intérieure, meurt-on de vouloir rester sur ces hauteurs parce que, tout à coup, dans une perspective saisissante et inconnue de nous jusque là, on découvre le vertige d’être privé de rêve ? Meurt-on d’avoir perdu un être cher, un ami de cœur, un parent, un mentor ? Meurt-on d’avoir compris un jour que la gloire était insolente, qu’elle allait souvent de pair avec le deuil du bonheur ? * Meurt-on d’avoir, comme le pensaient les anciens Grecs, tutoyé les dieux ?
Les questions sont toujours formulées du rivage. Elles sont les sondes que les vivants jettent pour se rassurer et continuer d’avancer. Les réponses, car il n’y en a jamais une seule, appartiennent au disparu et, pour la dernière question, aux fantômes de l’Olympe.
Une chose est certaine : « Il ne faudrait pas, comme l’écrivait le philosophe Gilles Deleuze, contenir une vie dans le simple moment où la vie individuelle affronte l’universelle mort. Une vie est partout, dans tous les moments que traverse tel ou tel sujet vivant et que mesurent tels objets vécus». Plus grande que nos vies, la vie. Portée par un souffle parfois ténu, presque imperceptible, prise dans le tourbillon de forces qui parfois s’opposent, de devenirs contradictoires. Vie qui demeure dans la beauté et l’exemplarité de la trace.
Merci Benoît Violier pour ces moments intenses sur l’archipel du goût, pour votre passion, ces évocations de la montagne et des choses vraies (voir ici), cette énergie que vous mettiez à vouloir toujours le meilleur ! Pour le partager.
Mes pensées vont surtout aujourd’hui vers son épouse Brigitte, son fils Romain et toutes ses équipes, à toutes celles et ceux qui ont œuvré à Crissier et qui, jour après jour, continueront de faire de ce lieu un restaurant d’exception.
*Adaptation libre d’une phrase de Madame de Staël
6 Comments
Merci Monsieur pour ce magnifique et touchant hommage que vous avez rédigé pour Benoît Violier.
On voit des visages heureux, des yeux pétillants… et on ne sait quand même jamais ce qui se cache au fond de tout être.
Bien cordialement,
Carole
En tant que numerologue et ayant été très touchée par cette disparition tragique au sommet de la gloire, je me suis permise de travailler sur le thème de naissance de Benoit Violier. Né un 22 août 1971, cette Ame a apporté beaucoup d’amour et de passion tout en cachant un aspect très intériorisé et individualiste de sa personnalité. Ces qualités lui ont permis d’aller au delà des sentiers battus, en ayant la force et la volonté de se réaliser totalement dans dans la matière (traces qu’il laisse derrière lui et qu’il faudra faire perdurer). Génie et folie peuvent parfois se rejoindre…ce Grand Chef a rejoint les Étoiles filantes que ces successeurs devront continuer à faire briller.
Merci Benoit pour tout ce travail accompli pour l’amour de la gastronomie.
Catherine
Je suis son ami et le reste.
Sa seule imperfection visible désormais de son existence est celle de l’ultime seconde.
Impénétrable de mystère.
Je suis sonné par cette sortie qui ne lui ressemble pas.
Bravo à vous pour votre hommage.
Daniel Fazan
Tu as débute’ ton apprentissage a mes côté au mancini, puis ce dur tourbillon de la vie nous a séparé.tu fais partie des personnes que je garderai dans mon espris.benoit,garçon exceptionnel …. repose en paix. Franck
Je ne connaissais pas personnellement ce grand cuisinier, homme de coeur, et pourtant, j’avais l’impression qu’il faisait un peu partie de ma vie. A chaque fois que je le voyais et l’entendait lors d’un reportage, ou en lisant un article le concernant, je me sentais portée par son enthousiasme et il me semblait que tout devenait possible… Merci pour votre bel hommage. Maintenant il est une étoile qui guide tous les passionnés oeuvrant dans l’amour de la perfection.
Marlène
Brigitte, Romain, ce soir mes pensées s’envolent vers vous deux, qui devrez cheminer avec les souvenirs, avec votre mémoire.
Puisse-t-elle être celle qui vous fera sourire, qui vous encouragera à vivre avec énergie et paix intérieure.
Benoît repose en paix, c’est notre conviction profonde.
Ni plus ni moins.
Claude