Nous avons tenté d’illustrer tout cela par la dégustation ensuite, avec un choix de vins destiné à illustrer le caractère polymorphe du cépage. Ils ont été servis par séries de deux, dans l’ordre suivant.
Vouvray « L’Ancestrale », Vincent Carême 2008 (méthode ancestrale) : Premier nez un peu caramélisé (retravail de la malo en bouteille ?), qui évolue vers la poire et le citron confit avec une puissance aromatique importante. Bouche pleine, crémeuse, à la bulle titillante et discrète, mais suffisamment vive pour faire vivre le sucre résiduel de la fermentation. Un vin hédoniste, moins « tiré » par l’effervescence que le précédent, mais tout aussi agréable.
Coteaux-du-Vendômois « Vieilles Vignes », Patrice Colin 2009 : Le premier nez est toujours assez étrange sur les chenin de Patrice Colin, avec ces notes de coing et d’ardoise. L’aération amène des choses plus habituelles et rassurantes : écorce d’orange, eau de vie de framboise, genêt. Bouche de grande énergie, riche mais traçante, allonge importante. Très beau vin d’amateurs, vendu à prix minuscule (le 2010 arrive bientôt au CAVE).
Montlouis « Le Volagré », Stéphane Cossais 2007 : Tragiquement survenu en juillet 2009, c’est le vin que Stéphane Cossais laisse en héritage. Issu d’une année difficile, le premier nez frappe par un boisé bourguignon entêtant. Heureusement, la bouche, de grande vinosité, rassure par sa densité et ne se fait pas « manger » par le contenant d’élevage. Il avait corrigé le tir sur ses 2008, mais est parti avant de les voir en bouteilles. Son ami Frantz Saumon tente de prolonger son œuvre.
Saumur « Billes de Roche », Mélaric 2008 : Premier millésime réalisé avec des vignes qu’ils ont tenues de bout en bout en culture biologique, Mélanie Cunin et Aymeric Hilaire ont frappé d’emblée un grand coup. Ce vin est un petit bijou de parfum et de saveurs nobles (citron, papaye, chèvrefeuille, coing confit). Le très léger résiduel en fait presque un « tendre », ce qui renforce son caractère craquant. Un délice évident.
Saumur, Domaine du Collier 2008 : Antoine Foucault propose ici un chenin de style intermédiaire entre la vision bourguignonne prônée par son père et oncle (très inspirés de J.F. Coche-Dury) et celle de la nouvelle école ligérienne. Plutôt rentré et timide aromatiquement, on devine tout de même un élevage bien mené et discret. En bouche il se signale par une acidité vive mais mûre, et une finale plutôt persistante. Un bon vin, manquant peut-être un poil de « folie » à ce stade.
Vin de France « Les Noëls de Montbenault », Richard Leroy 2009 : Il est franchement assez bluffant de voir comment la richesse du millésime a pu être canalisée et sublimée ici, car cette bouteille a toutes les qualités que l’on peut attendre d’un grand sec et le vin se goûte frais : réserve aromatique et pureté, intégration complète du fût, la bouche est large sur l’attaque, mais la trame est tenue et resserrée autour d’une matière ample. La finale l’étire longuement et fait saliver. Même les plus sourcilleux ne pourront reprocher un manque de protection à ce vin cette année, il est net. Bravo !
Savennières, Clos de la Coulée de Serrant 2006 : Première approche, la robe, jaune dorée, très évoluée. Passé un premier nez de pétard mouillé, on découvre des fragrances oxydatives mêlées à des senteurs champignonnées et également confites. La bouche suit et prolonge ces impressions, avec une trame acerbe, et surtout un corps plutôt désarticulé. Si certains dégustateurs ont ce soir là loué sa longueur en bouche et juré que le vin s’harmoniserait au bout de cinq jours d’aération (sic), celle-ci n’était pas due à une harmonie de parfums ni de saveurs. Les deux bouteilles étaient similaires.
Montlouis « Minéral + », Frantz Saumon 2009 : Jeune vigneron discret, Frantz Saumon fait partie des producteurs qui comptent sur Montlouis. Son Minéral+ 2009 impressionne avant tout par la fraîcheur miraculeuse trouvée cette année là, sans jouer sur le « levier » technique de la malo. Encore peu ouvert aromatiquement, son allonge salée ultra-dynamique séduit et fait littéralement décoller les sucres de ce demi-sec d’équilibriste. Une très jolie bouteille.
