L’accord sur le nucléaire iranien vient d’être signé et on peut vraiment le qualifier d’historique. Il y aura un avant et un après 14 juillet et, même si la route est encore longue, cet accord et la levée progressive de l’embargo vont redistribuer de nombreuses cartes sur l’échiquier géo-politique. Grand comme trois fois la France, riche d’un passé plurimillénaire, premier producteur mondial de gaz, un des plus importants producteurs de pétrole également, l’ancienne Perse va sans doute jouer un rôle important ces prochaines années dans la poudrière orientale d’autant qu’elle représente un rempart important dans la lutte contre l’autoproclamé Etat islamique et Daesh.
Premières images de Téhéran
De cet Iran-là, je n’aurai vu hélas que des bribes, quelques images presque « volées » dans la vibrionnante Téhéran, capitale tentaculaire dont les artères pulsent d’une énergie quasi inépuisable. Les flux s’entrecroisent, s’enchevêtrent dans un maillage hallucinant : voitures, motos, vélos, piétons. Ni feux ni passages piétons. Chacun taille sa route dans ce galimatias routier, calme et indifférent. On frôle l’accident en permanence dans cette ville de 10 millions d’habitants qui voit affluer chaque jour plus de deux millions de personnes. Traverser Téhéran en voiture aux heures de pointe est une véritable expédition.Traverser la route à pied exige une bonne dose de folie et de duende. Les statistiques sont implacables : chaque année, des milliers de vie disparaissent dans ce fracas.
Le Damavand
Dans la voie cruelle, Ella Maillard décrit ainsi la montagne emblématique de l’Iran : « La route sinueuse zigzaguait parmi les collines au pied de l’Elbourz. La vallée heureuse de Christina était proche, dans un repli de ce grand Damavand, qui comme tous les sommets isolés, a inspiré plus d’une légende ».
Après plusieurs km sur une route de montagne chaotique, le chauffeur nous dépose au sommet d’un petit col à 3200 m d’altitude, au cœur du parc national du Lar, à 70 km au nord de Téhéran. Un véritable sanctuaire naturel de 30 000 ha dans les montagnes avec ses vallées fertiles, ses montagnes abruptes et sauvages, véritables royaumes pour l’ours brun, le loup gris, le chacal, le sanglier et l’aigle royal que nous veillerons à ne pas déranger.
Objectif du jour : rejoindre en passant par des gorges abruptes et une succession de hauts plateaux d’altitude notre refuge pour la nuit, une petite mosquée nommée Emamzadeh Panj Tan, qui se trouve à 7 heures de marche. Les gisements fabuleux de gaz et de pétrole dont le pays s’enorgueillit ne feront pas oublier cette évidence : l’eau et la lumière sont les seuls principes de vie. Le long du cours d’eau qui traverse le parc la vie pastorale se perpétue, immémoriale et nomade, au gré des pâtures et des sources. En dépit de cette apparente profusion, l’Iran connaît aujourd’hui une grave pénurie d’eau : la profusion de barrages construits ces dernières années au mépris de tout bon sens et l’assèchement de nombreuses nappes phréatiques sont quelques-uns des facteurs de cette catastrophe écologique.
Au milieu du deuxième jour de marche, sous un soleil implacable, nous le voyons enfin apparaître, le volcan en veilleuse, se détachant sur l’azur : le Damavand ! Une telle perfection ne peut que susciter l’admiration et, chez tout alpiniste, l’envie de le gravir. L’itinéraire le plus fréquenté passe par la voie sud, très facile techniquement, mais le sommet culmine à 5671 m, 861 m de plus que le Mont Blanc !
Danse avec les loups
Nous voici au camp de base, la mosquée Saheb al Zaman à 3000 m à laquelle est adossée un camp de bergers nomades. Nous préférons dormir à la belle étoile, sur des lits de camps, plutôt que dans une des salles de la mosquée. 21h00 : c’est la fin du repas préparé par Buhran, notre guide que nous avions rencontré au mont Ararat et, bientôt, l’heure de l’extinction des feux… « Vous êtes certains de vouloir dormir à l’extérieur ? demande ce dernier, vous savez que la région est un des territoires d’élection du crotale sans sonnettes ? » Nous n’aurons hélas pas le temps de répondre à cette mise en garde. Devant nous se tiennent cinq barbus, surgis de nulle part. L’un d’entre eux est armé d’un long poignard. Il nous pose des questions en anglais : qui êtes-vous ? que faites-vous ici ? pourquoi l’une des femmes du groupe ne porte-t-elle pas de foulard ? Ils refusent le thé de bienvenue. Apprenant que notre guide Burhan est d’origine turque, le leader hausse le ton : pourquoi la Turquie soutient-elle Daesh ? Ils finissent par se calmer et disparaissent dans la nuit. Difficile de trouver le sommeil après un tel événement. Chacun s’arrange comme il peut avec les démons de la nuit. Le vent s’est levé. Il fait froid. A l’extérieur du campement, les chiens aboient avec persévérance : sans doute répondent-ils aux loups que l’on entend hurler dans le lointain. Les crotales voyagent-ils durant la nuit ? Et les barbus ? Chacun finit par s’endormir sur ces insolubles questions. Bienvenue au Damavand.
