Bâtie au VIIIème siècle selon les règles de la géomancie et du feng-shui chinois, Kyôto (« ville-capitale ») a régné pendant plus de 1000 ans sur l’histoire de Japon. Quand on arrive ici pour la première fois, toute suite cette évidence vous saisit d’un lieu parcouru par des « ondes », des énergies positives.
Si avec la montée en puissance au XVII ème siècle du shogunat Tokugawa Kyôto, le centre administratif et politique a été transféré à Edo – qui, dans l’aventure, a changé de nom pour devenir Tokyo (« la capitale de l’est » – Kyôto est restée ville impériale jusqu’en 1868.
Kyôto, Nishi-Honganshi temple.
Aujourd’hui encore, elle continue d’être une phare, un pôle culturel majeur de l’Empire du Soleil-Levant. Cette ville intemporelle, fascinante, plurielle a en même temps quelque chose d’unique. Elle est restée elle-même, à travers les siècles et l’histoire. Malgré quelques concessions douteuses à l’urbanisme galopant des années 60-70. Avec ses 1600 temples, ses extraordinaires jardins, ses quartiers préservés, Kyôto aurait pu devenir une ville carte-postale, un cliché. Rien de tel ici.
C’est cela le miracle de Kyôto dont la beauté exceptionnelle (une vingtaine de sites sont classés au patrimoine mondial de l’humanité) est d’autant plus émouvante qu’elle a failli disparaître. Kyôto figurait en tête de listes des cinq cibles choisies par les militaires américains pour le largage de la bombe atomique ! L’intervention de Serge Elisseef, professeur à la Sorbonne et à Harvard, appuyée par le secrétaire d’état Henry Lewis Stimson, permit d’épargner Kyôto…
Par où commencer pour décrire la ville-capitale ? Par la beauté de ses quartiers les plus célèbres, Gion, Pontocho en tête ? Par sa gare, immense arche lumineuse où se croisent chaque jour 250 000 voyageurs ? Par ses temples où l’infini circule déchaussé, glissant silencieusement sur la patine des planchers de cèdre ? Par ses myriades de restaurants ? Par sa lumière déjà évoquée ? Les montagnes si proches ? L’or des collines et les éclairs pourpres des érables ? Les chauffeurs de taxi en livrée et gants blancs ? Le damier des rues où il paraît impossible de se perdre n’était-ce qu’on ne sait pas lire le nom des rues… Par Katsura, la villa impériale, qu’on ne verra pas cette fois-ci,inspirée au prince Toshito par une vision sortie tout droit du Dit du Genji ? Par les trilles monodiques, lénifiantes, régressives des jeunes filles en fleurs dans les magasins et les boutiques ? Par les « hai » vigoureux, comminatoires presque, dont chacun, encore plus qu’à Tokyo, ponctue ici la « conversation » qui signifient « j’ai bien entendu ce que tu veux me dire » ?
Ginkaku-ji (pavillon d'argent), jardin zen, Ginsadan.
Par le bien-nommé chemin de la philosophie parce que la pensée et la méditation sont une déambulation ? Par les vertus comparées de Ginkaku-Ji (le Pavillon d’argent) et le Kinkaku-Ji (le Pavillon d’or) aux mille reflets ? Par l’histoire de ce moine, accablé par tant de beauté, qui mit le feu à Kinkaku-ji et que Mishima a écrite ? Par le vibrionnant Nishiki market ? Par la cuisine kaiseki de Chihana ? Par les encres noires, la voie du sumi-e ? Par la phobie microbienne qui incite un bon quart de la population à s’avancer masqué ? Par le boucan des Pachinko (si l’enfer a un bruit, il doit ressembler à cela) ? Par la propreté méticuleuse, lancinante, exclusive qui règne ici, relèguant la nôtre (celle de l’Helvétie) au rang d’approximation douteuse ? Par le look des jeunes dans la rue, version édulcorée de ce que l’on peut voir à Tokyo sur le pont Harajuku ? Ephèbes aux cheveux teints, mèches alanguies, port visual rock, et filles Kogal, diaphanes, faux-cils en bandouillères.
Kyôto, 31 décembre, 23.59. Pas de débordement…
Où commencer, oui vraiment ? Par l’absence de hasard, d’improvisation qui semble affecter la marche même des piétons dans les rues ? Par tous ces contrastes, ces contradictions mêmes, dont est pétrie l’âme japonaise ?
