On retrouve celles-ci plus loin, furtives, mutines, parmi les ruelles du Ponto-chô. D’ici, du temple Kiyomizu (temple de l’Eau claire), perché dans la montagne, on entend presque le bruissement de leur conversation mêlé aux rires des étudiants venus boire ici à la bienveillance de leurs futurs examinateurs.
Puis, très vite, une ombre recouvre Kyoto. Il fait nuit noire à cinq heures. Ce contraste si rapide est saisissant, superbe. Comme si tout à coup la ville s’illuminait de l’intérieur, entre ombre et lumière. Comme si la ville nous transportait, sans que nous en ayons totalement conscience, dans d’autres temporalités. Ainsi, peut-on éprouver, dans certaines du Japon, cette impression étrange de vivre, au fil des déambulations, dans des moments appartenant à des durées différentes, la superposition de plusieurs ères…
Temple de Kiyomizu (temple de l'Eau claire).
Au Japon, on à la mémoire longue, impériale, séquentielle, et le temps n’est pas uniquement resserré dans la continuité linéaire du calendrier grégorien mais il est défini volontiers par les différentes ères qu’a traversées le pays. Il est ainsi fréquent de parler de l’an 21 de l’ère Heisi (qui a débuté en 1989) plutôt que de la fin de l’année 2010.
L’air est froid, souligné par un petit vent tranchant. Que cette ville est belle ! Il y a des endroits comme ça, que l’on espérait visiter depuis longtemps, des lieux d’élection nourris de mots, d’images, d’attentes. A peine débarqué, la ville vous parle, exactement telle que vous l’aviez entendue en rêve. Vous entendez battre son pouls comme un cœur immense qui est celui de la vie même. Non pas celui de tel individu, de tel roman ou de tel film, mais un ensemble plus vaste, la synthèse d’une culture fascinante, originale, qui multiplie les contrastes et se distingue par son idéal de perfection, son souci de l’essentiel, de l’épure, qui est attention aux détails, aux formes, au silence, au frémissement de l'instant et de la durée, au geste apparemment le plus anodin.
"Un professeur de Kyoto attend la visite d’un cousin de la capitale, jeudi par le train du soir…"
Il ne faudrait pas lire de livres avant de partir en voyage mais au retour, écrivait Bouvier. Sur le quai de la gare de Kyôto, avant de partir pour Kanazawa perdue dans les montagnes, je n’ai pu pourtant m’empêcher de relire un extrait du magique Nicolas Bouvier. C’est une anecdote. C’est pourquoi elle va à l’essentiel. En attendant voici quelques clichés. Avant d’autres mots. On parlera de la cuisine plus tard.
Hyo-Tei près du temple de Nanzenji, *** Michelin, sans doute dans le hit-parade des dix grands restaurants les plus improbables du monde !
"Un professeur de Kyoto attend la visite d’un cousin de la capitale, jeudi par le train du soir. Le mercredi, il l’aperçoit dans Kawaramachi, chargé d’emplettes. Ils se heurtent presque, se reconnaissent parfaitement mais ne bronchent pas. Le jeudi soir, le professeur va, comme convenu, attendre son cousin à la gare, dans le hall central et non pas sur le quai comme on le fait d’ordinaire, pour ne pas l’embarrasser, puisqu’il est déjà là. A six heures, le cousin débarque de l’express de Tokyo qu’il est tout exprès allé prendre à la gare d’Otsu. Alors, on se congratule et on se salue sans la plus mince allusion à la rencontre de la veille."
Nicolas Bouvier, le vide et le plein (Carnets du Japon 1964-1970)
8 Comments
Ravi que vous soyez arrivés sans encombre..
Et heureux que Kyoto vous ait déjà charmé !
Puisqu’on parle d’anecdote, en voici une sur Nicolas Bouvier:
Lorsqu’il envoie ses premières photos du Japon à Thierry Vernet en suisse, celui-ci remarque qu’il y a toujours un premier plan important. Il en fait la remarque à Nicolas Bouvier qui lui répons que le Japon est très difficile à photographier parce que l’ensemble n’existe pas; tout est dans le détail. Par la suite Nicolas Bouvier décidera de ne prendre presque plus que des photos de personnages…
Je vois que Jacques a déjà saisi cette particularité !
So long à vous tous, on attend la suite avec impatience (un peu comme les lettres de N.B.en 1964)
Content que vous ayez pu aller à Hyo-Tei et hâte d’en lire de belles lettres.
Je partis aussi un jour de Kyoto vers Kanazawa (qui n’en a pas le charme).
10 jours pleins à Kyoto pour tenter de découvrir la ville, ses jardins, ses temples, ses marchés, ses restaurants, ses foules policées.
livre.fnac.com/a1334159/N…
http://www.evene.fr/livres/livre...
Et aussi :
Japon, éditions Rencontre – L’atlas des Voyages, Lausanne, 1967
Japon :
Pays de toutes les nuances du bois, de la mousse, du thé amer et de toutes ces grosses flûtes de bambou dans lesquelles on engouffre l’air par litres pour obtenir cette note basse et tremblante d’une mélancolie qui en dit long sur la pays (le vide et le plein).
Merci pour cette remémoration, Jacques !
Sacré Grand Jacques ! Traditor autorisé !
Tu nous apprends tout au retour sur tes émotions visuelles et culinaires.
Une grosse différence avec Tokyo, côté habitants ?
La différence entre Tokyo et Kyôto ? Enorme, François ! Deux villes, deux univers complètement différents. Il faut que tu viennes voir. Tu vas adorer. C’est à tous points de vue beaucoup plus excitant que Tokyo !
Jacques,
As-tu prévu un saut à Nara ?
Bonjour Laurent ! L’arrêt à Nara n’était pas prévu mais grâce à ta suggestion, nous y allons demain ! Merci pour le "tuyau" !
Beaucoup de temples et de jardins paisibles, comme à Kyoto, des gravillons savamment lissés, des sushis succulents (anguille, coquille St-Jacques, oursin, …), des conducteurs de bus très serviables aux gants blancs, des foules qui ne se bousculent pas, des maisons basses en bois (et une Geisha, plus ou moins authentique, entraperçue dans sa démarche si particulière), des Ryokans minuscules (pour petits budgets), des bains chauds, des fils électriques en arrangement sauvage (comme en Afrique noire) …
Beau voyage que tu fais (et il faudrait aussi y être au Printemps).