Le temps calamiteux des deux derniers jours en Suisse laissait augurer le pire. Déjà, l’été fut loin d’être une sinécure, si septembre renoue avec les pluies de l’équinoxe, on devine que ça va être très dur : oh ! l’anticlyclone, pourquoi te caches-tu ?
Passé les derniers bancs de brouillard accrochés aux crêtes du Jura et aux falaises du Bugey, le temps, ce matin apporte un début de réponse : le soleil joue à la marelle sur la plaine de la Dombe.
Sur le muret, entre la Romanée-Conti et le Richebourg…
10.00, sortie Nuits St-Georges, le beau temps nous sourit. Un petit détour vers la Croix de la Romanée-Conti. Sur le mur de droite les vêtements de pluie des vendangeurs fument au soleil. La terre est lourde, humide, qui vous retient. Amoureuse, dit-on parfois. Vraiment ?
Vue sur la zone des grands crus depuis les Petits Monts.
A gauche, le Richebourg. A droite, du haut vers le bas, Les Reignots, La Romanée et la Romanée-Conti.
Au milieu du Richebourg, sur le fameux méplat cher à Jacky Rigaux, les coupeurs sont au travail, visiblement heureux d’être là, dans ce soleil retrouvé. Pour mémoire, l'an passé le Richebourg avait été cueilli les 7 et 8 septembre, 20 jours de décalage sur ce cru entre 2011 et 2012.
Nous remontons la pente douce par l’ancien chemin qu’empruntait le curé de Vosne pour aller dire la messe sur les hautes côtes. L’imposant tracteur-enjambeur jaune où sont stockées les cagettes déverse de la musique entre les rangs de vignes. Prince, David Bowie, et un zeste de techno pour pimenter le paysage :
Mais où sont nos chants d’antan ? Dites-moi où ? En quel pays ?
Aubert de Villaine (deuxième depuis la gauche) à la table de tri.
11.10 Vosne-Romanée : le vendangeoir de la DRC bruisse d’une activité intense. Les caisses du Richebourg récolté à l’aube sont en train d’arriver. Une douzaine de personnes ont pris place autour de la table de tri et ne laissent rien passer. Jacques Tatasciore, l’artiste du Pinot noir helvétique, m’accompagne. Il discute avec Bertrand de Villaine. Il a trouvé aussi intransigeant que lui. La vendange est belle, plus belle que je ne l’imaginais après le mois de juillet difficile et la forte pression d’oïdium que l’on a connu. Le raisin est savoureux, mûr, doté d’une belle fraîcheur. Les 50 mm de pluie tombés mercredi n’ont pas trop affecté la qualité du raisin.
Une équipe des Racines et des Ailes est en train de tourner. Pas de quoi affoler l’imposant Bernard Noblet, le maître de chais, qui traverse la séquence, imperturbable et silencieux, tel un metteur en scène juste avant la première, après des mois de répétition.
12.30 C’est l’heure de se poser, de redescendre lentement sur terre. De sustenter les corps et raviver les énergies. Une centaine de vendangeurs sont à table, la mine réjouie. Au menu, œufs mimoa et salade – Rôti de veau et gratin de blettes – Fromages et tiramisu. C’est roboratif et bon. Pour accompagner cette agape, un vin rouge. Servi dans une bouteille anonyme. C’est le vin des vendangeurs versus DRC. Un pinot noir friand et fruité. Peu d’alcool, une agréable vivacité, des notions de petits fruits. Ce vin est fait avec les raisins moins mûrs mis de côté à la table de tri. Tout simplement exquis. Et je vous jure que nous y avons reconnu le début (ou la trace) d’une signature du terroir. J’en prendrais bien quelques bouteilles p.m.g !
Vendanges au Clos de Tart.
14.00 Aubert de Villaine est parti avec l’équipe de télévision dans le Montrachet où les vendanges pressent. Cet esthète a sans doute dû apprendre à composer avec les contraintes imposées par sa charge et la notoriété qui l’accompagne. Sans jamais se départir de son calme intérieur et de sa vertu contemplative. Nous le saluons et mettons le cap sur le Clos de Tart. Les vendanges viennent à peine de commencer ici. La partie du bas du Clos. Des plus jeunes vignes, âgées d’une dizaine d’années. Sylvain Pitiot est au cuvier, testant une nouvelle table de tri vibrante. Une quinzaine de personnes sont au travail dans les vignes. Nettement moins, pour l’instant, dans le cuvier et à la table de tri.
Sylvain Pitiot, Clos de Tart.
Ici, tout est simplifié au niveau de la logistique. Quelques mètres à peine, un escalier à franchir, juste le temps d'admirer la coupe d'un beau calcaire à entroques, et vous voici dans le Clos, 7.53 ha très exactement. Une vision pour le futur : imaginez un réseau complexe de tapis-roulant qui, parcelle après parcelle, amèneraient directement les raisins au cuvier. Presque de la téléportation quantique. Dans celui-ci, six petites cuves, pas une de plus. Elles contiendront bientôt l’intégralité de la récolte. Rien ne sera jamais aussi simple.