Par le commencement ? Mais cela n’a ni début ni fin. Seul le présent de l'instant…
Par le milieu ? Cette ville en damier n’a ni centre ni périphérie, mais une présence. Totale. Fascinante. Il suffit donc de commencer par rien. Se laisser porter par le hasard.
Nishiki market, la boutique du plus célèbre coutelier de Kyôto.
Nicolas Bouvier rapporte ce proverbe tokyoïte. Lancez une pierre au hasard, vous aurez beaucoup de chances d’atteindre un professeur…
Je n’ai pas jeté de pierres dans le ciel. J’ai pu vérifier presque l’adage. Dans la plupart des restaurants visités, assis au bar ou dans le zashiki, un professeur se trouvait là, dînant seul ou en famille. Avec une dizaine de convives à chaque fois, pas davantage, on devine vite qui est qui… Une fois, c’était un professeur de philosophie, spécialiste de Kant et de l’existentialisme ; d’autres fois, des professeurs de langues, avec lesquels la conversation s’engageait naturellement. La seule exception : le dîner du dernier soir, chez Daisuke Matsumoto, l’un des maîtres tokyoïtes du sushi. A côté de nous, une table de quatre. Des yuppies ? Des fans de gastronomie ? Des étudiants ? Ce grand gaillard, la trentaine aux cheveux teints, ne ressemble pas pourtant pas à un professeur. Et pour cause, c’est Jun’ichi Inamoto, star du football au Japon.
Clio et Tomoya, son "tuteur".
Kyôto, ville de 1.5 millions d’habitants compte 36 universités. La population estudiantine représentant environ 10 %. Ma fille aînée Clio a le privilège de passer un an à Kyôto pour étudier à l’université de Kyôdai, l’une des plus réputées du pays. Chaque étudiant étranger est suivi par un « tuteur ». Celui de Clio s’appelle Tomoya, un jeune Japonais dynamique, très attachant. Il termine sa thèse en linguistique sur…le romanche, notre quatrième langue nationale ! Il va d’ailleurs venir passer un mois dans les Grisons prochainement. Ce futur professeur d’université rêve de revenir pour le Festival de Jazz de Montreux et connaît King Crimson… Contrastes japonais toujours !
15 Comments
Stupéfiants jardins, proches et si lointains à la fois … quand la banalité se fait enthousiasmante …
Kyoto n’est pas, vue de loin, une belle ville.
Ce n’est ni Paris, ni Prague ni même Katmandou.
Mais elle regorge d’endroits paisibles, de jardins, de temples …
Il faut la voir de près.
… par les très rares pierres à aiguiser naturelles Tennen Toishi des carrières higashi et nishimono: Maruka, Ozuku… pour un affûtage miroir de vos yanagi-ba, deba ou usuba
En tout cas, un billet qui donne envie d’aller la voir de près, cette ville…
Sous la neige et aussi à la saison des cerisiers en fleurs …
"I shin den Shin," m’a t’on appris un jour assis sur un zafu…
" De mon âme à ton âme"…
Tu me touches, mon ami, par ces billets légers comme l’air et dont le souvenir, pourtant, m’accompagne tout au long du jour…
Je me suis replongé dans ce livre :
http://www.amazon.fr/Benar%C3%A8...
Nicolas Bouvier parle de six ans temples, ce qui est déjà considérable.
Laurentp
600 même, Laurent !
🙂
Certains ayant brûlé plusieurs fois dans leur histoire …
Que diable ai-je écrit là ?
Oui, 600 temples !
laurent
Laurent et Laurent sont dans un bateau (sur le lac Biwa), Laurent tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste?
Ce billet me met l’eau à la bouche, on m’a beaucoup dit sur la beauté de Kyoto, … après ça je crois que je vais la mettre dans ma liste des villes à visiter très prochainement … enfin j’espère
"tu t’es vu quand t’as bu sur la lac Biwa" ?
Quelle question Armand ! On s’entraide voyons. Laurent et moi on a un Rayas 98 à partager avant de périr.
Mais sur le lac il pourra me tirer par les cheveux s’il veut pour me sauver.
Si c’est la vieille femme hirsute et fantomatique de la porte Rashô, je crois que je préfère couler à pic par contre.
laurent
Rayas 90, si je ne m’abuse, LaurentP !
🙂
C’est avec une émotion indescriptible que je découvre votre blog