Il y a un peu plus de quinze ans, la fin d’une dégustation à Neuchâtel. Un parterre de notables. Des gens qui échangent autour des crus dégustés. Des connaisseurs, d’autres qui voudraient se faire passer pour… des bavards. Un peu à l’écart, silencieux, un presque jeune homme semble observer la scène. Il aurait sans doute davantage à dire sur ce que nous venons de goûter. Je m’approche de lui. Il vient de reprendre le domaine de la Rochette à Cressier. « Mon idéal est de produire un très grand pinot en Suisse ! » me déclare-t-il d’emblée.
– « Oui… et quels sont vos modèles en Bourgogne ? »
Il cite quelques noms.
Je lui réponds : « Si vous êtes libre, je vous invite à venir avec moi lors de mon prochain voyage en Bourgogne ».
C’est ainsi, en 1999, que j’ai rencontré Jacques Tatasciore et qu’est née une belle amitié.
Quelques années plus tard, les vins du domaine de la Rochette brillent au firmament des grands pinots du monde. Cette reconnaissance internationale – ses trois cuvées ont obtenu les plus hautes cotations lors d’une récente dégustation faite par un des collaborateurs de Robert Parker – restera sans doute dans les annales des vins suisses !
Elle est le résultat d’un travail acharné à la vigne et d’une quête qualitative visant à optimiser tous les détails. Isolation parcellaire de vignes situées près de Cressier dans la canton de Neuchâtel, sur une bande calcaire à l’allure très bourguignonne, travail important de sélection massale, viticulture de pointe, rendements minuscules, vendanges à la carte, tri méticuleux ainsi qu’une optimisation de toutes les étapes de la vinification et de l’élevage, telles sont quelques-unes des clés qui permettent d’expliquer la réussite du domaine de la Rochette.
J’ai eu le bonheur d’accompagner Jacques Tatasciore dès les débuts de cette belle aventure. Nous avons eu de nombreuses séances de dégustation, à l’aveugle, hors cave et je puis témoigner que son exigence ne souffre aucun compromis.
Vous l’aurez compris : cette verticale – unique dans l’histoire du domaine – revêtait une dimension particulière et l’émotion était particulièrement palpable ce soir-là.
Domaine de la Rochette Les Rissieux 2005
Beaucoup de finesse d’expression, encore sur le fruit. Il se distingue par sa bouche aux articulations précise, sa belle densité et sa finale au tanin réglissé. « vin anti-flatteur par définition, commente un des participants. Bouche assez tendue. C’est un vin d’esthète »
Domaine de la Rochette Vieilles Vignes 2007
Jolie robe rubis. Nez boisé/épicé. Entrée en bouche suave. Corps rond, sphérique. Belle richesse de constitution, mais la finale reste sur la fraîcheur.
Domaine de la Rochette Les Margiles 2007
Robe profonde. Très joli nez, sur les baies des bois, touche florale à l’ouverture, moka. Corps pulpeux, belle texture, consistante et finale racée.
Domaine de la Rochette, Les Rissieux 2007
Le nez est superbe, intense, complexe, encore très jeune dans son expression. Maturité avec une sensation de fraîcheur. La bouche est remarquable, ascendante, avec une grande finale.
Le point de vue de Jacques Tatasciore sur le millésime 2007 : « on a commencé les vendanges en septembre. Sur la même parcelle, on a vendangé pendant 3 semaines, il y avait beaucoup d’hétérogénéité dans la maturité. »
Domaine de la Rochette 2008, Cuvée grappes entières
Evolution normale sur la robe. Nez avec des notes balsamiques, fraise macérée. On a en bouche un côté légèrement mentholé et une sensation de fraîcheur. Finale un peu stricte, mais le vin offre une très belle tenue et n’est pas dépourvu de sensualité tactile.
Domaine de la Rochette, Les Rissieux 2008
Le nez est un peu moins « dégagé » que sur le précédent, mais au palais il se présente comme un vin superbe très droit, dynamique, millimétriquement ajusté avec une finale intense et légèrement saline.
Le point de vue de Jacques Tatasciore sur le millésime 2008 : « Millésime très frais, avec des maturités un peu limite. A la fin, il n’est resté que ces deux vins… »
Domaine de la Rochette, Les Rissieux 2010
C’est un peu un millésime-charnière dans l’histoire du domaine avec l’apparition d’une esthétique nouvelle et encore davantage de précision dans le travail. Ces Rissieux se présentent avec une grande délicatesse dans l’aromatique, une fusion du bois idéale et le corps se distingue par sa très belle texture, consistante, un tanin d’orfèvre, velouté, magique et une finale magnifique, d’une grande tenue.
