Et tout ça pourquoi ? Pour l’amour de soi ! En marchant, je module cette expression, la découpe, la tord, l’adapte à l’espace dont elle désigne le point de départ : respect de soi, don de soi, estime de soi, silence de soi, nostalgie de soi, découverte de soi, amplitude de soi, solitude de soi, partage de soi, sculpture de soi, édification de soi… Nous sommes au cœur de l’immanence. Et nous y resterons…
Je vous livre une clé de compréhension : parcourant une carte du massif des Dents du Midi – que j’admirais la semaine dernière depuis le col du Demècre (voir Rencontres au sommet) –, je suis tombé par hasard sur cette étrange toponymie : Soi. Aucun narcissisme primaire ici mais tous les ingrédients de ce qui allait devenir une belle course : d’abord la montée vers Soi d’en Haut, ensuite vers le Signal de Soi, puis le regard suit la découpe parfaite de l’arête de Soi qui plonge de la Forteresse, une des Dents-du-Midi.
Sous le glacier de Soi, un peu anémié il est vrai, dominé par la présence des grandes orgues sénescentes de la Cathédrale, de l’Eperon, de la Dent jaune, des Doigts, puis de la Haute Cime, un sentier file à travers les abîmes en direction du refuge d’Antème et des petits lacs qui l’égayent.
Nous empruntons cette sente avec Michel, un ami qui vient de débarquer après périple d’un mois en mer sur son bateau. Il me parle des mouillages, au soir, dans des criques enchanteresses, pas une âme qui vive et ces paysages de début du monde, la saveur iodée d’un poisson frais pêché, le vin qui va avec, bien sûr ; la Grèce, les îles, la remontée vers le port d’attache, les petits ports de Calabre, les reliefs volcaniques, des noms de sortilèges que j’ai oubliés, des bouts de terres battus par les vents et les écumes, que l’on ne fait qu’effleurer du regard. Interdiction de s’arrêter. Là aussi…A quoi songe Michel devant le mastodonte qui nous surplombe ? Peut-être à ces vers du Bateau Ivre :
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !
On devise, on partage ces impressions, venues du dehors. Et puis on se tait devant cette joie immense. D’être ici. Et pas ailleurs. Et soudain cette merveille. Un cirque de montagne nous entoure, vaisseau magique surgi d’un rêve. Et au centre de ce dernier, écrin fastueux, deux turquoises, les petits lacs d’Antème. Et juste à côté le refuge d’Antème comme un balcon escarpé face aux montagnes paisibles du Chablais. Quelques moutons se sont égarés jusqu’ici. L’un d’entre eux, artiste complet, s’est installé, seul au centre du cirque, là où la voix porte le mieux. Son voix monte des profondeurs, monodie sobre, monacale. Chant grégorien ? J’y entends plutôt les fragments d’une chanson de Léo Ferré
T'as les yeux de la mer et la gueule d'un bateau
Les marins c'est marrant même à terre c'est dans l'eau
Alors, nostalgie ou pas, et même si le Pavarotti de la Haute Cime n’est pas au rendez-vous, cette balade, vous l’aurez compris, vous est vivement recommandée, en dépit même de l'avertissement comminatoire qui justifie le titre de cette chronique… Pour amateurs de solitude montagnarde et de paysages grandioses uniquement !
Itinéraire :
Pour accéder aux lacs et aux refuges d’Antème, plusieurs possibilités s’offrent à vous.
– depuis Champéry : compter 5 h A/R
– depuis Soi d’en Haut : compter 2h30 A/R. Attention la montée en voiture depuis Val-d’Illiez jusqu’à Soi d’en Haut emprunte une route étroite, non goudronnée et plutôt escarpée à certains endroits. 4X4 recommandé. Conducteurs timorés s'abstenir !
– Depuis la cabane de Susanfe : 3 h.
Carte : Du Léman aux Dents-du-Midi, le Chablais valaisan 1 : 25 000
Mais, s'il vous plait, dans tous les cas de figure, ne vous arrêtez pas, ne pique-niquez pas au pied des bastions redoutables. Attendez d'être arrivés sur le plateau d'Antème !
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