Le narrateur, financier ébloui par le vide, croise le chemin de Clotilde, prêtresse de la nuit et du royaume des ombres et s’abandonne à elle. Relire certaines pages à la lumière des événements qui agitent le monde de la finance vaut, si j’ose dire, son pesant d’or :
« Je tiens à répéter que la fantaisie n’eut aucun rôle dans mon choix. J’appliquai cette méthode laconique et sélective qu’on m’avait enseignée aux Finances.
Jamais équation ne fut plus clairement posée, jamais aucun homme ne se crut aussi libre, aussi sûr de lui.
Jamais poisson n’alla plus exactement donner du nez dans la madrague. »
Jamais équation ne fut plus clairement posée, jamais aucun homme ne se crut aussi libre, aussi sûr de lui.
Jamais poisson n’alla plus exactement donner du nez dans la madrague. »
Lauren Hutton, Hécate des temps modernes : "Husky-voiced, gap-toothed elegance"
Lui qui, fort de quelques certitudes et de sa position, avait jusque là « dessiné sa vie comme une épure » va peu à peu entrer dans sa sidération lente où l’acte amoureux devient le miroir où passent, fuligineuses, les ombres de la chair. Clotilde révèle sa vraie personnalité, complexe, hantée, troublante et troublée. Celle qui incarnait la grâce devient Hécate, déesse fauve, fille de la nuit étoilée et du Titan. Etre lunaire, sombre, violemment divisé (à l’inverse d’Artémis), Hécate deviendra plus tard, sur l’île de Samothrace, l’objet d’un culte qui se répandit en Grèce. Son lieu d’élection est le carrefour où on lui jette, en offrande, des chiens sanglants… D’où le titre !
L’œuvre de Paul Morand (1888-1976) n’est guère lue aujourd’hui. Passée de mode… C’est dommage car elle comporte quelques joyaux, tels Hécate… ou Venises. Le style de Paul Morand, fluide et ciselé à la fois, n’a pas pris une ride. Presque comme Lauren Hutton, l’actrice qui incarne Clothilde dans l’adaptation cinématographique qu’en a faite le regretté Daniel Schmidt.
Le livre Paul Morand, Hécate et ses chiens.
Le livre Paul Morand, Hécate et ses chiens.
9 Comments
Alors là Jacques, je ne suis pas d’accord.
Dire que Paul Morand n’est guère lu aujourd’hui est archi-faux. S’il n’était pas lu:
1- la Pleïade n’aurait pas commencé la publication de ses oeuvres complètes.
2 – Guy Konopnicki ne pesterait pas sur l’engouement des lecteurs sur cet écrivain compromis et préféré Jean Malaquais (qui lui est par contre oublié)
3 – De Gaulle ne se serait pas si longtemps opposé à son à son élection à l’Académie Française.
4 – La génération Libé et son engouement pour le nouveau journalisme pratiqué dans les colonnes de Rolling Stone par Tom Wolfe et Hunter S. Thompson n’aurait pas donné naissance à un trés bon livre sur Morand écrit par un journaliste de Libé
et j’en passes…
Et ne pas oublier que Lauren fut top model et mannequin préférée de beaucoup de photographes
http://www.youtube.com/watch?v=W...
Morand était en poste à l’Ambassade de France en juin 40 (le Quai d’Orsay regorgeait de Plumes Hautaines voir Alexis Léger alias Saint John Perse et ses grands Vents autour du MOnde) et lorsqu’elle a été fermée par Vichy, il est rentré en France et comme dira De Gaulle qui s’est opposé à son élection à l’Académie: "Sa femme avait du bien. Quand on a du bien, on le fait passer avant la Patrie". Son Journal Inutile publié 25 ans après sa mort (valait mieux) est un tissu d’inepties (homophobe, antisémite, misogyne) où l’on trouve quelques perles: "Les vraies lesbiennes, les terribles, sont très bonnes conductrices d’autos" ou "Un homme à femmes renonce parfois aux femmes, mais une vieille tante ne renonce jamais aux hommes" ben mon colon! si je puis dire……
ET MOI je vous dis les chairs fuligineuses oui!!!!! (sur l’air de Bourvil)
Bien aimé L’homme pressé et New-York …
Oui Morand comme Céline avait, au moins…deux visages. Il n’empêche qu’ils honorent tous deux la Littérature.
Armand, je suis ravi de me tromper et d’apprendre que Paul Morand est encore "à la page". C’est un grand styliste et un explorateur audacieux de l’âme humaine. Quant à son "Journal Inutile", exhumé ici par Yves, son épithète en dit long sur l’estime dans laquelle son propre auteur le tenait…
C’est ça, finalement, toute la culture : on est charmé par le propos de quelqu’un qui vous met un mot en bouche, vous glisse une info, vous offre son ressenti simple et sincère. On se dit "tiens, je ne connais pas, je n’en avais jamais entendu parler, c’est intéressant, je vais creuser. Et puis on se retrouve sur Amazon, en 3 clics, et hop, "Hécate" est dans le panier" (pour 5,70€, frais de ports inclus). C’est un petit sentier qu’on va pouvoir emprunter dans quelques jours. C’est pas plus compliqué que ça.
Merci Jacques, pour votre sens du partage.
Cet "hécate", en effet, je ne le connaissais pas.
NB : Cette diablesse de Lauren Hutton, on peut aussi la retrouver dans un drôle de film intitulé "flagrant désir", qui date des années 80, et qui met en scène une famille viticole du Médoc…