Tout est possible. Il y aurait même, dit-on, des blogueurs qui ne font que ça, qui paient de leur personne, devisent, déjeunent et dînent sans barguigner.
On peut aussi passer le restant de sa vie à prendre de vitesse les autres, à débusquer de nouvelles étoiles (bientôt disparues) – "c’est moi qui en ai parlé le premier !" – à brûler ce qui reste de la politesse, à dépasser dans les files d’attente, à râler avec les loups devants les infâmes taxis parisiens, à s’abîmer devant les enseignes, à saluer des fantômes : traversant à pied les Champs-Elysées après avoir quitté le restaurant Le Laurent, croisé telle sauvageonne répondant au prénom de Gilberte comme si la nature dans son ingéniosité s’était évertuée à incarner la fiction.
On pourrait devenir l’un des vingt-six couverts autorisés et s’attabler enfin chez Akrame pour goûter la cuisine de l’une des nouveaux wonder boys culinaires de Paris. On pourrait…
Paris crépusculaire, les Invalides.
Allez vous étonner si, après cela, le hasard vous conduit, à mi-chemin de la Tour Eiffel et des Invalides, chez l’un des chefs les plus en vue de Paris, Jean-François Piège. L'effet M6 et Top Chef ? Voyons, voyons…
Vingt couverts à l’étage, au-dessus du rutilant Thoumieux. On sonne à l’entrée, comme dans les maisons de province. En haut des escaliers, un bar et un espace griffé India Mahdavi jusqu’à la moelle. Des belles trames, des textures, des superpositions, des camaïeux subtils. Les tables sont basses, vierges de tout nappage ou couverts. Elles sont dressées à votre arrivée.
"De la cuisine que l’on devine depuis la salle, l’équipe de Jean-François Piège règle son tempo sur le vôtre pour vous faire passer un moment exceptionnel… » est-il précisé.
« J’ai voulu que les clients soient reçus ici comme à la maison » a déclaré un jour M. Piège. C'est l’intention.
Les fauteuils sont confortables, les tables basses. On ne connaît pas son bonheur. D'emblée on vous donne le tarif et on vous explique « la règle du jeu » telle que l’a voulue M. Piège : neuf mises en bouches qui sont autant de figures imposées.
"Après, c’est à vous de jouer, vous avez le choix entre un, deux ou trois ingrédients » explique doctement le directeur de restaurant, dont la manière de détacher chaque syllabe comme s'il marquait les pleins et les déliés ainsi que le vocabulaire utilisé (« ingrédient » faisait autrefois partie du latin d’apothicaire) donne une solennité particulière à l’événement, en contradiction flagrante avec la décontraction affichée.
Va pour un Homard bleu en guise d’ »ingrédient » et une flûte des Béguines, le Champagne Ultra Brut de Jérôme Prévost comme prélude. Servie avec le (seul) sourire de la maison, celui de Caroline Furstoss dont la carte des vins est truffée de belles références.
Une grande respiration. On respire l’air du large. Attention, ça va saigner ! Arrivent les premières bouchées :
Langue de veau croustillante / condiment câpres-persil
Mon Jambon beurre cornichon
Cromesquis de brandade de morue
Crème de raifort / saumon fumé par nos soins / crackers
Pas vraiment le temps de s’attarder sur l’exquise salve suivante (et pourtant elle vaut son pesant de plaisir !) : Pomme de terre / Lait caillé / Caviar osciètre.
Vous êtes toujours dans le rythme ? Ne le perdez pas. Inutile de raconter vos vies ni de compter les jours qui vous ont séparés. Aucune trace visible d’essoufflement.
Chaud devant ! Les cuisiniers sont maintenant montés au filet et vous brossent des bouchées savantes, des ellipses gustatives, délicatement, méticuleusement slicées, autant de métonymies savoureuses qui vous frôlent à la vitesse de la lumière. (Tamisée, il est vrai. Pas de photos des plats donc. A vous d’imaginer !)
De la pâte soufflée /Maïs pop-corn / Foie gras de canard des Landes
Noix de Saint-Jacques à cru / D’autres en chips / Betterave / Vadouvan
Bouillon d’une poule / Truffe / Foie gras / Quignons de pain / Matignon de légumes
On demande s’il est possible de ralentir le tempo, d'admirer un peu le paysage, de sentir la douceur qui s'écoule. Trop tard : la sublime (oui !) Royale de foies blonds selon Lucien Tendret 1892 / Ecrevisses est en rade, au milieu de la table, perdue dans le passage Nord-Ouest au pire moment, lorsque les glaces sont encore trop hautes…
Nous ne l’avions pas compris, cette exécution est métronomique, musicale et rigoureuse. «Monsieur Piège a souhaité imprier ce rythme à la soirée, à vous d’y revenir ou de ne pas finir certaines bouchées… »
Revenons donc sur cette Royale de foies blonds. Elle sauve la symphonie. On dirait, enfin, du Cellbidache. Un miracle de goût, de finesse, d’équilibre. J’ai eu à ce moment-là une pensée pour Alain Chapel dont c’était là un des plats de référence : son gâteau de foies blonds avait fait verser des larmes à Henri Gault. Pleure-t-on sur son bonheur ? Oui, sans doute, mais les larmes sont imprévisibles. L’ »ingrédient » venait de faire son apparition dans ce maëlstrom parfaitement maîtrisé et avec lui, notre liberté retrouvée : Homard bleu / Condiment de piment doux / Foie gras / Eau de coco.
