Dernièrement, le CAVE a eu le plaisir et l’honneur d’accueillir Gianni Fabrizio et Peter Heilbron, venus spécialement pour animer une dégustation consacrée au grand cépage rouge de l’Ombrie, le Sagrantino.
Relativement ignoré, il est pourtant l’un des plus riches du monde en polyphénols. On ne connaît pas l’origine génétique de ce dernier, mais Pline l’Ancien parlait d’un cépage rouge antique cultivé dans la région et qui lui ressemblait. Plus près de nous, dans les années 30, le Sagrantino est menacé de disparaître. Les habitants de Montefalco, son berceau, préfèrent en effet travailler dans les villes, notamment dans les usines de textile de la région. Il ne reste dans les années 70 qu’une quinzaine d’hectares, répartis ça et là ; mais il n’y a plus vraiment de culture spécifique. A cette même époque, la tradition maintenue par quelques vieux vignerons est de le vinifier après passerillage, donc en vin rouge doux. Le Sagrantino est alors un peu le vin de la fête et des grandes occasions. Le début des vins secs de Sagrantino ne date que de la fin de cette décennie, grâce notamment à Arnaldo Caprai qui sera le précurseur de ce style. Avant cette période, les rouges secs de la zone sont réalisés principalement avec du Sangiovese et entrent dans le cadre légal de la DOC Montefalco rosso (maximum 15% de Sagrantino).
La DOCG Montefalco Sagrantino secco est attribuée depuis 1979 aux vins produits uniquement dans la commune de Montefalco et partiellement dans celles de Bevagna, Gualdo Cattaneo, Castel Ritaldi et Giano dell’Umbria, dans la province de Pérouse. Dans les dernières années, la région a connu un véritable boom : il y avait en effet 120 ha de Sagrantino en culture 2000 et 660 ha cinq années après ! Les sols de l’appellation sont relativement argileux, mais dans certaines communes ils sont complétés par des sables qui semblent donner plus de finesse aux vins. Les rendements moyens tournent autour de 50 hl/ha, avec une limite fixée à 70 pour bénéficier de l’appellation. La DOCG impose au minimum une année d’élevage sous bois et au moins 6 mois de repos consécutif en bouteille. Au final, l’élevage total ne doit pas être inférieur à trois années.
Voici désormais le détail des vins dégustés, dans l’ordre suivi et donc par producteur.
Arnaldo Caprai – Montefalco Sagrantino « 25 Anni » : Le premier dans la région, Arnaldo Caprai a élevé ses vins en barriques, et qui plus est sous bois neuf. C’est le plus gros domaine de l’appellation. Il est par ailleurs très impliqué localement ; il a également mis certaines de ses vignes à disposition de l’Université de Milan pour étude. Son 2008 présente un nez encore ramassé, compact, sur les fruits noirs, mentholé. La bouche est ferme, corsée, très tannique, et se prolonge sur une saveur réglissée avec également un côté ligneux. Un vin musclé mais peu raffiné dès le départ, pour la garde. Issu d’un millésime humide et moins équilibré, le 2005 présente un nez de boite de cigare et de cendre froide qui rappelle certains vieux cabernets (évolution sur le poivron grillé). La texture est veloutée, onctueuse. De saveur fraîche, proche du végétal, c’est un vrai vin de repas, un peu bordelais dans sa forme.
Tenuta Bellafonte – Montefalco Sagrantino : Après une carrière de cadre de haut-niveau à l’international, Peter Heilbron change de vie et décide de créer ce domaine, prenant pour modèle son ami Gianfranco Soldera du mythique Case Basse à Montalcino (viticulture bio, petits rendements, macérations longues, élevages en grands foudres). Son premier millésime est 2008, mais nous goûtons ici son 2010, encore en élevage, au nez évanescent et raffiné de violette, d’abricot, fin et sophistiqué. L’attaque est veloutée et le vin présente un raffinement de texture saisissant, avec sa chair savoureuse. Il est long, puissant, doté d’une allonge solaire mais sans dureté, saline, très racée. La version 2009 offre des notes précises de thym et d’eucalyptus, avec des nuances de grillé et de fumé nobles. On admire son grand volume de bouche, et là aussi son impression de chair étonnante. C’est un vin puissant, fougueux, qui déploie une force impressionnante. Une véritable main de fer dans un gant de velours. La longue garde semble assurée. Et il est bien possible que ce domaine devienne culte. A bons entendeurs !
Tenuta Castelbuono – Montefalco Sagrantino : Ce vaste domaine a été racheté par la famille Lunelli des vins Ferrari, en Lombardie. A partir de 2010, les vins sont vinifiés dans leur nouvelle cave hyper moderne. Après avoir élévé en barriques à leurs débuts, ils vont passer aux foudres dès le millésime 2010. Le 2008 n’a pas encore été mis en vente, nous le goûtons en avant-première. Il offre un boisé un peu « marron glacé » pour le moment, mais présente de la densité aromatique, du fruit et pas mal d’éclat. L’attaque est suave et presque sucrée, puis il se développe sur un côté rond et sexy. La finale est corsée mais pas dure, moins rustique que sur le vin de Caprai. Le 2006 est issu d’une époque où l’équipe alors en place n’avait pas de cave, et vinifiait le vin chez un autre domaine. On perd ici grandement en précision aromatique et définition, avec un nez réducteur. Le vin se développe un peu rugueux, enrobé par le bois et finit sec. On sent l’effet « premier millésime », et on devine par ailleurs que le domaine a bien progressé depuis.