Vouvray « Le Peu Morier », Vincent Carême 2008 (bientôt disponible au CAVE) : On monte d’un cran dans les sucres tout en restant dans la famille – rare – des demi-secs. Superbe bouteille qui joue une partition encore plus complexe, avec un équilibre encore plus fragile. Au delà de ses qualités de forme et tenue, son premier charme est aromatique et se retrouve logiquement dans la saveur, d’une parfaite lisibilité et intensité. Du parfum liquide, lumineux, gastronomique.
Vouvray Moelleux, Vincent Carême 2008 : On continue de franchir les palliers de la sucrosité du chenin sur calcaire, sans basculer dans la mollesse. Notes de papaye, de citron et fruit de la passion, archétypiques du millésime. Douceur vivante et cristalline de la bouche, qui jamais ne fléchit. Il a ravi les amateurs de moelleux nerveux, donc la majorité de l’assemblée ce soir là !
Coteaux-du-Layon Rablay « la Noblesse », Domaine des Sablonnettes 2009 : Goûté en parallèle avec le précédent, la douceur et angevine a un peu décontenancé, mais bien des choses peuvent l’expliquer. Tout d’abord le millésime, plus chaud, source de davantage de confit ; ensuite le micro-climat du Layon, qui va dans le même sens ; et enfin l’équilibre de cette cuvée au sein de la gamme des Ménard, où l’on commence à goûter du botrytis (saveur de grenade, fruits exotiques). Une gourmandise.
Vouvray moelleux « Réserve », Domaine du Clos Naudin 2009 : On change de terroir, de style et de vision, mais pas de millésime. Issu de passerillage à 100%, car le climat tourangeau ne permet pas d’attendre aussi longtemps qu’en Anjou l’arrivée de la bien nommée pourriture noble, Philippe Foreau a joué ici sur les tries et l’équilibre sucre/acide/alcool afin de proposer un vin pêchu, dénué de lourdeur et construit pour la garde. Il a beaucoup plu aux amateurs du style « historique » et classique.
Quarts-de-Chaume, Jo Pithon 1997 : Issu de passerillage et de botrytis sur passerillage, ce dernier est l’antithèse du précédent. Relique d’une triade (1995, 96 et 97) qui a vu fleurir dans le Layon des « sucres » colossaux permis par le climat, ce vin est entier, comme Jo Pithon : notes de crème brûlée, d’orange sanguine et d’épices macérées. Bouche monumentale, suave, littéralement liquoreuse. Dans son style baroque, il se tient !
Nous remercions vivement Matthieu pour cette soirée, pour sa passion communicative qui a donné à chacun(e) envie de (re-)découvrir ce cépage si attachant.
12 Comments
Merci pour ces réflexions, Nicolas (je pense que le Riesling va encore plus loin par sa plasticité, sa retranscription des terroirs).
Volagré 2005 boisé, grillé, un peu à la manière du chenin de Rémy Pédréno.
De nouveau beaucoup aimé avant-hier le Vouvray 2007 de Foreau, qui magnifie le cépage.
Pas toujours conquis par l’approche bourguignonne du cépage.
La Coulée de Serrant 2005 m’a parue énigmatique mais vu la manière dont elle se goûtait le lendemain, j’ai tendance à rester confiant.
2 dernières grandes rencontres :
Coulée 96
Coulée sélection de tries du grand Clos 1996
"Même les plus sourcilleux ne pourront reprocher un manque de protection à ce vin cette année, il est net. Bravo !"
Merci pour cette analyse, Nicolas.
Je me suis arrêté à 2005 et j’ai constaté assez souvent un élevage trop appuyé (il en revient un peu si j’ai bien compris ses propos dans le film "la clé des terroirs"), une tendance à vieillir en s’oxydant quelque peu (2002, 2004), une certaine lourdeur (et un manque de typicité).
Il se dit que Richard Leroy a arrêté de produire des vins sucrés car ils exigent du soufre.
Or, il dit également qu’il ne veut plus en utiliser.
Est-ce la seule raison ?
Le soufre, en petites quantités, est-il si diabolique ?
Car son Layon m’est apparu comme l’un des tous meilleurs vins produits dans la région (le 2001, goûté plusieurs fois, est un grand liquoreux).
http://www.universditvin.com/ind...
PS : le labourage (à cheval ou non) est contesté, dans certains milieux.