Domaine de la Rochette, Les Chanez 2010
Il est émouvant de goûter ce vin, rarissime, et dont c’est hélas ici le dernier millésime : la vieille vigne a été arrachée ensuite et il faudra certainement attendre une vingtaine d’années avant de revoir pareil chef-d’œuvre. A mon goût, c’est, du point de vue de la complexité, de l’énergie interne et de la longueur, époustouflante, le plus grand pinot noir produit à ce jour en Suisse !
Domaine de la Rochette, Vieilles Vignes 2011
Belle couleur encore très jeune. Cette cuvée, qui avait causé quelques soucis à JT (malo très tardive) se présente aujourd’hui sous de magnifiques atours. Fruité intense, très pur, sur la mûre, la ronce. Corps chatoyant, à la texture enveloppante, tanin très délié et belle finale sur le fruit, d’une grande fraîcheur, en dépit du caractère assez solaire du millésime.
Domaine de la Rochette, Les Margiles 2011
Le nez est très fin, sur une aromatique avec un bel éclat, baies des bois. Entrée en bouche caractérisée par une belle pulpe fruitée. Corps ample, généreux. Il évolue lentement en bouche, dans un style expansif, on sent davantage le côté solaire du millésime ici que sur le Vieilles Vignes. Finale au tanin buriné, très droit, encore un peu strict, mais racé.
Domaine de la Rochette, Les Rissieux 2011
Notes fruitées intenses avec une touche ligneuse très délicate. Le tanin est satiné avec une note florale. Forme en bouche allongée, dotée d’une grande texture. Un vin de grand raffinement à la magnifique envolée finale !
Domaine de la Rochette, Les Rissieux 2012
Nez d’une grande fraîcheur. Touche de poivre blanc. Floral et épicé. Grande délicatesse dans la texture. Il entre en bouche glissando, très pulpeux, avec de la fraîcheur et s’affirme à l’évolution sur une finale au tanin fin et aux notes de cerise, avec une touche florale.
Domaine de la Rochette, Rochettes 2012
Belle robe encore très jeune. Il est dense, dynamique, avec une trame poivrée et une très belle tonicité. On a une grande finale qui rappelle un peu celle des Chanez 2010 ! Il y a eu un seul fût de ce vin en 2012. C’est un cru à part, stratosphérique, produit à partir d’un tri minutieux sur près de 3 semaines. Un miracle dans un millésime assez calamiteux. « C’est du sur mesure. On a fait la robe sur le mannequin. Les Rochettes, c’est 100 % grappe entière et je pense que c’est peut-être mon plus beau vin » explique son auteur…
Le travail au domaine de la Rochette vu par Jacques Tatasciore : « On a un tri qui est très très bon à la vendange. Un enfant de 6 ans serait capable de vinifier parce que c’est bien trié. Au niveau des vinifications. Pas de soutirage en principe. Pas de collage, pas de filtration. Soutiré au clair, mis en masse, stabilisé et mis en bouteille tel quel. »
Domaine de la Rochette, Vieilles Vignes 2013
On est sur un profil aromatique un peu différent, tout en fraîcheur. La bouche est savoureuse, bon équilibre, sur un tanin fruité, légèrement poivré. Agréable finale, d’une vivifiante tension, sur les fruits rouges ainsi qu’une note de pivoine. En devenir, il est plein de promesses et réservera sans doute de belles surprises au vieillissement.
JT lui trouve un côté génial parce que la conjonction de la fraîcheur et de la maturité.
La grêle du 20 juin 2013 a sévèrement touché la région de Cressier et, dans cet autre millésime calamiteux, seuls trois fûts (900 bt) de Vieilles Vignes ont été produits sur les 5 ha du domaine !
Domaine de la Rochette, Chardonnay 2009
« C’est le petit gag sur la fin, car je ne suis pas un producteur de chardonnay et je fais preuve ici d’une certaine constance parce que je les loupe régulièrement. Autant sur les rouges, j’ai une certaine compréhension, autant sur les blancs, quand je crois avoir compris quelque chose, la fois d’après, ce n’est plus vrai…» commente un peu trop modestement Jacques Tatasciore
Finement miellé, floral et agrumes, ce Chardonnay 2009 offre une très belle trame acide au palais et, par sa très belle facture, vient clore en beauté cette dégustation.
Merci à Jacques Tatasciore pour cette verticale d’anthologie qui a enthousiasmé tous les participants !
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