Aucune envie d'y assister même si j'admire la perf', même si je demeure un inconditionnel de la première heure.
Les Stones, c'est un peu de notre jeunesse qui demeure, tant qu'ils dureront, nomades ténébreux, gardiens du feu. J'écris « nous » parce qu'il ne s'agit pas que la mienne, de jeunesse, ni même celle de la génération à laquelle j'appartiens, mais de la jeunesse du rock, d'un monde qui s'est formé, sur les cendres de la guerre, au milieu des années cinquante. Elvis, Buddy Holly, Eddie Cochran, Chuck Berry, Little Richard. Plus rien ne sera désormais tout à fait comme avant…
And I howled at my ma in the driving rain,
But its all right now, in fact, its a gas!
But its all right. Im jumpin jack flash
Its a gas! gas! gas!
Jumpin' Jack Flash
Dartfort, banlieue de Londres, début des années soixante, à une vingtaine de km au sud-est de Londres, c'est là qu'un séisme va prendre forme. A travers une rencontre, celle de Keith Richards et de Michael Philipp Jagger dit « Mick ». Richards fréquente en dilettante un école d'art pour indécis, Mick est un bon élève. Ils se connaissent de vue, s'échangent des disques, ceux de Chuck Berry, de Muddy Waters, une aubaine, un signe de ralliement. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Ils ne se quitteront plus. Malgré le succès, les filles, les drogues, la fatigue qui creuse déjà les visages.
De Edith Grove au succès : "Les Rolling Stones ont inventé un mode de vie" (Andrew Loog Oldham, leur manager de ces années-là)
Et puis viendra le temps, presque parallèle, les autres rencontres, comme inéluctables, tant l'histoire des Stones fait partie d'un destin, celle de William Perks (qui deviendra Bill Wymann, le bassiste taciturne originaire de Penge qui zone jusque là avec son groupe Les Cliftons : on regarde avec méfiance ce prolo un peu gauche au visage marmoréen mais il assure et il possède un superbe ampli Vox. Autre événement : il y aussi ce garçon lunaire de Cheltenham, court sur jambes, visage joufflu encadré par un casque doré, musicien surdoué, inventif, traînant tous les cœurs derrière lui, si fragile au fond. Il s'invite un soir dans le groupe. Il se nomme Brian Jones mais, à l'époque, il se fait appeler Elmo Lewis. Le piquant au passage à une chanson de Muddy Waters, il amène le nom qui va contribuer à fixer la légende, Rollin' Stones. Le destin (ou la gloire) sera injuste avec ce météore qui tente de s'affirmer durant les premières années comme le leader capricieux du groupe. Juin 1969, il est débarqué par le tandem Jagger-Richards qui s'est depuis longtemps installé au poste de commandement. Un mois plus tard, ce natif du signe des Poissons se noiera dans sa piscine.
Manque plus que le batteur, le métronome qui va contenir toutes les dérives, la pierre angulaire en quelque sorte. On déniche Charles Watts, une énigme ambulante, un prince de la concision, un taiseux, le moins Rolling Stones de la bande. Et pourtant, sans lui, les Rolling Stones ne seraient pas ce qu'ils sont ! Avec une fidélité sans faille, Charlie Watts va accompagner le groupe de sa frappe sèche et implacable durant toutes ces années, s'ennuyant mortellement en tournée. Le dionysiaque, ce n'est pas son style : pas de parties fines pour lui, ni drogues, ni filles, ni rien de ce qui constitue presque l'ordinaire d'un Stones en tournée. Après les concerts, Monsieur Charlie Watts se retire dans sa chambre qu'il entreprend de dessiner dans ses moindres détails, tout en rêvant souvent de jazz… Je rêve d'écrire un jour l'histoire de cette énigme !
On peut noter cette date : le 14 janvier 1963, réunis par un destin en marche, les Rollin' Stones jouent pour la première fois ensemble.
La question est toujours la même : parmi les nombreux groupes qui surgissent à ce moment-là, qu'est-ce que fait que les Rollin' Stones – groupe famélique de la banlieue londonienne qui, à ses débuts et contrairement aux Beatles, n'a aucune chanson personnelle au répertoire – vont devenir les Rolling Stones, un groupe mythique dont, près d'un demi-siècle plus tard – et ceci n'est pas rien, ni dans une vie normale, ni a fortiori dans une vie de rock star – la légende demeure intacte ? Les circonstances, les rencontres, un manager particulièrement habile, Andrew Loog Oldham, le côté sulfureux du band, les tragédies (Altamont, la mort de Brian Jones) les scandales liés à la drogue, au sexe, la succession quasi ininterrompue de tubes planétaires, son sens inné du buisiness, cette capacité incroyable à traverser les époques, à s'adapter aux modes, tout en restant foncièrement les Stones, des rockers hargneux, aux riffs légendaires, à l'image de la chouette hululante, de l'oiseau délétère de Minerve, le térébrant Keith Richards ?
Un peu de tout cela sans doute et bien plus encore. Comme si, à l'instar de Robert Johnson, une des idoles de Keith, mais d'une façon différente, les Stones avaient un jour, sans le savoir, conclu un pacte avec celui qu'ils invoquaient dans une de leur chanson, Sympathy for the devil. En prime une séquence hallucinante pour celles et ceux qui ont assisté samedi à la mécanique bien huilée de Lausanne. C'était en 1969, un soir de décembre glauque à Altamont en Californie. Ce qui devait ressembler à une grande fête est en train de virer au cauchemard. Le grand mouvement peace and love initié deux ans plus tôt va tout à coup prendre un coup de vieux terrible. Les Stones sont sur scène, qui n'en mènent pas large. Des hordes de Hell's Angels, crétins bouffis et imbibés de bière, sèment la terreur. L'un d'entre eux vient de mettre KO Marty Balin du Jefferson Airplane. Jagger sent que tout est en train de leur échapper ; quelque part, une immense catastrophe s'est insidieusment mise en place. Exit la star, avec son déguisement de carnaval, il déroule, sans trop y croire, les strophes simplistes de Under my thumb… Tu parles… A la fin de la chanson, regardez bien, ce jeune homme en vert – il s'appelle Meredith Hunter – ces trois coups portés. L'horreur absolue. C'est à une exécution en direct à laquelle on vient d'assister ! Who's bleeding ? demande, apeuré, Mick…
Mise à jour du 20 avril : quelqu'un (qui ?) a supprimé la video sur le net. Etrange… En voici une autre qui donne une idée assez précise de l'ambiance étrange, glauque, qui régnait cette nuit-là…
Alors quel âge ont réellement les Stones ?
Une livre que je vous conseille vivement : Rolling Stones, une biographie par l'excellent François Bon (Fayard)
3 Comments
Pas bien de dire qu’on est, des crétins bouffis et imbibés de bière!!!!!!!!!!
Bon, vous étiez comme ça à Altamont, et même pire. Depuis, vous avez sans doute dû évoluer. C’est du darwinisme primaire : où tu t’adaptes, tu deviens plus intelligent, moins bouffi, ou tu crèves…
Le feuilleton des Stones : http://www.tierslivre.net/spip/s...