Laurent,
que Richard se soit cherché sur certains vins et/ou millésimes, j’en conviens et il en convient avant moi, c’est le propre de tout vigneron curieux et perfectionniste, ou à défaut non satisfait de ses acquis.
Mais j’avoue j’ai souvent eu l’impression que tu aimais à l’asticoter un peu, sur la base de tes (ou vos) dégustations il est vrai. Je ne sais pas pourquoi, si ce n’est qu’il véhicule des symboles qui peuvent chatouiller ton intellect et tes goûts, je le vois bien et ce n’est pas la première fois d’ailleurs.
Je laisse Matthieu répondre sur les vins, le style, l’évolution de sa production, car il les connaît encore mieux que moi. Ou peut-être que Richard te répondra lui-même, car je lui ai envoyé le lien de cet article. Pas sûr.
Par contre je ne vais pas te lâcher sur le "manque de typicité", car ça, c’est vraiment un truc, un jour, qu’il faudra m’expliquer. La typicité.
Un vigneron me disait l’autre jour en rigolant que cela devait être la somme des laisser-aller et autres hontes viticoles transformées en vin. Du genre les chablis, rieslings, sancerre et autres pouilly "minéraux et tendus", par exemple.
Derrière se cachent trop de vins minces issus de petits raisins, vite et mal élevés, tendus par une absence de malo et protégés par une éruption strombolienne, pour reprendre les mots du Docteur B. Je caricature volontairement. A peine.
Alors la typicité, hein !
ps : si jamais, les 2009 de Richard ont été réajustés en so2 avant mise, que tu saches…
Comment Nicolas t’as jamais goûté des layons "minéraux et tendus": ça m’étonne de toi 😉
On est loin du petit chenin qui sent la noisette…
Plus sérieux Nicolas, on se fait quand une "petite" virée en Loire?
Armand, pour le moment j’arrive à y aller une fois par an, pour le CAVE, lors de la triade Renaissance des Appellations / Dive / Salon des vins de Loire, en janvier. Mais on va s’y employer, l’appel du fleuve est de plus en plus fort. Puis on devrait te trouver des cuisses de grenouilles correctes aussi, par là, que tu ne meures pas d’inanition… même si tu es tombé dedans quand tu étais "petit" !
Nicolas,
Je relaie juste mes impressions après de nombreuses dégustations.
Je n’ai rien à expliquer à Richard Leroy qui est à l’évidence un pro, un oenophile, un perfectionniste et j’ai le souvenir de Pierre et Didier me disant qu’ils avaient, au domaine, trouvé des vins étincelants.
Par ailleurs, de nombreux dégustateurs (et pas que ceux qui honnissent le soufre) louent la grande qualité de ses vins.
Mon avis est assez isolé de fait (mais j’ai lu ton propos sur la "protection" avec intérêt, d’autant que j’ai vu ce film la semaine dernière).
Une raison commerciale pour l’arrêt du Layon ?
On reparlera de la typicité une autre fois (je préfère François Cotat à Dagueneau – des vins que je trouve variétaux et peu minéraux, Arlot à Dugat-Py, en gros).
Je reconnais plus le chenin chez Foreau, Huet, Lenoir que chez Richard Leroy.
J’aime aussi beaucoup Bossard (contrairement aux spécialistes régionaux) et on reparlera des canons du Beaujolais en juin (je profiterai de ton expérience avec grand plaisir).
Pour les cuisses de grenouilles, ma référence absolue ce sont celles du Buerehiesel.
Te fais pas d’bile Nicolas, je me contenterais de friture de Loire 🙂
Pas moi : que ce soit clair !
La friture alsacienne, c’était avec des Charmes 96 (Lafon et Roulot) : cela marche bien !
🙂
Anjou « Noëls de Montbenault » 2009 : domaine Richard Leroy – 2/11/11
(100% Chenin)
Robe paille jauni, terne.
Nez simple, fermentaire, boisé, sur une pomme un peu esseulée.
Equilibre déroutant, entre lourdeur et acidité, sur un déroulé monolithique peu excitant.
cr par Philippe Ricard – I approve this message
🙂
Par rapport à Richard Leroy, lire la BDs d’Etienne Devaudeau est une source d’information sur son vin et ses vignes, puisqu’il en est le personnage principal: http://www.futuropolis.fr/fiche_...
J’ai vraiment eu du plaisir à la lire.