Jouer n’est pas manger. S’il existe des règles autant les contourner. Un Clos de la Roche avec le Homard ? Pourquoi pas. Après le Hautes Côtes de Nuits blanc 2007 mis en bt par la DRC, le 2007 de Ponsot a calmé le jeu.
Le public s’est rassis. Dans les travées, les ramasseurs de balles sont plus calmes. C’est l’heure des douceurs. Ils suivent un ordre d'apparition decrescendo. Comme si la cuisine s’était enfin essoufflée. Nous aurions dû rester sur cette certitude, nous arrêter sur le premier dessert, demeurer à jamais à cette hauteur, rester sur cette note sublime, lancinante…
Clémentine corse / La peau confite / Le jus en sorbet / Gelée / Crémeux / Pâte à baba / Pétale de rose / Safran
Blanc manger d’œuf
Comme une boule de Berlin, sésame noir
Crème aux œufs à la bergamote.
A 23h00, au moment où les confidences se perdent dans la nuit, à l’heure où les choses commencent enfin à bouger, à se révéler, singulières, uniques, où les mots et les silences nous emportent ailleurs, vers des régions ignorées de nous-mêmes, le restaurant est étrangement désert, les feux éteints, la magie disparue.
Etourdis par la musique de M. Piège, les autres convives ont éteint la TV, mis leurs chaussons et glissé vers le sommeil.
Pour eux, c'est une nuit « comme à la maison ». Une nuit ordinaire.
33 Comments
Dire qu’un texte de Franoçois Simon qui accumulait les poncifs est une misère c’est un constat pas une insulte.
Alors, c’était particulièrement très mal écrit.
je ne fus pas le seul à lire vos deux billets autrement.
Désolé.
M mauss j’estimais que J Perrin dont je lis avec très grand plaisir (même si il m’arrive de le taquiner) et respect tous les billets s’était planté en publiant un texte qui était à mille lieu de ce à quoi il nous a habitué, grâce à lui j’ai découvert pas mal d’auteurs
Je parle bien évidemment des transports amoureux contés par François Simon pour une dinde rencontrée un quart d’heure plus tôt, dont il rêvait déjà d’être la brosse à cheveux (ou à dents, j’ai oublié) voire la poignée de porte et dont la note de restaurant allait être remboursée par le Figaro et non du texte de Jacques Perrin dont je n’ai pas terminé l’exégèse
M Perrin , c’est votre droit le plus strict de citer François Simon parmi les maîtres de l’écriture, je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir supprimer mes posts ci-dessus, par avance merci et avec mes excuses!
"Surdouellé" : je ne pense pas que François Simon soit un "maître de l’écriture" (il y a en si peu…) Mais le bougre a un vrai talent. Je viens de terminer la lecture de "Dans ma bouche" son dernier opus. Je vais faire bientôt un post sur son livre mais je vous en conjure, ne le lisez pas, vous risqueriez un prurit inutile !
Un vrai talent, dites vous: reconnaissez que, de prime abord, cela ne sautait pas aux yeux dans le texte que vous aviez retenu . Vous aviez peut être cité un passage particulièrement ingrat pour son auteur, pour rendre plus éclatante la splendeur du reste du texte. Mais bon,l’on sait bien que tout comme un méchant homme est malgré tout un homme, un méchant romancier est malgré tout un romancier.
le coup de la poignée de porte était du plus haut comique involontaire (le pire).
Bien à vous
S….
Et si vous commentiez l’article de Jacques, plutôt …
Un avis sur Thoumieux ? sur Akramé ?
Justement laurentg cet article me laisse un peu perplexe, est-ce que le cuisinier en fait trop, est ce que le client est pris dans un maelstrom qui le dépasse genre finale wimbledon 1980, avec quelques balles somptueuses (les foies, les clémentines)….. qui le laisse épuisé sur son siège, je n’ai pas tout compris.