Christophe Perrot-Minot, Morey Saint-Denis.
15.30 Banlieue de Morey-Saint-Denis ou, plutôt, la zone d’activité sise au sud de la D974. De petites villas, le long d’une Wisteria Lane à la bourguignonne ; elles sont entrecoupées de quelques caves. Celle du domaine Arlaud n’est pas très loin, avec son parc à chevaux.
Je n’avais encore jamais visité la nouvelle cave de Christophe Perrot-Minot. C’est l’occasion. A l’entrée, sur la table de tri, les derniers raisins de Morey St-Denis En la Rue de Vergy défilent. Christophe a la mine fatiguée de ceux qui, les vendanges terminées, sentent la pression se relâcher et rêvent, peut-être, de s'acheter une nouvelle Transat.
C’était le cas également, tout à l’heure, de Louis-Michel Liger-Belair au volant de son Clark : »Je suis crevé, on est tous crevés ! »
Christophe nous fait visiter sa cave dernier cri. De l’extérieur, elle ne paie pas de mine, mais l’intérieur vaut le déplacement. Un modèle de cuvier ergonomique, pratique et astucieux qui enthousiasme notre ami neuchâtelois ! Sur les cuves, le cru ou le climat et la date de vendanges. Tout ici a été optimisé pour travailler d’une manière artisanale. Pas de High tech, pas de robots pigeurs mais une batterie de petites cuves en inox et en béton, toutes accessibles très facilement. Christophe est visiblement content du millésime. La mine gourmande, il soulève le couvercle de quelques petites cuves : Nuits St-Georges Ultra, Chambolle Combe d’Orveaux Ultra, pétard ! qu’est-ce que ça fleure bon dans là-dessous !
17.00 Back to Vosne-Romanée. Les Genaivrières : une maison discrète avec ses lourdes grilles en fer. Les pas crissent sur le gravier. Pas exactement le genre d’endroit où l’on sonne à l’improviste mais soyons fous, osons ! Deux caniches nous accueillent avec une salve d’aboiements. Elle est là, assise à son bureau, aux murs garnis de photographies. Fragile et forte à la fois. Dans le regard, une flamme dansante, mystique, une ironie aussi, perceptible, une forme paradoxale de douceur et de ténacité, prompte à se muer en griffure au gré des circonstances.
Lalou Bize-Leroy et Jacques Tatasciore.
Elle ? Lalou Bize-Leroy, icône des grands vins de Bourgogne. Elle parle à la terre à ses vignes, à ses cuves. Tous les jours et toutes les nuits ! Sûr qu’elle continue de rêver de musigny, de chambertin ou de romanée saint-vivant, comme d’autres espèrent découvrir une étoile très ancienne du fin fond du désert d’Atacama.
Après la vendange : vigne de Romanée-Conti.
Les vendanges sont terminées depuis quelques jours ici. Lalou est très contente de ses 2012. Peu de volume mais de beaux raisins. Pour peu, elle exulterait.
Dans l’alignement des petites cuves noires, l’équipage du vaisseau s’affaire, les jambes nues, bronzées aux anthocyanes. Ici, chaque cuve est pigée au pied, dans un corps à corps très doux avec la vendange entière.
Lalou donne quelques instructions à son équipe. « Et celui-là, vous y allez en douceur, hein ? » Eux, ils écoutent. Comme quand on pressent qu’on est dans les parages du sacré.
Et elle, tombée d’une falaise il y a quelques jours, encore cassée de partout, se désole de ne pouvoir piger elle-même le raisin cette année. Elle qui sait, à plus de 80 ans, que les miracles n’existent pas, mais nous effleurent parfois : « ça vous dit de goûter quelques moûts, tenez le Clos de la Roche et les Combottes ? Ils viennent d’être pigés, ils sont troubles mais vous verrez … qu’est-ce que c’est bon ! »
On déguste les jus noirs, denses, pleins de particules. Le ferment est déjà actif. L’esquisse est là, pleine de saveurs, et de promesses. L'image du grand vin prend naissance ici. Le reste appartient au territoire du temps et du rêve.
5 Comments
Bravo pour ce reportage de première main !
On peut le dire : cela ne sera pas mauvais (understatment).
Hommage appuyé à cet article sur le forum Parker : bravo !
dat.erobertparker.com/bbo…
Travaux pratiques ce soir à Milan avec une mini-verticale de 3 La Tâche : 2009 – 2001 – 1996
Et en entrée, deux millésimes d’un riesling du Dr Ernst Loosen.
Pendant que certains se promènent, d’autres travaillent 🙂
Un autre site d’images :
http://www.wineterroirs.com/
Le point de vue d’Aubert de Villaine sur le millésime compliqué qu’est 2012. C’est à lire ici : gje.mabulle.com/index.php…
J’aurais aimer avoir une photo ancienne sur la vendange et plus exactement sur le pigeur afin de faire un tableau je suis peintre merci