Imaginez ceci : une terrasse à la campagne, juste après l’orage. Sous le dais de platanes noueux. Une gare désaffectée : aucun train ne s’y arrête désormais.
En ce début de mois d’août, le monde en vacance semble avoir oublié l’inoubliable acteur qui vécut dans ce village et venait souvent manger ici. Même ses cuites étaient shakespeariennes, les assiettes volaient, les mouches étaient clouées dans les cieux, les anges trépassaient.
Emmanuel Raynaud, le neveu de Jacques Reynaud, parmi les vignes de Rayas.
Pas d’Hécube, pas de spectre à l’horizon aujourd’hui. Hormis, peut-être, celui de Jacques Reynaud qui fut le messager de ce millésime dont on vient de remonter la bouteille de la cave.
Le vin coule lentement, sombre, épais, mystérieux. C’est du Rayas 1989, que je déguste pour la première fois. « Achtung bicyclette ! » comme aimait à dire un ami (qui n'avait rien de teuton) en présence d’un grand vin.
C’est du concentré d’immortalité, une présence énorme, inouïe ! Une complexité aromatique qui défie la description, tant chaque élément entre en résonnance avec l’ensemble et développe des harmoniques. Nous sommes sur la trace de tabac blond, de santal, d’épices orientales, de rose fanée, de bois de réglisse, de fruits secs, de zeste d’orange séché avec quelque chose de sanguin presque. Et ces notes balsamiques, infinies. Le corps est ample, énergique, gravé au burin, solaire et subtil à la fois, d’une lenteur infinie dans son déroulement. On se calme donc. On savoure. Aucune précipitation. C’est le temps de Rayas !
"C'est un vin transcendantal, dit-elle. Pourquoi vouloir accumuler les preuves du bonheur quand il n'y a qu'un bonheur, sans preuves ? »
Oh ! vite un abbraccio !
On pourrait parkériser, lui mettre des points, dire que ce vin est l'un des plus grands du monde !
On pourrait le comparer, ouvrir d’autres bouteilles, organiser d’exhaustives verticales, jouer les boulimiques, les influents, les insatisfaits. On pourrait aussi l’enfermer dans une crypte, l’attendre vingt ans encore, attendre qu'un train s'arrête devant la gare, juste en face, qu'une Ophélie en descende…
On pourrait… Non !
Tout au plus s’accordera-t-on ce potlatch : il reste encore une bouteille en cave. On se fait cette promesse, de revenir. Pour le match retour.
On ne se refait pas…
13 Comments
Rayas a tout d’un grand, meme ce petit detail de " Réservé " en dit long .
j’éspère que tu attendras encore un peu pour aller faire la mission punitive sur la derniere bouteille de ce restaurant.
puisse les dieux entendre ma voix et exaucer mon voeux .
Superbe dans notre verticale, cr par Pierre Citerne :
Châteauneuf-du-Pape : Château Rayas 1989
DS18/19+ – PC18,5 – LG18+ – PR18/19 – MF18,5/19.
Robe jeune !… très jeune… et dense… aussi impressionnante que celle du 1995.
Nez de grande profondeur, sombre, grave ; assez impénétrable, mais on a heureusement l’impression de se
trouver davantage au-dessus d’un puits que devant un mur.
La marque laissée par le vin en bouche est à l’avenant. Encore jeune, plein de vie, mais serré, porteur du
message propre à Rayas mais tout en réserve, en introspection avant que le temps soit venu de déployer ses
ailes. Tannicité, ampleur, profondeur et vivacité sont comparables aux caractères du 1995. Plus qu’avec les
indestructibles hermitages de 1978 et de 1990, le parallèle qui me vient à l’esprit est avec un vin italien (peut-être à cause de la veine acide, ou d’une petite note d’amande fraîche…), l’inoubliable Taurasi Reserva Piano
d’Angelo 1968 de Mastroberardino.
Pour ma part, j’ai préféré de peu le 2001, c’est dire !
Extrait de la conclusion proposée par Pierre :
"… Malgré cette unicité de Rayas, et la constance de son unicité au fil des millésimes, il nous a semblé
qu’une césure stylistique pouvait être perçue entre la période où le vin était produit par Jacques Reynaud
(jusqu’en 1996) et ce qui a suivi. Les vins de Jacques Reynaud possèdent souvent un caractère massif, une
densité, une monumentalité (1995, 1989, 1985…) que n’ont pas les millésimes plus récents ; ce style peut
sembler en fin de compte assez proche des plus grandes réussites d’autres producteurs « traditionnalistes »
de Châteauneuf (Henri Bonneau ou la famille Féraud par exemple) …"
Partagez-vous ce sentiment ?
Il y aura du Rayas au cours que j’aurai le plaisir de donner au 2ème semestre 2010, au CAVE ; consacré au merveilleux cépage qu’est le grenache. Quel millésime ? A suivre…
On le sait peu mais le modèle stylistique de Chauvet, en son temps, était Rayas. Lui qui aimait les grands vins de parfum. Des fleurs et toute la Provence des terres dans un verre…
Je le place dans mon panthéon perso à côté des meilleures Granges des Pères, Geynales de Bob Michel et autres grands piémontais.
A chaque ouverture de bouteille, c’est comme si un film commençait…
1989 ne semble pas encore du tout prêt à boire …
Rayas est un grand vin de parfum et de texture …
Tu as raison de parler de Chauvet, Nicolas. Je cois qu’il aimait dans Rayas le raffinement extraordinaire de son bouquet, ainsi que la grâce de sa texture. J’avais d’ailleurs prévu un de ses commentaires sur un vin que, sans doute, très peu d’entre nous auront dégusté, le Rayas 1945. Merci de m’y avoir fait penser !
😉
Et le 47 moelleux ?
Tiens, voila que cela fait remonter à mon souvenir que j’ai une bouteille de ce Rayas en millésime 1990. Joli cadeau ma fois. A ouvrir cette année sans doute, pour ses vingt ans.
Laurentg, si tu passes par mes montagnes avant la fin de l’année, je l’ouvrirai avec grand plaisir pour toi.
Laurentp
J’allais te le proposer … 🙂
Surtout qu’il était absent de notre verticale.
On se ficelle cela pour le début d’hiver et on mixe avec un grand tour en ski de fond ?
La piste débute à 500 m seulement de chez la maison. La cave est heureusement in situ…
Il ne me reste plus qu’à trouver un très grand blanc … (j’ai des pistes).
Le cr finalisé (malheureusement sans le retour escompté du producteur) est ici, en photos :
http://www.invinoveritastoulouse...