Créées à l’instigation du célèbre vigneron de Vosne-Romanée, les Rencontres Henri Jayer viennent de fêter leur vingtième édition. Réunis par Jacky Rigaux, qui fut un des proches d’Henri Jayer, une soixantaine de producteurs appartenant à l’élite de la viticulture mondiale se sont retrouvés la semaine dernière pour présenter des « vins de lieu » et dialoguer dans un esprit d’ouverture remarquable.
L’aventure a commencé en 1996 avec les Rencontres internationales « Vignerons, gourmets et terroirs du monde ». Dès le départ, celles-ci se sont centrées sur la dégustation des gourmets dont Henri Jayer – qui la tenait de René Engel – était un fervent partisan. Dégustation qui privilégie le toucher de bouche, la dimension tactile du vin, sa texture, sa consistance comme porteuses du message du lieu. Après une quinzaine d’années consacrées à la dégustation quasi exclusives de vins de climats, l’idée d’ouvrir ces Rencontres s’est imposée, comme le rappelle Jacky Rigaux.
Pas de chapelle étriquée, ni de coterie partisane, mais des viticulteurs épris de perfection et réunis autour de cet idéal : exprimer le goût du lieu !
Pendant deux jours les participants ont pu ainsi déguster un certain nombre de vins en provenance de France (Alsace, Bordeaux, Champagne Loire, Rhône), d’Italie (Barolo et Mezzolombardo), Californie, Chili et Suisse (canton de Vaud).
Le tout ponctué par des conférences, dont celle de Claude et Lydia Bourguignon, toujours aussi passionnants (bientôt en ligne sur le site de CAVE SA) et de votre serviteur sur Le Goût en archipel. Pressenti également pour une conférence, Jacques Puisais a hélas dû renoncer à participer à ces Rencontres, mais il a promis d’être là l’an prochain.
Difficile de parler de tous les vins et expériences partagées au cours de ces Rencontres, voici succinctement quelques notes prises au vol.
Philippe Charlopin, domaine Charlopin et fils
PhC a présenté trois millésimes 2011, 2009 et 2005) du vin produit à partir d’une parcelle de 21 ares sur Marsannay plantée « franche de pied » en 2001. Sur les 2500 pieds plantés initialement, seuls 600 à 700 pieds sont encore en production. Pour le reste, le phylloxera a déjà commencé ses ravages. Le 2005, dense et énergique, m’a le plus impressionné. Selon Charlopin, la différence entre les raisins issus d’une vigne franche de pied et ceux issus d’une vigne sur porte-greffe est impressionnante au niveau du goût. Cette dégustation a été l’occasion d’un échange très nourri. Claude Bourguignon a rappelé notamment que la vigne européenne a été marcottée depuis un siècle et demi et que c’est là la raison de sa faiblesse. Il faudrait, selon lui, régénérer Vitis Vinifera – travail énorme qui, pour le pinot noir, prendrait déjà une dizaine d’années.
Jacques Devauges, Clos de Tart
JD a pris l’an dernier la succession de Sylvain Pitiot au Clos de Tart. Sa dégustation géo-sensorielle a porté sur le découpage parcellaire très précis initié par son prédécesseur sur les 7.5 ha du Clos. Quatre vins ont été présentés. Trois correspondaient à une isolation parcellaire (partie du bas sur calcaire à entroques ; partie médiane sur un sol superficiel avec un calcaire plus actif ; partie du haut (330 m) sur marnes avec un peu de calcaire, d’une maturité légèrement plus tardive), le quatrième étant l’assemblage final correspondant à ce que sera le Clos de Tart 2014 et qui, si besoin était, que le tout est supérieur à chacune des parties prises séparément.
Dominique Videau, Château Branaire-Ducru
DV a présenté trois échantillons de cabernet sauvignon (majoritaire dans l’assemblage) parmi une quinzaine de « micro-terroirs » de Branaire-Ducru, soulignant le parcellaire assez éclaté de Branaire. Le premier tout en finesse et fraîcheur. Le deuxième issu de l’une des parcelles les plus proches de la Gironde, sur de gros éléments caillouteux, assez profonds, qui se distinguait par un nez de rose ancienne et une grande finesse d’expression. Le troisième issu de graves épaisses, plus anciennes sur sous-sol argilo-calcaire, caractérisé par une densité et une énergie impressionnantes, très « tubulaire » comme l’a noté un des participants.