Perticaia – Montefalco Sagrantino : Cette cave est connue pour réaliser des vins assez « modernes », élevés en fûts avec une part importante de bois neuf. Son 2007 présente une couleur très sombre impressionnante. Le nez est boisé, masculin, tirant sur les épices et la réglisse. L’attaque offre une sensation presque sucrée, enrobée. Le vin se goûte assez international dans le côté facile de la trame tannique, avec une allonge chaude et roborative. Le 2004 est moins impressionnant et plus évolué, il marque le pas et sent un peu moins l’Ombrie que les autres cuvés du jour…
Antano Milziade – Montefalco Sagrantino « Colleadole » : Domaine célèbre, d’approche traditionnel, connu pour ses étiquettes et ses vins issus de vendanges très mûres élevés en grands foudres, il fait partie des incontournables de l’appellation. Son 2009 présente un nez riche de crème de fruit noirs qui rappelle même certaines Amarone, avec du charme donc, de la personnalité et une certaine forme d’originalité. L’attaque est quasi sirupeuse, mais étonnement moins lourde que le vin de Perticaia. Vin intense, riche, un peu haut en acétate mais long. Le 2007 est d’abord réducteur, puis il s’ouvre progressivement sur les fruits noirs et la violette. Sa texture charnue est inimitable. C’est un cru ample, raffiné, à la fois souple et généreux, enlevé. On retrouve une parenté avec le 2009. Des vins attachants, singuliers.
Adanti – Montefalco Sagrantino « Arquata » : Adanti fait partie des producteurs historiques de la DOCG, et c’est surtout un grand traditionaliste, qui élève longuement en foudres. Il n’est pas le domaine le plus régulier de la zone, mais à son meilleur, ses vins possèdent une race inimitable. Le 2006 goûté ce soir là offre un nez discret qui n’a fait que prendre ampleur et du fruit à l’aération, le faisant ressembler à un Barolo traditionnel, avec ses nuances balsamiques de menthol, de camphre et de baies noires. L’attaque est fraîche, juteuse, étonnamment pulpeuse. Le vin offre beaucoup de vivacité et de suavité au palais. Sa texture raffinée nous emporte vers une finale longue, solaire et salivante. Un coup de cœur ! Hélas, le même cru en 2001 semblait dévié par le bouchon et ne pouvait être dégusté dans les meilleures conditions.
Antonelli – Montefalco Sagrantino : Producteur historique, comme Adanti, Caprai et Milziade, Antonelli est connu pour ses vins tout en fruit. Le 2008 est pleinement dans ce registre, avec ses notes de cerise bien mûre et ses nuances orientales ; la bouche prolonge le nez : le vin est tout en toucher, pulpeux, délicat, avec une allonge civilisée, ravissante et gourmande. Un cru délicieux à boire immédiatement, même s’il peut sans doute (bien) vieillir. Hélas, à l’instar du 2001 d’Adanti, le 1999 pêchait par manque de précision, avec une finale un peu sèche et un tanin pas aussi gracieux que le 2008. La preuve, peut-être, que le domaine a progressé ces dernières années…
On termine enfin par le début, en quelque sorte, avec ce Passito 2007 du même domaine, réalisé selon l’antique méthode, après passerillage de la vendange. Passé une légère acescence, le vin offre un fruit éclatant qui tire sur la cerise burlat et la crème de mûre. On retrouve ces notes de fruit confit en bouche, les tanins sont frais, mentholés, salivants. Le sucre résiduel agit ici comme un exhausteur de goût, à la manière des grands VDN Rimage du Roussillon, mais sans mutage et donc avec (beaucoup) moins d’alcool. Un délice.
Un grand merci à Gianni Fabrizio et Peter Heilbron, qui ont permis d’organiser cette dégustation. Merci également à eux pour leurs explications et leur passion communicative : ils ont donné envie aux dégustateurs d’un soir de découvrir un cépage incroyable !
(les photos de cet article sont utilisées avec l’aimable autorisation de Peter Heilbron, qui les a mises à notre disposition)
5 Comments
Bravo pour cette monographie qui sera un beau chapitre dans une série à nourrir régulièrement.
Monsieur Caprai, qui savait recevoir comme personne dans sa belle roulotte durant Vinitaly où il faisait servir des déjeuners étoilés est la lumineuse symbiose d’une volonté farouche de défendre un style de vin ancré sur son histoire et en même temps d’une modestie qui laisse sans voix. Un Monsieur. Un seigneur de la vigne.
Merci François.
Arrivent les compte-rendus de l’étude de terroir Gigondas, la verticale de Barolo Bussia de Parusso, etc, etc…
Sur le Sagrantino, on lira aussi (en italien) : http://www.intravino.com/grande-notizia/dieci-anni-dopo-il-sagrantino-di-montefalco-2003/
Et aussi l’Aglianico, Nico (nous attendons tes conclusions sur les vins goûtés chez IVV)
Merci pour ce compte-rendu,, pour des vins que l’on ne croise pas tous les jours.
Le 25 anni de Caprai 2000 n’est pas un vin facile, facile …
Bien aimé le passito de Paolo Bea, qui rappelle le Veneto (recioto) ou la Lombardie (sforzat).
Bellissimo articolo, complimenti vivissimi. Ci sono i migliori, manca solo Tabarrini che da ormai alcuni anni forse è il migliore di tutti coi suoi 3 cru… è sia tradizionale che di moda. Campo alla Cerqua in particolare. Anche Moretti non è male.
Grazie a lei, e benvenuto sull questo blog. Grazie anche per gli indirizzi. Mi rallegro di assaggiare Tabarrini… Moretti ho assaggiato questa primavera, ma era troppo legnoso per me!