Je ne suis pas fini, dit-il. Je dois tourner la page. C'est dur de tourner la page quand on rêve d'en écrire une nouvelle. Ma conviction est faite : je ne suis pas né à la bonne époque. Vous voulez des champions fades, émasculés, ordinaires. Qui gagnent sans panache. J’ai trop cru en mon étoile. Celle qui m’a permis de vaincre mon cancer. Elle m’a trahi.
Luis Ocaña, tour de France 1971, 14e étape _ Revel-Luchon
Avez-vous gardé le sang d’Anquetil ? Celui de Luis Ocaña ? Le sperme de Coppi, de Koblet ? Les boucles de l'Aigle de Tolède ? Analysez-les. Allez-y, oui, osez ! Fouillez les corps meurtris, blanchis, exsangues, de l’absence. Branchez vos appareils dans les décombres et la poussière. Allez jusqu’au bout de votre idéal de pureté. Destituez-les ! Debout les morts ! Vous êtes tous cités à comparaître devant le grand tribunal de la science propre et des intérêts supérieurs du Spectacle.
Le public veut des idoles immaculées, des épopées cachexiques ? Ramenez ce petit monde sur terre. Ne tutoyez plus les sommets. La gloire est une enfant de putain. Un jour, elle t’adule. Le lendemain, c’est la terre brûlée.
Il continua de parler. Longtemps après le départ de la meute des vertueux. Les mêmes que ceux qui n'osaient l'admirer qu'en le redoutant. Il savait que c’était important de parler. Il parlait comme il roulait. La tête baissée sur le guidon, le regard bleu d'acier fixant un horizon qui était le seul à déployer. Obstiné. Déterminé. Impérieux.
Il savait que ce qu’il disait n’était pas la vérité, que la vérité ne peut que s’éprouver, qu’il n’y a dans la vie que des preuves et des absences de preuves. Il s’accrochait à ces mots comme à une caravane en perdition. Il n’était plus protégé. Il avait cessé d’être une valeur marchande.
Il était exposé comme jamais. Comme au temps du crabe et des rayons. Des métastases dans la tête et les poumons. Précisément ce grâce à quoi on vole sur les cols de France et d'Italie. La légende qu’il reste à écrire. Il découvrait à l’intérieur de soi de nouveaux paysages.
Ascension du col du Tourmalet 1934 : La distance qui sépare le rorqual affûté de 2003 du Lance de 2010, relégué loin, très loin de Contador. Quatre minutes. Le moment où Lance a commencé de perdre.
Il revivait ceci comme une vision : la Hourquette d’Ancizan, les premiers lacets du Tourmalet… Avec quoi, avec quelle énergie, quel braquet phénoménal, quel orgueil arrive-t-on au sommet du Luz Ardiden plus rapide que tous les autres ? Les 38 minutes 43 de muscles noués, de dispositifs secrets, d’embrasements, de souffles arrachés à ce point invisible à l’intérieur de soi, là où la vie et la mort se confondent, d’explosions intérieures, de hurlements inouïs qu’il avait fallu, en 2003, pour avaler le col en compagnie de Jan Ulrich, qui pourrait les décrire autrement que par le geste ? Qui oserait venir les chercher dans cette distance ?
Moi, un prédateur ? Oui, ajouta-t-il, si gagner, c’est creuser un abîme entre l’absolu et la vie ordinaire.
La distance qui sépare le rorqual affûté de 2003 du Lance de 2010, relégué loin, très loin de Contador. Quatre minutes.
Le moment où Lance a commencé de perdre. Où les fantômes du passé l’ont rejoint.
10 Comments
Lorsque henri degrange mis pour la première fois un col (Tourmalet) au programme du tour de France, il envoya un journaliste au sommet , attendre les coureurs. le premier était attendu vers 10 heures du matin. 11 heures rien, 13 heures toujours rien, enfin vers 17 heures, un coureur surgit le vélo sur l’épaule. arrivé à la hauteur du journaliste, il lança ‘assassin" avant de remonter sur son engin
Bonjour,
Merci, très bel article ou votre lucidité emmène des braquets énormes sans ne jamais freiner la réalité.
Amstrong, contrairement à ses prédécesseurs est de culture anglo-saxonne, et cela change tout, même ses arguments deviennent aussi ridicules que sa montée du Tourmalet à vive allure sans être essoufflé. Le sommet de sa vertu perverse est de s’être servi de sa maladie (à vérifier) et de ses succès pour créer une fondation dont le but est basé sur les profits. L’Amérique comprend, moi non, et comme étaient magnifiques ces visages, de douleur d’un Ocana, de matador d’un Bahamontes, d’un no limit comme Roger Rivière. Il y avait de la noblesse chez ceux-ci, malgré les piqûres, les corticoïdes et le reste. Non, Monsieur Amstrong, nous n’allons pas nous apitoyer, vous êtes une trompette, vos homonymes ont porté haut ce patronyme, la modestie et l’émotion de la clarinette ou le premier pas sur la lune de celui qui a atteint vraiment les sommets. Lance, vous n’éteindrez pas l’incendie, vous êtes un petit homme.