François Duvivier, Domaine d’Angerville
FD a présenté un Volnay-Taillepieds 2011 du domaine issu d’un sol clair, caillouteux, très drainant, sur support de marnes et qui donne les vins les plus droits et les plus tendus du domaine. Dans ce millésime assez tendre, le vin frappe par sa droiture d’expression et la nuance de ces articulations. La vinification vise à favoriser l’infusion : vendange égrappée, cuvaison de 20 jours, remontages, pas de pigeage.
Guillaume Rouget, Domaine Emmanuel Rouget
Trois vins étaient présentés par ce domaine historiquement proche d’Henri Jayer, puisque Emmanuel Rouget est le neveu d’Henri.
Vosne-Romanée 2008 : corps stylé à la silhouette élancée et au fruité vibrant. Vosne-Romanée Beaumonts 2008 : davantage de profondeur et belle texture consistante avec la fraîcheur caractéristique du millésime. Nous avons terminé par un Hautes Côtes de Beaune blanc 2014 d’une belle vivacité.
Pascal Agrapart, domaine Agrapart
Comme l’a rappelé Claude Bourguignon, ici, à Avize, en pleine côte des Blancs, sur les sols crayeux du crétacé, l’alimentation en eau de la vigne se fait par remontée capillaire : ce n’est pas la racine de la vigne qui descend chercher son alimentation, c’est l’eau qui remonte. Pascal Agrapart a présenté trois champagnes de lieu, l’Avizoise 2009 (non dosé et élevé en fûts), cuvée produite à partir des raisins issus d’une vieille vigne sur des argiles à large surface interne, à la longue finale saline ; Complantée Extra Brut issue de 6 cépages complantés, pinot noir, pinot meunier, pinot blanc, petit meslier, arban.
Guillaume Selosse, domaine Jacques Selosse
Un autre grand d’Avize, le modèle de toute une génération de viticulteurs épris de champagnes de lieu. Guillaume a présenté deux cuvées en parallèle, l’Initiale et la V.O. : issues toutes deux d’un assemblage de trois crus, Avize, Cramant et Oger, elles apparaissent pourtant très différentes : lnitiale, produite à partir de vignes situées sur les bas de coteau avec des argiles assez profondes, épanoui, sphérique et extraverti et VO (version Originale), plus minéral et tendu, produit également sur Avize, Cramant et Oger, mais à partir de parcelles situées en haut de coteau.
Alexandre Chartogne,Chartogne-Taillet
AC – qui a travaillé chez Anselme Selosse – a présenté en dégustation deux échantillons du même vin (2010 en pinot meunier) avec deux élevages différents (œuf béton et cuve). Dégustation intéressante qui illustre l’impact des choix effectués en vinification et élevage, l’œuf béton ouvrant davantage le vin que la cuve. Le troisième vin, un peu énigmatique puis s’ouvrant peu à peu, s’intitule « Les Barres ». Il est issu d’une vigne de pinot meunier plantée en 1952 franche de pied sur les sables thénatiens. L’élevage ici est conçu de telle façon à « user » un peu la partie fruitée pour laisser le minéral apparaître.
Raymond Paccot, La Colombe, Féchy
Raoul Cruchon, domaine Henri Cruchon, Echichens
Nos deux valeureux vignerons vaudois participent régulièrement aux Journées Henri Jayer. Raymond Paccot a commencé par sa cuvée Les Curzilles 2013 (issue d’une vigne complantée avec 6 cépages différents (Chasselas, Doral, Pinot gris et Riesling notamment) sur un terroir calcaire à haute expression. En deuxième approche, il a présenté un autre de ses fleurons, le Brez 2013, issu d’un sol brun calcique situé à l’est de Féchy et cultivé en biodynamie. Un débat intéressant a suivi sur les levures naturelles et leur rôle. A ce propos, Claude Bourguignon a insisté sur le fait que les levures arrivent par la racine de la vigne et se trouvent principalement dans la grume.
