Peu de gens ce matin au terminus de Senntum. Un couple entre deux âges, la carte à la main, au destin indécis : le jour et la nuit semblent coexister dans le même temps, juste séparés par l’altitude et l’exposition. Là -haut, la lumière est déjà dans sa gloire native. Plus bas, des restes de nuits s'accrochent encore dans le fond de vallée, vaguement contestés par les flavescents mélèzes.
Face au Bishorn, le refuge est visible là-haut, sur la gauche de la photo.
Je choisis l’option rive droite, une variante qui permet de découvrir un sentier aérien, muni de cordes fixes avec la traversée d’une arche de pierre naturelle (escarpée !) qui vous ramène en rive gauche. La vue sur les langues glaciaires de Brunegg et de Turtmann est sublime, notamment à partir de Stausee. Même si le paysage lunaire et les moraines sont, suite à la fonte des glaciers, omniprésents. Tout en haut, sur un éperon rocheux, on devine, dans la pénombre, le triangle de la cabane.
"Que voyez-vous maintenant ? Que voyez-vous ?"
Je suis seul désormais et profite de cet instant privilégié au cœur de la wilderness. « Il n’y a pas un endroit sur cette terre, vous entendez, hein, pas un endroit sur cette terre où il n’y ait pas une route une maison un avion un poteau télégraphique. Est-ce que ce n’est pas à en devenir fou, de penser qu’on est de cette race ? »
A quoi pense-t-on quand on marche ? Peut-être qu’on ne pense pas, qu’on est pensé, traversé de mille pensées, souvenirs, impressions multiples, qui ne sont pas seulement les nôtres, ceux de nos petits vouloirs égoïste et insignifiants, mais constituent le fonds de toute présence.
C’est cela. C’est le monde qui nous traverse. Nous devenons, transparents, légers, aériens. Présents dans sa seule présence. Mémoire de ce qui nous précède ; de ce qui, déjà, nous survit.
Des bribes de récit nous parviennent ici. Celui de la naissance du monde, des montagnes, de la pluie, des étoiles, du magma cosmique auquel notre pensée n’a même pas commencé de s’accrocher. « Je voudrais aussi vous dire ceci : la conscience est une mauvaise chose. Libérez-vous de la conscience. Il est grand temps ».
On entend parmi cette rumeur la musique du temps qui pulse et nous porte. Comme le vent dans ses ailes lorsqu’il nous arrive de tomber.
Parfois, une pierre se détache, une langue de glacier craque, une âme nous croise, invisible, tandis que nous marchons sur des cailloux d’éternité. « Que voyez-vous maintenant ? Que voyez-vous ? »
– Qui vous a parlé de voir ?
Parfois, une pierre se détache, une langue de glacier craque, une âme nous croise, invisible, tandis que nous marchons sur des cailloux d’éternité. « Que voyez-vous maintenant ? Que voyez-vous ? »
– Qui vous a parlé de voir ?
"Il faut écrire, penser et agir, par énigmes ; "
Enfin, voici, face à ce silence, le refuge, volets clos. Comme une absence. 2519 mètres au-dessus de la mer. Personne alentours. L’horizon est une mémoire.
Les hommes ont quitté ces lieux. Ils reviendront.
Pur instant de joie, face à ce monde qui étincelle sous la lumière. JMG est dans le désert. Pétri d’honneurs et de reconnaissances. Je pense à lui. Je me souviens de son premier livre, (publié dans la collection Le chemin chez Gallimard ) qui ne m’a jamais quitté. Je me souviens d’Adam Pollo et d’un autre livre étrange au titre entre parenthèses, (Les Géants). Je me souviens de la gloire nouvelle de J.M.G. Le Clézio, des pages qu’il a écrites sur le désert, mots jetés sur le sable pour, au soir, retrouver son chemin.
« Peut-être que c’est mieux de parler de ses rêves, ou bien des champs de houblon, ou bien de la masse bombées des cailloux devant la mer, où un petit garçon est assis comme sur le bord d’une planète, en train de regarder l’espace. Mais on peut aller de l’autre côté de ses peurs, s’il y a un autre côté, pour être libre.
Il faut écrire, penser et agir, par énigmes ; «
« Peut-être que c’est mieux de parler de ses rêves, ou bien des champs de houblon, ou bien de la masse bombées des cailloux devant la mer, où un petit garçon est assis comme sur le bord d’une planète, en train de regarder l’espace. Mais on peut aller de l’autre côté de ses peurs, s’il y a un autre côté, pour être libre.
Il faut écrire, penser et agir, par énigmes ; «
Toutes les phrases entre guillemets (citations) sont tirées des livres suivants de J.M.G. Le Clézio : Le Procès-verbal, (Les Géants) et Gens des nuages. J.M.G. Le Clézio vient d'obtenir le Prix Nobel de littérature. Mais, ça, vous le saviez déjà !
Au bout d’un muret de pierres sèches, au bord du vide, nous avons vu les créneaux verts du tombeau.
Nous avons pensé à la parole d’Ibn el Jalal qui assignait à l’homme, comme sa plus haute tâche, la perception dans cette vie d’une « vérité sans forme » (J.M.G. Le Clézio
Ititinéraire à Tourtemagne prendre direction Oberems, puis Gruben. Continuer jusqu’au terminus de la route à Senntum (altitude 1901).
Plusieurs itinéraires s’offrent à vous pour rallier la cabane. Le plus classique par la route qui mène au Stausee. De là le cheminement est évident.
Compter 3h30 aller retour.
Plusieurs itinéraires s’offrent à vous pour rallier la cabane. Le plus classique par la route qui mène au Stausee. De là le cheminement est évident.
Compter 3h30 aller retour.
