Premier arrêt à la Weingut Joh. Jos. Prüm dont la belle maison regarde passer les grandes péniches qui sillonnent la Moselle. Le distingué Dr Manfred Prüm nous reçoit dans son salon pour un parcours à l’aveugle des différents vins et terroirs de ce domaine de 20 ha très réputé.
J.J. Prüm a des vignes sur quelques-uns des terroirs les plus prestigieux de la région et le propriétaire nous donne volontiers sa hiérarchie personnelle parmi les crus qu’il possède :
1. Wehlensonnenhur (dont sont issus les vins qui mettent le plus de temps à s’épanouir)
2. Graacher Himmelreich
3. Bernkasteler Badstube
4. Zeltinger Sonnenuhr : se prête plutôt pour les vins secs et demi-secs
Wehlener Sonnenuhr 2007 Kabinet
Le nez est plus dense, notes de poudre de citron, minéral. Très belle bouche, tranchante, beaucoup plus de vivacité et de dynamisme. C’est plus austère, plus dynamique.
Thierry Hamon, chef sommelier du « Cinq » au George V suggère un cabillaud frais au curcuma et à la citronnelle. Adopté.
Graacher Himmelreich 2003 Auslese Goldcapsule
On se rend ensuite à Graach an der Mosel, un des plus beaux villages de la région, dominé par les crus « théologiques », le Abstberg, le Himmelreich et le Dompropst. Willi Schaerer, grand vigneron, nous y attend. Grand, svelte, d’une exquise courtoisie, Willi Schaerer est à la tête d’un petit domaine de 4 ha. Tous ses vins m’ont ébloui par leur pureté stylistique et leur énergie. Superbe matière première et vinification lumineuse (la qualité du pressurage est ici magistrale).
Ils font partie à mon sens de ce qui se fait de plus grand dans la région et méritent l’attention de tout amateur de riesling. Michel Bettane à qui j’en faisais part lors de la vente aux enchères de Triève (il connaît les vins de Schaefer depuis de nombreuses années) a acquiescé : normal, ce sont des vins cristallins pour amateur de grand chablis ! Exactement ce que j’avais noté au moment de la dégustation.
Là également, il m’est difficile de n’en désigner que deux mais, puisque telle est la règle obscure que je me suis imposé, les voici :
GraacherDomprobst 2007, Riesling Spätlese
Très cristallin, très pur au niveau aromatique, même si encore sur la retenue. Il offre une bouche remarquable, la quintessence d’un grand Spätlese, incisif, stylé, sur une finale aux notes hespéridées sublimes. A peine 8 % d’alcool pour une acidité de 8.5 et 50 g de sucre résiduel : les chiffres ne veulent pas dire grand chose. Tout réside dans l’harmonie vibrante de ce vin.
Le lendemain, lors de la vente aux enchères de Triève, un lot de 420 bt de ce vin est parti à 50 euros la bouteille. Le prix aurait pu être supérieur mais, jugeant que c’était « suffisant pour un Spätlese », Willi Schaefer a rajouté quelques bouteilles afin de stopper là les enchères. Un grand monsieur !
GraacherDomprobst 2006, Riesling Beerenauslese
Je choisis ce vin parce que dans un millésime loin d’être facile, avec beaucoup de botrytis et pas mal d’hétérogénéité, Willi Schaefer donne toute la mesure de son talent. Vendangé assez tôt, mi-octobre, par crainte d’un botrytis galopant et des pluies qui ressuient les acidités, ce vin est un véritable « tour de force », tout en pureté et en équilibre. Notes balsamiques et écorce d’oranges au nez, il révèle un corps superbe, onctueux, évasé, sans lourdeur malgré une liqueur importante. Et, toujours, sur la finale, très longue, cette signature du style Schaefer, cette pureté et ce dynamisme. Un vin qui titre à peine 7.5 %.
Dr Loosen, l’héritage inestimable
Tout à côté, à Bernkastel-Kues, en bordure de la Moselle, voici la maison du Dr Loosen. Ernst Loosen se penche à la fenêtre et nous gratifie d’un bonjour sonore et rieur. Etonnant personnage : virevoltant, dynamique, débordant d’énergie (est-ce l’effet du riesling ?), gourmand et esthète, Ernie (pour les intimes) est un véritable météore. La dégustation démarre sur les chapeaux de roue, à travers quelques-uns des plus beaux terroirs de la région. Le domaine possède en effet six crus :
Urziger Würzgarten
Wehlener Sonnenuhr
Bernkasteler Lay 200 caisses
Himmelreich
Erdener Trepchen
Erdener Prälat
Dans chacun de ces crus, sauf dans le Erdener Prälat, un vin sec est produit. La proportion de vin blanc sec est donc beaucoup plus importante ici que dans le reste de la Moselle, moins orientée sur la production de vins secs que la Nahe par exemple. La question demeure de savoir si cette « absolutisme » du vin blanc sec est ici judicieuse. Quoi qu’il en soit ces blancs fougueux et minéraux ne sauraient laisser indifférent d’autant que, issus de terroirs de tout premier ordre, ils sont produits à partir de vignes d’un âge canonique (de 60 à 120 ans pour le Erdener Trepchen), la plupart franches de pied, comme dans une bonne partie du vignoble mosellan. Je suis désormais certain que le propriétaire puise son incroyable vitalité dans cet incroyable héritage.
