Alors, ce déjeuner ? Imaginez un atelier vivant du goût. Deux longues tables. D’un côté les vins. De l’autre les thés. Les plats sortent de la cuisine. On goûte une bouchée. Ou deux. Pour les accompagner, on puise dans l’éventail des bouteilles ouvertes pour la circonstance.
En face, Véronique Gallais (Betjeman & Barton) et Chantal Lonati jonglent avec les théières et les saveurs. Raphaël Maye, petit-fils de Simon Maye et fils de Jean-François, qui est en stage au CAVE a ouvert toutes grandes les écoutilles sensorielles pour s’imprégner de ce travail de funambule qui pourrait s’intituler : accords rêvés, dissonances légères et harmonies.
Bernard Lonati
Cinq heures plus tard, le déjeuner s’achève avec de belles certitudes, quelques doutes aussi, notamment sur le vin qui pourrait venir accompagner l’Aiguillette de Veau Marinée au « Rooibusch », tous les vins nous avions prévu sur ce plat subtil ayant tendance à écraser le plat. Un Poulsard jurassien ? Oui, c’est une bonne idée, mais Emmanuel Heydens l’a déjà eue. Un Rayas peut-être mais léger, aérien, style 2002 (je me souviens d’une fusion remarquable chez Quintessence à Tokyo avec un porc de Kyushu cuit à basse température).
Quelques nuits blanches plus tard, l’inspiration arrive enfin. En provenance de ce que nous appelons la Collection : un Chinon Clos de la Dioterie qui a merveilleusement traversé le temps pour ce grand rendez-vous gourmand. L’autre incertitude concernait le Foie gras de Canard en Pot-au-feu. Un demi-sec oui, mais ces sucres qui traînent comme des malandrins dans un roman de Jim Thompson interfèrent davantage qu’ils n’amènent au plat leur note de complétude.
Là aussi, l’idée viendra du brain storming et du souvenir encore très vivace de la merveilleuse dégustation des sakés avec M. Toshiro Kuruda. Mais oui, c’est ça : on dirait que le Junmai Daiginjo de MASUMI dans la province de Naganô a été rêvé pour ce plat !
Début du dressage des assiettes de Saumon au Lapsang
A la table des thés, au contraire, tout semble se dérouler avec la fluidité d’un satori. A la fin, Chantal Lonati (dont l’amour pour les vins est notoire) fera même cet aveu : "les accords entre les mets et les thés sont beaucoup plus subtils et beaucoup plus évidents qu’avec le vin !"
Le menu et les vins
Confit de Cèpes sur une rôtie à l’ 'Antu Valley’
Féchy Le Brez 2010, Raymond Paccot
Féchy Le Brez 2010, Raymond Paccot
Saumon fumé au Thé ‘Lapsang’ de Formose,
Crème acidulée et Matcha
Le saumon est fumé par salaison au gros sel marin et thé Lapsang pendant quelques jours.
Langhe Bianco 2009, G.D. Vajra
Crème acidulée et Matcha
Le saumon est fumé par salaison au gros sel marin et thé Lapsang pendant quelques jours.
Langhe Bianco 2009, G.D. Vajra
Foie Gras de Canard des Landes au Sel de Thé Chaï en Pot-au-feu de Chou Vert
et ‘Jade Oolong’
et ‘Jade Oolong’
Le foie gras est mariné au gros sel, enveloppé ensuite dans une feuille de chou et cuit à la vapeur. Il est servi avec un bouillon de Jade Oolong (thé de Taïwan), un thé à la structure très souple, sans astringence, ce qui lui permet de passer comme une sauce.
Aiguillette de Veau Marinée au ‘Rooibush’ et dorée au Four,
Polenta crémeuse 'Tournerêve'
Polenta crémeuse 'Tournerêve'
Le Rooibush n’est pas vraiment un thé. Les aiguilles de cet arbuste d’Afrique du sud sont broyées et mises à infuser. L’aiguillette (baronne) est ensuite marinée avec ce mélange aux notes d’acacia, d’épices, de boisé et végétal noble. L’aiguillette est cuite à base température pendant une éternité dont on ne dira pas le secret, on l’a promis au chef et de toute façon on en a déjà trop dit !
Chinon Clos de la Dioterie 1990, Charles Joguet
Crumble de Pomme Amande et Noisette, Gelée de Pommes Sauvages,
Crème Glacée au ‘Jasmin Silver Sickle’
Crème Glacée au ‘Jasmin Silver Sickle’
Bon, faut-il préciser après cet alléchant préambule que tout ceci fut fabuleusement bon, que le chef était pour une fois content (il avait même relevé ses fameuses lunettes), que ces accords mets et vins étaient ceux de la soirée CAVE et que si vous avez manqué ce moment, vous pouvez peut-être vous rattraper en saisissant au vol celle du 15 novembre !
Les photos de cette soirée sont griffées Serge Pulfer qui – le bienheureux – a eu le privilège de goûter à tout sans quitter son sujet des yeux.
3 Comments
Jacques ressuscité …
🙂
Dioterie 90 de Joguet est magnifique (Chinon Lenoir 94 goûté hier soir aussi).
Rayas 2002, j’adore …
Cela se boit tout seul.
Dioterie 90 : simplement un des 5 plus grands cabernets que j’ai bu. La bouche aussi belle que le nez, ce qui est finalement rare sur un vin de plus de 20 ans. Je n’ai vu que le Clos Rougeard à ce niveau, pour le moment, en vieux "breton". Le cabernet franc est un très grand cépage, et d’ailleurs cela me donne une idée de cours pour le prochain semestre, au CAVE.
A part ça la cuisine de Bernard fait toujours autant envie… très envie même.
(Jacques, la cuvée de Masumi que Serge a fait goûter est précisément le Sanka – il y a plusieurs Junmai Daiginjo dans la gamme, notamment le Nanago que nous avons goûté au cours avec Toshiro)
"La bouche aussi belle que le nez, ce qui est finalement rare sur un vin de plus de 20 ans"
De mon point de vue, le vin en apogée, pas trop vieux non plus.
Même diagnostic par ex, Nicolas, sur le Tremblay 91 de Janin, qui donnait tout à beau niveau (excellent, pas grand :-))))
C’est vraiment l’âge complet où j’aime le plus les grands vins (HB 89, Lafite 88, …). Un plateau de 10 ans, probablement.
En franc de pied, pas trouvé le Varennes du Grand Clos 1990 aussi abouti, au passage.
Pas de primauté irrémédiable au grand âge, des vignes ou du vin …