J’ai essayé de comprendre en allant sur le site internet de la maison Thoumieux mais là, c’est ingérable et incompréhensible, j’ai lu le mot "ingrédient" dans la colonne "menu" mais j’ai abandonné face à la complexité du site
Votre avis sur le texte de François Simon aurait été intéressant, laurentg
Proposition 1 « je n’ai pas tout compris."
Proposition 2 "j’ai essayé de comprendre en allant sur le site internet de la maison Thoumieux (…) mais j’ai abandonné face à la complexité du site"
Conclusion. Encore un petit effort, camarade, et vous serez vraiment Surdouellé :
Illustration
« Plus tard, Musô Soseki se rappellerait ces moments où, épuisé par la marche, il s’endormait sur le sol, écoutant battre le cœur du monde ; il se souviendrait de passants salués de loin, comme on s’adresse à des amis perchés sur d’autres frontières – l’un d’entre eux évoquerait la figure d’un proche, disparu depuis longtemps (tout à coup il mesure le temps qui le sépare de sa propre enfance) – il garderait en mémoire le parfum des jardins invisibles qui n’existent que par la grâce des fleurs. De ces fragments, de ces questions, jailliraient autant d’évidences ; de la barrière des montagnes viendrait l’ouverture ; du sillage et du cri des oiseaux dans le ciel, le chemin de l’écriture, puis celui du silence.
Le livre le plus connu de Musô Soseki témoigne de ce cheminement : Muchû Mondô est son titre. Traduit littéralement, il signifie : Questions et réponses dans le rêve.
Musô Soseki a cette vision. Toute question, toute réponse ne se formule qu’à travers un langage, un rythme, un cheminement qui, du monde de la nuit, du rêve, du détachement, est le reflet et le souffle léger : « En dehors, il n’est pas de pratique, lâcher tout et c’est là »
"Yukiko souffrait depuis quelques temps des désordres intestinaux et avait la diarrhée cinq ou six fois par jour. Les comprimés de wakamatsu et d’arsiline qu’elle avait pris n’avaient guère d’effet et elles souffrait toujours de diarrhée le 26, jour de son départ. [….} Les Kimonos de mariages furent livrés le même jours, Yukiko les regarda en soupirant- si seulement n’étaient pas pour son mariage……….
"la diarrhée de Yukiko persista toute la journée du 26, et fut un problème durant tout le voyage dans le train de Tokyo"
je me demande si l’héroïne de Tanizaki Junichiro ne savait pas que son époux avait prévu un voyage de noce à Paris, ce qui l’inquiétait surtout c’était ce repas chez Thoumieux!
"si seulement ces vêtements n’étaient pas pour son mariage" scusi
Alors qu’il eut été beaucoup plus simple qu’elle dise à son époux: "j’ai lu le billet de Jacques Perrin, il est hors de question qu’on aille faire une partie de tennis chez thoumieux, surtout qu’ils ne sont pas souriants" mais Yukiko qui avait failli rester vieille fille, avait très peur de son mari. Vous savez comment les japonais sont matchos!
Je vois ce soir "le repas" de Mikio Naruse à la cinémathèque de la ville où les gens ont un si bel accent …
Je tenterai ensuite un ou 2 extraits … 🙂
Lâchez prise, bon sang !
(je fais de même sur vos textes sans oublier que nous sommes ici accueillis par Jacques).
C’est un salon où l’on cause, c’est pas si fréquent! un bon armagnac et hop!
LAURENTG il ne vous a pas échappé que nous avons l’accent le plus intelligent
Pour ne pas être accusé de désertion devant l’ennemi, je viens d’aller chez mon libraire préféré qui me laisse feuilleter même des mauvais livres (c’est un ex-soixante-huitard il est très permissif, pour ne pas dire laxiste) donc j’ai feuilleté "dans ma bouche", enfin feuilleté…. première page, l’écrivain nous explique sérieusement que les femmes ne font pas l’amour pour les mêmes raisons que les hommes, non, non ,non et non!: sujet neuf, pour ne pas dire révolutionnaire, en tout cas, jamais traité. j’ai donc laissé le dénommé Simon (mou du genou après l’amour, à ce qu’il dit) rentrer page 2 chez Thoumieux (tiens! thoumieux!) pour commander une entrecôte à sa nièce alors qu’il y avait un menu enfant avec du steack haché , on ne mégotte pas sur l’amour familial et la note de frais au Figaro!
donc aucun risque de prurit, je vais me plonger dans "La mort viendra et elle aura tes yeux", vous pouvez envoyer votre billet
Surdouellé, il ne faudrait jamais feuilleter, comme vous dites, quand on n’est pas sûr de la détrempe : ce que vous citez de la différence entre les hommes et les femmes n’est pas de François Simon mais de l’auteur de la préface, Simonetta Greggio. Vous avez raison, immergez-vous dans Pavese, ça vaudra mieux pour vous, mais ne zappez pas et attention : une telle lecture peut aggraver les pensées délétères et les funestes projets.