Deux vins, vraiment ? Allez, juste pour rester sur ces hauteurs…
Erdener Prälat 2007, Auslese
Le Prälat d’Erden, mutatis mutandis, est un peu la Romanée-Conti de la Moselle : 1.6 ha de superficie au total pour ce cru partagé entre 19 propriétaires (Dr Loosen en possède 0.6 ha). Un coteau abrupt, exposé plein sud, un endroit très solaire qui donne des vins baroques. Un moment émouvant que de goûter un tel cru. La tension entre la liqueur et l’acidité est superbe et il révèle une profondeur aromatique exceptionnelle, associant des notes fumées, minérales, à des nuances infinies de fruits confits, d’agrumes, d’écorce confite d’orange amère, sur une finale interminable. Une splendeur !
Ce terroir est situé juste au-dessus du Erdener Prälat. Autant dire les escaliers du paradis (Trepchen signifie « escaliers » du nom de ces escaliers en pierre construits pour atteindre le sommet des vignes). On se trouve ici sur des schistes rouges sur un terroir très particulier. Les vendanges ont lieu très tard, début novembre, parfois à la mi-novembre et il n’y a jamais de botrytis. En revanche le millerandage important concentre une matière déjà très dense au départ. Agée de 120 ans, la vigne du Erdener Trepchen n’atteint sans doute jamais le 50 hl/ha autorisé pour les GG. Ce vin m’a laissé sans voix par son incroyable densité, un extrait sec impressionnant, une pure eau de roche, un concentré tellurique, avec une finale explosive incroyable.
8 Comments
Magnifique.
Question : savez vous si Willi Schaefer avec ses 4ha "fait tout tout seul" ? Est il aidé par du personnel ? 4ha peut sembler "petit" mais quand on connaît les pentes et les conditions de travail d’un tel vignoble, on se pose la question. Je rêve de goûter ses vins…
Concernant les pentes et le terroir de l’Erdener Treppchen/Prälat, je crois que je n’ai jamais rien vu de tel depuis que je me promène dans le vignoble. Sur certaines micro-terrasses il n’y a de la place que pour une seule petite rangée de quelques ceps, et je soupçonne d’ailleurs que le travail sur ces parties accidentées se fasse en rappel. Avez vous eu des infos là dessus ? Michel Bettane m’avait raconté je crois que les ceps étaient marqués à la peinture pied par pied pour distinguer les propriétaires…
L’impression que j’ai eu à cet endroit du vignoble allemand est véritablement celle d’un « entêtement de civilisation » (pour reprendre les mots d’Aubert de Villaine) incroyable. Je ne voudrais pas faire de la philosophie de bas étage mais quand on voit cela on se dit que la l’homme est capable d’aller très loin dans le dépassement et la sublimation de sa Condition Humaine… et personnellement je trouve cela beau et émouvant.
Nicolas,
Comme je le disais avant-hier, les pentes du Douro montrent aussi un acharnement humain invraisemblable.
Le cingle de Trittenheim est l’un des plus beaux paysages que j’ai pu admirer.
J’ai dégusté au restaurant en haut de la pente un magnifique Willi Schaëfer – Graacher Himmelreich – Riesling Spätlese 2003, si mosellan dans l’âme …
Pour répondre à votre question, Nicolas, Willi Schaefer travaille avec sa femme et son fils. Ceci explique sans doute le travail de dentelle fait au vignoble et à la cave. Merci pour votre excellent commentaire sur les crus d’Erden. Effectivement les ceps, à haute densité de plantation évidemment, sont tellement entrelacés que des marques de peinture sont nécessaire pour distinguer leurs propriétaires !
Je ne puis qu’abonder dans votre sens : il y a du Sisyphe chez chacun des vignerons de Mosel ou du Douro (et de quelques autres régions similaires).
Quels bons souvenirs vous m’offrez là Jacques.
Je suis allé à deux reprises chez Willi Schaeffer (dont l’époouse parle un français parfait). En 2000, il devait avoir à peu près 3 ha de vignes. Il voulait bien grandir un peu, mais à la seule condition de pouvoir acquerir ou travailler les vignes les mieux situées. Apparemment c’est fait.
Il travaille au moins avec son fils (Christoph ?) qui finissait ou venait de finir sa formation à Geisenheim.
Si en Valais la viticulture doit beaucoup aux ouvriers portugais, en Mosel, c’est aux ouvriers polonais qu’elle peut dire merci.
Concernant le Dompropst, un prof de la fac de Heidelberg présent à la cave en même temps que moi, disait à Willy que l’écriture probst était fausse. Apparemment, il n’a pas corrigé. Quelle importance après tout.
J’ai de moins en moins de ces superbes bouteilles en cave. Ca c’est rageant.
cordialement,
Laurent
"disait à Willy que l’écriture probst était fausse".
Rigolo, Laurent P. 🙂
Molitor écrit Graacher Domprobst sur ces étiquettes …
Laurent,
je sais bien que cela parait drôle que ce soit moi qui ait écrit cela.
Ceci étant, sur l’affiche géante dans le cru, on lit DOMPROPST et non BST. D’où la remarque de ce monsieur.
Peut-être que l’erreur vient que le typographe n’avait pas deux p de disponibles ? 😉
amicalement,
Laurent
En effet,
En tout cas, ces reportages de Jacques Perrin me replongent dans de belles aventures … (om m’a dit que 2007 est une grande années en Moselle).
Et il y a aussi ces vignobles confédérés escarpés …:-)
A bientôt (avec une petite laine ?).
Merci pour la réponse M. Perrin. Immanquables aussi les deux monorails à crémaillère en contrebas de l’Erdener. Un vignoble à "vivre", incontestablement. Une fois s’être promené en ces lieux, on ne boit plus les vins qui en sont issus de la même façon. Leur pouvoir d’évocation pour notre cerveau et la capacité à susciter des images en sont décuplés. La magie des grands terroirs et des grands vins. Le plaisir est total…