Here we SO again. Back to Front 2013. C’est le grand retour de Peter Gabriel. Un tour d’Europe initié l’an passé. Trois ans après la tournée de New Blood Orchestra. Pas de nouvel album pour l’instant, mais deux nouvelles chansons. Superbes !
La première, encore en devenir, est interprétée en aria d’ouverture par Peter Gabriel au piano, accompagné par Tony Levin. Elle s’intitule O but. « Souvent le voyage est plus important que la destination. Cette chanson n’est pas terminée, mais je la chante quand même… »
Les lumières demeurent allumées dans la salle. Après la première partie, assurée par les hyperboréennes Jeannie Abrahamson et Linnea Olson, l’entame du concert est acoustique, dépouillée, limpide. Peter Gabriel présente en français le déroulement des événements.
«C’est comme un repas, dit-il. Avec une entrée (la partie acoustique), un plat principal (la section électrique) et, si vous survivez à tout cela, le dessert : l’intégralité de l’album SO, motif de la tournée. »
Il est là, Peter Gabriel, un peu massif, le corps agile pourtant, vif, avec cette voix unique, grave, médulleuse, sombre et lumineuse, profondément soul. Immédiatement, la magie opère.
Le chanteur n’a plus besoin de masques, de déguisements et de fables pour nous raconter le monde. Qu’il paraît loin le temps du Genesis de la première heure, de Nursery Cryme, de Foxtrot ou, même, du chef-d’œuvre absolu du groupe : The lamb lies down on Broadway ! Le banquet auquel il nous convie n’est pas celui de la nostalgie, celle qui vous fait errer de port en port, à la recherche d’un monde qui a disparu, de ce qui a été perdu.
Au milieu de l’énigmatique Family Snapshot, brusque changement de décor. La transition est géniale. Fin de la période acoustique. Les lumières, la noirceur où creuser, la pulsation du rock, énorme, l’énergie transforment le temps, l’accélère. Les frontières deviennent fragiles. Les digues se dérobent. L’interprétation de la chanson Secret World (qui a donné son nom à un superbe double album datant de 1994) est un des sommets de cette partie. La voix de Peter prend de l’ampleur, gagne encore en profondeur, avec des inflexions noires, bouleversantes, qui culminent dans Why don’t you show yourself , futur tube, où le lyrisme libéré de Gabriel semble avoir définitivement pris sur les involutions de la période sombre d’Ovo.
Arrive le moment du dessert (que Peter prononce « déserte » à l’anglo-saxonne) et, même pour qui d’aventure bouderait le miel et le sucre, les neuf chansons de So, tressées sur un collier de perles, ont non seulement gardé l’attrait de leurs vingt-sept ans, mais ont gagné, elles aussi, en précision et en beauté. C’est la force de Peter Gabriel : ses chansons témoignent d’une inventivité musicale et poétique rares et, chefs-d’œuvre du genre, n’ont pas pris une ride. A l’instar de l’emblématique Sledgehammer qui balance toujours un groove d’enfer.
Peter Gabriel est là dans l’accomplissement, la certitude et la nécessité de son âge. Son apparence, sa gravité, sa force, sa fragilité, sa vision de l’amour, de la solitude, tout est là !
C’est vraiment à un banquet auquel nous sommes conviés. A cette forme de communion que seule la musique, portée à son point de perfection, peut nous offrir. Cristallisé à travers vingt et un joyaux qu’il va interpréter magistralement, entouré de musiciens hors pair, étonnants de finesse, de précision. A l’image de David Rhodes, sculpteur de sons, de Tony Levin, basse fuselée ; bouleversant, David Sancious, qui déroule aux claviers les grandes nappes sonores du festin et Manu Katché, batteur d’une subtilité et d’une inventivité incroyables. Parmi ce casting de rêve, les deux nouvelles recrues de Peter Gabriel, Jeannie Abrahamson et Linnea Olson, transformées en choristes, doivent parfois puiser aux tréfonds d’elle-même pour ne pas chavirer. Mais elles assurent.
Le public est attentif, conquis à la cause du Gab. Nombreux sans doute sont les spectateurs sensibles à cette émotion, celle d’assister à un concert d’exception. A un événement inoubliable. Et qui ne reviendra pas. « Pour la première fois, nous sommes tous reliés au niveau planétaire, interconnectés, nous ne devons pas oublier… » C’est le moment. Rythme lourd, térébrant, le contrechant de cornemuse dans le lointain de la masse sombre, comme une question : The man is dead – And the eyes of the world are watching now…
Le rythme continue, obsédant. Les musiciens ont quitté la scène. On finit sur une note grave, tragique. Une note d’amertume.
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