Simonetta Greggio …
Francesco Alberoni a écit de belles choses sur cette différence, demandez à votre libraire, S …
Pavese, je suis dedans (c’est une expression).
Le métier de vivre.
"Aimer une autre personne, c’est comme dire : dorénavant, cette personne pensera plus à mon bonheur qu’au sien. Y a-t-il quelque chose de plus imprudent ?"
"Aucune femme ne fait un mariage d’intérêt ; elles ont toute l’habileté, avant d’épouser un millionnaire, de s’éprendre de lui."
D’autres aussi, rappelant Guitry.
Fin radicale :
"Tout cela me dégoute. Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus".
Après je pense réattaquer le livre de l’intranquillité, vous voyez que l’avenir s’annonce radieux, où est ce que j’ai rangé mon prozac, déjà?
Pour feuilleter j’avais mis des moufles, l’agence de sécurité des ouvrages imprimés n’ayant pas encore donné d’avis sur le livre de Simon, ceci explique ma méprise, mais c’est quand même simon qui a laissé imprimer ces âneries
Pour le livre de l’intranquillité, munissez-vous d’un grand Porto vintage, genre Taylor 2003, cela peut aider (et vérifier vos sources).
Ou alors, passez directement à la connaissance de la douleur de Carlo Emilio Gadda, qui fait passer Joyce pour Musso et Msuil pour Marc Lévy.
Vérifiez
Musil
Et merde !
🙂
Je ne vous apprends pas Laurentg que Emilio Gadda est l’auteur de la plus belle recette de risotto à la milanese que je connaisse:
L’approntamento di un buon risotto alla milanese domanda riso di qualità, come il tipo Vialone, dal chicco grosso e relativamente più tozzo del chicco tipo Caterina, che ha forma allungata, quasi di fuso. Un riso non interamente « sbramato », cioè non interamente spogliato del pericarpo, incontra il favore degli intendenti piemontesi e lombardi, dei coltivatori diretti, per la loro privata cucina. Il chicco, a guardarlo bene, si palesa qua e là coperto dai residui sbrani d’una pellicola, il pericarpo, come da una lacera veste color noce o color cuoio, ma esilissima: cucinato a regola, dà luogo a risotti eccellenti, nutrienti, ricchi di quelle vitamine che rendono insigni i frumenti teneri, i semi, e le loro bucce velari. Il risotto alla paesana riesce da detti risi particolarmente squisito, ma anche il risotto alla milanese: un po’ più scuro, è vero, dopo l’aurato battesimo dello zafferano.
Recipiente classico per la cottura del risotto alla milanese è la casseruola rotonda, ma anche ovale, di rame stagnato, con manico di ferro: la vecchia e pesante casseruola di cui da un certo momento in poi non si sono più avute notizie: prezioso arredo della vecchia, della vasta cucina: faceva parte come numero essenziale del « rame » o dei «rami» di cucina,
La suite, et vous verriez quel vin?
bressanini-lescienze.blog…
Et pour votre WE Laurentg, je vous conseille Stig Dagermann "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier" c’est aussi court qu’une idée de Simon dont je me demandais hier ce qu’il peut bien rayer de ses textes, vu ce qu’il publie!
Merci pour ces pistes …
Un docletto de Rinaldi.
Vous connaissez les Têtes Raides ?
http://www.youtube.com/watch?v=T...
Chemins de vertige, il faut s’y habituer, ce sont les seuls empruntables (Ingmar Bergman).
J’ai vérifié la préface est bien de la dénommée Greggio, d’après mon libraire elle était initialement prévue pour les mémoires de Zlatan Ibrahimovic ou de Philippe Bouvard, mais ils l’ont refusée. le plus intéressant en général, ce sont les remerciements, je ne savais pas que Guillaume Robert était son nègre, je pensais qu’il n’écrivait que pour Foenkinos et Ibrahimovic!!
En plus il ose citer le nom de Thorel, pourquoi pas Bernard Loiseau, tant qu’on y est! ça revient toujours sur les lieux ………
vous pouvez envoyer votre billet
LAURENTg c’est bien à la fin du "silence" qu’il y avait une scène érotique très hard qui a été censurée, dommage parce que qu’est ce qu’il est chillant bergman
http://www.youtube.com/watch?v=X...
Hé bien moi, tout ça me donne juste envie de passer mon chemin ; je n’aimerais pas du tout me faire Piéger …
Ah ! J’oubliais … car c’est tout de même par ce biais que j’ai atterri sur cette page : et Raspail, dans tout ça …?