Aux portes austères de Genève – quand la ville de Calvin était encore dotée de portes – juste de l’autre côté de l’Arve, voici Carouge, la cité sarde. Devenue telle en vertu de l’un des Traités de Turin, celui du 3 juin 1754, où la République de Genève cède Carouge au Royaume de Sardaigne et, donc, à la maison de Savoie. Cet accord va contribuer au développement de Carouge qui n’était, à ce moment-là, qu’un hameau avec quelques maisons et auberges. En une dizaine d’années, la cité sarde va se développer d’une façon spectaculaire. Le vin et les échanges (la contrebande aussi !) occupent une position importante dans cet essor et les débits de boisson se multiplient.
En 1786, Carouge devient cité royale. Le libéralisme commercial, religieux et intellectuel qui y prévaut attire de nombreuses personnes et la cité continue de se développer. Juifs, protestants et francs-maçons vivent en bonne intelligence dans la cité sarde à la fin du XVIIIe siècle qui fait figure de modèle. Et, la nuit, tous les plaisirs ou presque étaient licites, à la rue de la Débridée ou ailleurs.
J’ignore si durant sa vie brève et ses désirs infinis, le cyclothymique Musset a eu l’occasion de visiter Carouge. Une chose est certaine : le « prince phosphore du cœur volant » a laissé des traces. Indirectement. D’abord, du côté du théâtre de Carouge où certaines de ses pièces ont été régulièrement mises en scène. Ensuite, à travers une citation de son poème La coupe et les lèvres, véritable apologie de l’ivresse, dans l’esprit du romantisme de la première moitié du dix-neuvième.
L’amour est tout, — l’amour, et la vie au soleil.
Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse ?
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?
Aujourd’hui, Carouge a gardé l’empreinte de cette âme sereine, voyageuse et libre. René Fracheboud, à l’enseigne de sa Cassolette d’abord, puis aujourd’hui de son Dix Vins, continue d’incarner avec brio l’esprit gourmand carougeois. Le magicien Gérard Bouilloux est également arrivé ici, à la rue du Petit Collège.
Tout près d’ici, à la rue Ancienne, ce qui pourrait ressembler à une saga née d’un vers de Musset a démarré avec un bar à vins, le Qu’importe, puis, plus tard, par un restaurant, le Flacon. La trajectoire est aimable. Deux visites récentes au Flacon de Serge Labrosse (ancien chef étoilé du Buffet de la Gare des Eaux-Vives) m’autorisent à faire ce pied de nez à Musset : qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon idoine ! Sur plan-là, la carte du Flacon ne manque pas d’arguments liquides.
Pour les nourritures moins spirituelles, vous avez le choix entre un menu vert Flacon ou un menu rouge Flacon. Ou les plats à la carte. Ce soir-là : cinq entrées. Trois poissons et trois volaille et viandes. Pas de carte à tiroirs. Pas de réchauffé. Mais de la belle ouvrage.
C’est encore l’été. Il fait beau. La terrasse donne sur la rue. Alors, pourquoi ne pas en profiter ? Les passantes sont superbes. Le soleil éclaire la scène. Bien sûr, de temps en temps, une grosse cylindrée pilotée par un Gen’vois style dans toute sa splendeur se la joue gaz à tous les étages, mais cela arrive rarement, cette race étant peut-être en voie d’extinction. Ou on s’y fait. De toute façon, rien ne peut entacher ce plaisir de goûter à une cuisine parfaitement accordée à l’air du temps, au style latin de cette petite cité posée là comme une île où il fait bon vivre.
De temps en temps, on jette un œil en direction de la cuisine vitrée dans laquelle Serge Labrosse s’active avec sa brigade. Il est là, concentré, au milieu de ses herbes japonaises, de ses produits, vous détaille au passage la recette des craquantes panisses dont on ne sait plus si elles sont ligures ou niçoises. Les plats qui sortent de sa petite cuisine ont du groove et des saveurs métissées. Ils sont percutants, vifs, bien scandés. Une très agréable adresse. Nous espérons tous un été indien (nécessaire pour les vendanges). Quand celui-ci sera fini, vous découvrirez la salle du Flacon et vous oublierez le Gen’vois style, enfin parti soigner son spleen à l’autre bout du monde.
Le Flacon
Adresse: Rue Vautier 45, 1227 Carouge GE
Téléphone: 022 342 15 20
Comment
Permettez-moi d’émettre un bémol de taille à votre engouement, certes réel mais moins précis qu’à l’accoutumée…..
Je ne suis pas sûr que le niveau de la cuisine présentée justifie les prix pratiqués. Et rien que pour parler du loup infusé, reconnaissez qu’à part l’excellente et pertinente idée des navets croquants, l’infusion du loup est basique mais très juste, par contre les nectarines, pas mûres et insipides afin que les fines tranches tiennent à la verticale, n’amènent rien au plat, voire le desservent. Et vous qui fustigiez les plats aux arômes de truffes, que dire du yuzu, si ce n’est le prestige du nom puisque ce qui le différencie d’un citron vert est principalement un composé soufré, si volatile qui ne finit jamais dans nos assiettes…
Quant au carré de veau, j’attends toujours l’oxalys et probablement que les joyeux arômes du « les Sorcières » du Clos des Fées ont aussi dissimulé la Chartreuse…
Par contre, malgré la grande diversité de serveurs qui se sont occupés de nous, tous étaient éminemment sympathiques et souriants!
J’osais espérer plus de liberté, de surprises et d’éclectisme de clientèle cible de l’esprit gourmand carougeois…..