Le vignoble de Visperterminen avec, au fond, un autre fleuron des alpes valaisannes, le majestueux Bietschhorn, encore plus beau que le Cervin !
Etait-ce pour souffler un peu, me reposer de la gravité de ces paysages et de ces pensées ou, plus simplement, vouloir voir les montagnes (Bishorn, Weisshorn et Brunegghorn) sur leur autre versant, plus abrupt ? Au retour, j’ai fait un crochet par Viège et suis monté voir le fameux vignoble de Visperterminen, un des plus hauts d’Europe. Les vignes sont principalement situées entre Unterstalden et Oberstalden et s’étagent entre 600 et 1000 m environ. 42 ha de vignes qui constituent un patrimoine unique ainsi qu’un conservatoire de vieux cépages indigènes : le heida ou païen, majoritaire avec le pinot noir, le lafnetscha, le himberscha, le gwäss (gouais) et eyholzer roter.
20 Comments
Beau texte, inspiré, reposant …
La littérature pérégrine (à pied) est magnifique dans les ouvrages suivants :
Chemin faisant – Jacques Lacarrière
Un beau matin d’été – Laurie Lee
et en plus tragique :
A marche forcée – Slavomir Rawicz
Hommage aussi au suisse Nicolas Bouvier. Son "usage du monde" est un cristal.
Voire pérégrinale
http://www.peregrin-genevois.net...
Le beau texte de Jacques (et ses illustrations) me donnent la bougeotte.
Voyager pour le vin doit être bien.
1200 m en Val d’Aoste, pour produire encore du raisin …
Merci, Laurentg, de rappeler ici quelques-uns de mes auteurs de dilection, tous ces écrivains "aux semelles de vent" qui m’ont porté quand, un jour, je me suis retrouvé, brisé, sur un lit d’infortune, sans savoir si je remarcherais… Quelques autres pistes, Hölderlin (superbe "Dans le temps qu’il marchait par Micheline Desbordes), Rimbaud, évidemment, Rousseau, Jaccottet, sans oublier les errances de Robert Walser. Tant d’autres encore…
"Je ne suis qu’un piéton, rien de plus" Rimbaud
"A mon retour, il s’est trouvé beaucoup de gens qui n’étaient pas partis, pour me dire qu’avec un peu de fantaisie et de concentration ils voyagaient tout aussi bien sans lever le cul de leur chaise. Je les crois volontiers. Ce sont des forts. Pas moi. J’ai trop besoin de cet appoint concret qu’est le déplacement dans l’espace. heureusement d’ailleurs que le monde s’étend pour les faibles et les supporte, et quand le monde, c’est la lune à mains gauche, les flots argentés de la Morava à main droite, et la perspective d’aller chercher derrière l’horizon un village où vivre les trois prochaines semaines, je suis bien aise de ne pouvoir m’en passer."
Nicola Bouvier (cité par Adrien Pasquali)
On peut citer également le livre de Rebecca Solnit "L’Art de marcher" (Actes sud) : « La marche provient de l’Afrique, de l’évolution, d’une nécessité et d’une quête. Mettre un pied devant l’autre est d’abord une histoire de rythme qui favorise le mouvement de la pensée. Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, la promenade marche de pair avec la littérature ».
Triste journée, le monde péclote. Milan Kundera autre nobelisable est accusé par un journal Tchèque d’avoir dénoncé en 1950 un étudiant qui aurait été arrêté grace aux renseignements fournis par la police politique et condamné à 22 ans de prison (dont 14 furent purgées). Milan Kundera dément
L’endroit est magique, mon épouse et moi l’avons découvert fin octobre 2005.
Un autre endroit du Valais pour communier avec le cosmos et qui sera notre prochain objectif : Le Lac de Soi.
Vous pouvez visionner un magnifique digirama de Roland Clerc sur son site :
http://www.faune-valais.ch/
C’est décidé. S’il fait beau, j’y vais le we prochain. Merci pour le filon !
Enfin un admirateur de JMG Le Clézio qui ne se contente pas de répéter les mêmes lieux communs sur son oeuvre, et qui pour une fois ne cite pas les mêmes livres que tout le monde. Je me souviens moi aussi que Les Géants est sans doute l’un des plus beaux livres de Le Clézio. Mais c’est aussi l’un des plus copmplexes, pas plus difficile que les autres, peut-être plus exigent pour le lecteur. A se demander (comme pour bien d’autres, Proust par exemple) si les gens qui parlent de Le Clézio ont lu son oeuvre. Merci donc.
Pour Jacques, pour changer du plancher des vaches…c’est (un peu) interactif:
http://www.electricoyster.com/el...
J’y suis allé, Armand : Dieu que ces montagnes ne ressemblent pas à la réalité !
Bien sur Jacques, c’était une méthaphore relative à la discussion sur les guides, le web et la réalité.
La forêt des paradoxes:
J’écoutais à la radio, le discours de Le Clezio lors de la remise di prix Nobel. Je me suis couché par terre. J’ai senti le coeur de la Terre battre.
"Je me suis couché par terre"
Propice pour observer les nuages, chers à l’auteur …
Le discours du récipiendaire :
http://www.lefigaro.fr/livres/20...
Profession de foi disponible ‘de bon coeur’ chez Francois Bon. Chute et rebond sur Heraclite… ces presocratiques
Merci pour cette belle page et ce beau texte. Bouffée d’air frais. Ca donne envie de partir tout de suite sur le chemin de Le Clezio, et la haut aussi, si près des nuages.
J’y emmenerai mon amour.
"Que dans ce troisieme millenaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonne a la faim ou a l’ignorance, laisse a l’ecart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine. A lui la royaute, comme l’a ecrit il y a tres longtemps le Grec Heraclite {d’Ephese}."