Le lendemain après quelques heures de marche, nous atteignons le camp 2 situé à 4200 m d’altitude : le Barqah Shelter, une solide et rustique bâtisse aux gros moellons de pierre. il y règne une joyeuse effervescence, rythmée par le son de la flûte et les chants. La plupart des alpinistes sont des Iraniens et réalisent sans doute le rêve de toute une vie : aller au sommet du Damavand.
La vue d’ici est saisissante avec ce moutonnement bistre et minéral de la chaîne de l’Elbourz, serti aux étages inférieurs de verts graciles, qui semble se déployer à l’infini. Au-dessus de nous, la montagne sacrée semble arrêtée dans son élan, laissant apparaître le lacis des coulées radiales, la gangue figée qui traduit ses changements d’humeurs. Les fumerolles sommitales témoignent pourtant de sa semi-activité ; elles nous ramènent dans un autre temps : 5350 avant J.C., date de sa dernière éruption. Bien avant Zoroastre et le mazdéisme. Avant les Achéménides, Cyrus et son cylindre où se trouve gravée dans l’argile la première charte des droits de l’homme, Darius 1er et ses lumières. Bien avant nous, tout simplement. La nuit est en train de descendre mais c’est l’aube du monde qu’il nous est donné de contempler, dans son éternel recommencement, le jeu fascinant des éléments et la durée comme cristallisée, pure concrétion, illustrée par l’infinie patience du minéral. Là-haut, comme dans les temples zoroastriens, le feu ne s’éteint jamais. Qui veille sur lui ?
Cinq heures du matin. Il fait très froid. « Départ dans l’affection et le bruit neufs ». Les gestes sont alentis, comme suspendus dans la soufflerie infernale du vent échappé du cratère. On se surprend à compter les pas. Ne pas décrocher sa respiration. « Persévérer dans son être ». Au fil des heures, nous devenons pierre parmi les pierres, fantômes silencieux parmi les fumerolles. Nous sommes des mutants trachyandésitiques, prisonniers d’un nuage de soufre. Je comprends tout à coup pourquoi les adeptes du vin sans soufre s’obstinent désespérément à écrire « sans souffre ». Je pense à tout ce que nous avons laissé plus bas : la rumeur du monde, les certitudes du quotidien, les fausses urgences ; la douceur, une certaine forme de civilisation ; le vin lui-même auquel depuis notre arrivée en Iran nous avons renoncé. Totalement interdit !
La respiration devient brutale, fragmentée, pulvérulente. Le vent redouble d’intensité. Il respire plus fort que nous, nous dérobant notre propre souffle. Encore quelques pas. Altéré par l’effort violent, un jeune Iranien s’effondre à côté de moi. 12h30 : nous devinons le cratère sommital, le petit lac gelé. Il est moins 5350 ans avant J.C. Le sommet est atteint.
Merci au bourguignon Christophe Gras et Maurice Zufferey compagnons d’ascension inoxydables ! Ainsi qu’à Majid Maddah, guide à Téhéran, à Buhran Cevarun, guide de montagne et à Vincent Eiffling, doctorant à l’Université de Louvain, pour la brillante conférence sur l’Iran du passé et l’Iran contemporain qu’il a improvisée à l’aéroport.
Une adresse encore : pour celles et ceux qui se rendraient prochainement à Téhéran, une adresse : le Bagh-e-Saba, un authentique restaurant iranien situé à Against Malek Awe, Shariati St – tél. +9821 77539684
Comment
Tu étais en culottes courtes quand j’allais déjà là-bas favec mon pote helvète Dinel faire un peu de skis sur de vieilles planches qu’un illustre revendeur genevois avait vendues à prix d’or sans même les préparer comme il se doit !
… toute une époque…
… du temps des grandes heures… et sans oublier les nuits aux musiques lancinantes et le vin local plus qu’acceptable.