Un ami m’écrit à propos de ce billet : »Pour une fois, je ne suis absolument pas d’accord avec ton dernier billet sur Lance. Un tricheur est une insulte permanente à ceux qui ne trichent pas. »
D’où cette clarification. Lance Armstrong est un tricheur, soit. Quelques questions tout de même :
• Pourquoi ne l’a-t-on pas sanctionné avant, alors que de fortes suspicions pesaient déjà sur lui ?
• Ne l’a-t-on pas épargné – tant qu’il gagnait et que sa présence sur la Grande Boucle était un gage de succès – pour préserver les intérêts supérieurs du Spectacle ?
• Si Lance Armstrong ne s’était pas dopé – comme sans doute la majorité des coureurs cyclistes – eût-il été un coureur de deuxième zone ? Je ne le pense pas.
• Où se trouve la limite aujourd’hui dans le sport de compétition : passe-t-elle vraiment entre ceux qui trichent et ceux qui sont absolument intègres ? N’est-ce pas de l’angélisme que de le penser ?
• Pourquoi continue-t-on à vouloir croire à cette fable du sport decourbertien, à l’abri dans les hautes sphères de l’idéal ? Ce grand écart avec le réel ne manque pas de piquant à l’heure où seule la performance, le record et la victoire à tout prix n’ont de valeur. Le sport est le miroir de notre monde et de ses contradictions. Si la falsification y règne, il est illusoire de croire qu’elle se réduit à quelques individus.
Si la falsification y règne, il est illusoire de croire qu’elle se réduit à quelques individus. Relisons Guy Debord et sa lucidité à propos de la société du spectacle : « le devenir-monde de la falsification était aussi un devenir-falsification du monde. »
• Le cyclisme est en crise et cherche à retrouver un semblant d’unité: l’opprobre dont Armstrong est l’objet ressemble trop à celle qui s’abat sur la victime sacrificielle pour ne pas se demander si, une fois de plus, on n’assiste pas au retour du bouc-émissaire ? Et quand tous sont ligués contre la victime sacrificielle, la question de son « innocence » doit se poser…
Vous l’aurez compris. Il ne s’agit pas ici de prendre la défense d’Armstrong, mais d’ouvrir un peu le débat. Le concert des stigmatisations qui a suivi la destitution d’Armstrong est un peu trop convenu, et très hypocrite. Comme si les questions n’existaient pas et que Lance Armstrong était « juste un sale type », devenu infréquentable.
Je suis entièrement d’accord avec vous Jacques, et sans encourager le dopage, je serais bien heureux d’avoir une machine à remonter le temps pour voir si les gens qui conspuent L.A. aujourd’hui ne vibraient pas devant leur TV à l’époque où il gagnait. On ne déteste bien que ce que l’on a adoré… Fâcheuse tendance humaine…
Il est nécessaire que la lutte contre le dopage avance et que le sentiment d’impunité diminue (il ne cessera jamais), pour la santé des coureurs en premier ai-je envie de dire. Et si certains se font prendre pour avoir "mis du bois dans la chaudière" ou trop "fait le métier" comme on dit dans le jargon, il serait juste que toutes les personnes qui y ont contribué trinquent aussi, cela me paraitrait normal.
Il serait angélique de croire que le vélo d’autrefois était plus propre, l’histoire prouve le contraire. De même je ne vois pas pourquoi un tel champion plus sympa et riche de panache qu’un autre – mais tout de même dopé – serait davantage louable. Tu triches mais ça passe, tant mieux pour toi, tu te fais attrapper, tant pis pour toi. Qui que tu sois. Les règles sont connues…
Le vélo est un des sports les plus dur, et le dopage a toujours fait partie de son histoire moderne et de celle du Tour de France, qu’on le veuille ou non. C’est comme ça, ce n’est ni bien ni mal, c’est un fait. En ce sens, le post de Bref permet de comprendre pas mal de choses, même si l’argent en jeu contribue aussi au dopage, pas seulement la difficulté des courses…
Et les chariots de feu de l’ère Reagan, une singerie à la mode antique ?
Par ailleurs, LA semble bien se porter et ses sponsors historiques continuent de le soutenir
Je suis un champion moi aussi; dans ma branche
Au moins, on est sur que le bon Papy qui vient de faire 100 km en 4 heures a 100 ans n’etait pas entoure d’une meute de medecins charges de lui prescrire des potions permettant de ne pas violer les regles antidopage!
Bravo Papy!
La suite est résumée ici à travers cette succession de "Yes or No": contrition et rédemption, typiquement américain, avec, peut-être, derrière la belle arrogance "armstrongienne", une inquiétude nouvelle…
http://www.lemonde.fr/sport/arti...