Raoul Cruchon a présenté deux chasselas : le Mont de Vaux 2014 fin et floral, issu d’un terroir de moraines compactées et le Sideris 2014 dans un style plus énergique, issu de moraines de repli au régime hydrique idéal et qui donnent des vins « célestes et aérodynamiques ». L’expression est très belle.
Lionel Cousin, Cupano, Brunello di Montalcino
Lionel Cousin, le propriétaire de ce petit (7 ha de vignes) mais ambitieux domaine de Brunello, était auparavant dans le cinéma. Avec sa femme Ornella, ils ont défriché et replanté un terroir abandonné après le phylloxera. Leur premier millésime est le 2000. LC a présenté son Brunello 2011 ( récemment mis en bouteilles après 4 ans de foudre et 1 an de cuve) et l’imposant 2010 aux notes de prune et d’épices.
Isidore Vajra, G.D. Vajra, Barolo
La nouvelle génération de la dynamique famille Vajra était représentée par le jeune Isidore, passionné et compétent, qui a présenté le Barolo Bricco delle Viole 2011, fin et stylé, suivi par le dynamique et séveux Barolo Ravera 2011.
Federico Scarzello, Scarzello Georgio e Figli
Ce petit domaine de Barolo présentait trois vins : un Langhe rosso 2013, sapide et élancé, une Barbera d’Alba 2011 à la texture suave et un Barolo Sarmassa 2009, robuste, intense et racé.
Peter Dawson, Dawson & James, Tasmanie
Eh oui ! Il y a même des Henri Jayer geeks sur les sols volcaniques de Tasmanie ! Peter Dawson est l’un d’eux. Il a présenté deux pinots, un 2013 très joliment texturé en provenance de sols basaltiques et un 2014 issu d’une récolte avec beaucoup de millerandage et vinifié pour un cinquième en vendange entière.
Derenoncourt Consultants
Julien Lavenu et Stéphane Derenoncourt ont présenté un mixte de vins en provenance de propriétés qu’ils conseillent et de vins plus personnels. Tout d’abord, en provenance de Santorin, l’Assyrtiko 2013 d’Argyros au nez de fenouil sauvage et de fumé, à la découpe très ciselée. Puis, de la Toscane, le Carla 2012 de Giorgio Primo, pur sangiovese sur sols schisteux et calco-schistes au dessin très pur et au tanin savoureux. Un saut à Bordeaux chez Stéphane et Christine avec un domaine de l’A 2010 toujours aussi magnifique et cap sur la Napa Valley avec un cabernet franc 2007 signé Stéphane Derenoncourt, produit à partir de raisin achetés.
Nadine Gublin, Domaine Jacques Prieur
De l’importance du contenant et de la nécessité de se mettre en question. Tel aurait pu être le titre de la présentation faite par Nadine Gublin. Trois cuvées de Puligny Les Combettes 2014 élevée dans trois contenants différents. L’idée de départ ? Les bourgognes blancs sont parfois trop boisés et ne vieillissent pas toujours aussi harmonieusement que souhaité. Fût neuf, fûts ayant déjà contenu un ou plusieurs vins et foudre (neuf) de 25 hl. Le vin le plus frais était incontestablement celui issu de ce dernier contenant, mais Nadine a déjà sa petite idée.
Chris Howell, Cain, Napa Valley
Sur le thème « l’inspiration de l’étranger », Chris Howell a posé cette question : »comment reconnaître un vin de lieu si l’on n’a jamais connu ce lieu ? » Il y a répondu à travers trois milllésimes de Cain Five (2012, 2011, 2010), qui témoignent d’une vraie quête qualitative et stylistique.
Frédéric Ammons, Rudd Oakville Estate, Promontory
Pour la fin de cette première journée de dégustation, nous sommes restés dans la Napa Valley avec la présentation des vins de Oakville Estate par F. Ammons : le 2014 et le 2013. Ainsi que du nouveau projet ambitieux de Bill Harlan et de son fils Will, Le Promontory. Ce lieu sauvage (350 ha de forêts et 25 ha de vignes) situé dans les collines près d’Oakville, non loin de Harlan Estate, était depuis longtemps le rêve de Bill Harlan. Il l’a concrétisé en 2008 et nous avons pu goûter le 2009 (dense et juteux) et le 2009.
La suite : prochainement
Photos : J. Perrin et Isidore Vajra
Leave A Reply