Le millésime 2012 fut celui de la Côte Chalonnaise, 2013 sera sans doute celui de la Côte de Nuits ! « Sans doute », car on ne peut donner que des impressions en ce début de mois d’octobre. On en saura plus quand les vins seront faits, fin octobre, et surtout après la fin des fermentations malo-lactiques qui prendront sûrement leur temps, car l’acidité malique est particulièrement affirmée cette année, ce qui est bon signe.
Chaque millésime est marqué par la triple influence climatique que subit chaque année la Côte bourguignonne : continental sibérien par le nord-est, atténué par les massifs de la Forêt Noire et des Vosges, maritime par l’ouest, atténué par le Morvan, et méditerranéen par le sud. En fait doigt méditerranéen de quelques kilomètres de large qui monte jusqu’à Is sur Tille, à quelques kilomètres au nord de Dijon ! Cette triple influence se marie par ailleurs avec un vent du nord qui ne se manifeste pas toujours au bon moment, des effets de foen ici et là, des courants d’air venant des combes… Phénomène unique, cela explique que la Bourgogne, qui a poussé à l’extrême la délimitation et la hiérarchisation de ses parcelles (« climats »), a également poussé à l’extrême la diversité de ses millésimes !
Comme dans tous les vignobles du monde, deux périodes du cycle végétatif de la plante sont déterminants : le passage de la fleur et les 100 jours qui précèdent la vendange. Le célèbre Henri Jayer l’avait théorisé (on pourra se reporter aux trois livres écrits avec lui, Ode aux Grands Vins de Bourgogne, Les Temps de la Vigne et Millésimes en Bourgogne)..Côté ensoleillement final, comme le notait Emmanuel Rouget, son neveu et successeur, « avec moins d’une centaine d’heures de soleil en septembre, on ne fera pas un millésime exceptionnel. » Cependant juillet et août furent beaux, et le début d’octobre chaud. Par ailleurs il y a eu quelques pluies au bon moment, en août et en septembre, nécessaires à la bonne maturation des baies. Globalement, malgré un printemps maussade, pluvieux mais froid, ce qui freina les attaques de mildiou, la vigne a bénéficié de conditions climatiques satisfaisantes, avec en particulier un bel été et un peu de pluie fin août et début septembre arrivées au bon moment pour activer la maturité des grumes…, et « le pinot est une bête à chagrin » comme disait Henri Jayer. Présent ici depuis plusieurs millénaires, il a su s’adapter à ce climat très contrasté de la Côte bourguignonne. Quant au chardonnay, « c’est une fille facile », comme disait le géologue Robert Lautel. Les marnes calcaires lui vont bien, et il est bien servi en Côte Beaune et à Chablis !
Une passation de la fleur particulièrement longue
« La fleur s’est étalée de fin mai à fin juin, la maturation optimale arrivait donc dans la première semaine d’octobre », comme le remarquait Philippe Charlopin qui attend toujours la maturité physiologique optimale pour récolter ses raisins. « Comme la Côte de Nuits est plus froide que les autres Côtes, c’est ici que la fleur s’est terminée le plus tard, c’est donc ici qu’on a pu attendre le plus longtemps pour vendanger. Par ailleurs, les portes greffes sont déterminants en années au risque du botrytis. « Riparia » et « 3309 » ont bien mieux résisté que SO4. Il fallait commencer par couper les vignes portées par des SO4 ! Comme les chardonnays ont passé fleur plus tôt, j’ai commencé par mes blancs en Côte de Beaune. Quant à Chablis, petite quantité cette année signifie bonne maturité. On est très content de nos Chablis »
Confiance du côté de Gevrey-Chambertin
Interrogé le mardi 8 octobre alors qu’il récoltait ses « Combe-Dessus », joli climat vinifié à part en appellation « Gevrey-Chambertin », Arnaud Mortet me disait qu’il n’obtiendra sans doute pas l’exceptionnelle qualité des 2010, l’exquise réussite des 2011 et l’heureuse et belle surprise des 2012, mais qu’il était très confiant. « La récolte est relativement faible, mais moins que les trois précédentes ». Sagement il poursuivait : « Je ne vois pas trop les vins qu’on va faire cette année, mais ce seront sans doute des vins faciles. Ils n’auront pas d’énormes matières, mais ils auront beaucoup de fruit, avec de bonnes acidités, et de beaux parfums. On pourra sans doute les boire plus jeunes que les 2010, 2011 et 2012. Je les vois un peu comme les 2000, et il y aura de grandes cuvées, comme ces Combe-Dessus que je rentre aujourd’hui ! »
Au domaine Philippe Charlopin, c’est le grand cru « Charmes-Chambertin » qui venait d’être mis en cuve ce mardi 8 octobre. A ma question : « quel degré potentiel ? », Philippe Charlopin me répondit qu’il n’avait pas encore regardé. Allant chercher son réfractomètre dernier cri, il tira un peu de jus et fit le test : 13° s’affichèrent. Et de m’expliquer qu’il n’aura pas besoin de chaptaliser ses Grands Crus cette année. Dans la foulée on fit le test en « Chambertin » avec 12° 9 et en « Justice » : 13°.
Bernard Dugat et son fils Loïc ont fait un travail d’orfèvre dans les vignes tout on long de l’année, la charge de raisins était faible, avec beaucoup de millerandage, ils étaient mûrs fin septembre, donc rentrés à partir du 28 dans des conditions sanitaires remarquables, et les fermentations se déroulent remarquablement bien. Au domaine Gilles Seguin, Richard, le neveu de Bernard Dugat, était radieux ce dimanche 13 octobre : « On tient un millésime avec de remarquables acidités, ce qui génère de superbes arômes. » Même constat chez Bernard Bouvier : « On a d’excellentes acidités maliques, de bons PH. On aurait bien sûr fait mieux si le beau temps annoncé fin septembre avait été au rendez-vous ! »
Et à Vosne-Romanée ?
Discutant fin août avec Aubert de Villaine, il m’avait confié que les raisins avaient bien profité d’un été radieux, après un printemps maussade. « Comme la fleur s’est beaucoup étalée, on avait fin août, sur le même raisin, des grumes vertes et d’autres déjà bien engagée dans la maturation ». En attendant en cuverie les raisins cueillis dans le climat en monopole « La Tâche », le 7 octobre, il me confia : « Vendanges difficiles, mais gratifiantes ». Il est vrai qu’au Domaine de la Romanée Conti, pas moins d’une quinzaine de personnes s’activent à la table de tri, avec Bertrand de Villaine, le neveu d’Aubert, parmi elles, et le regard affûté de Bernard Noblet ! Par ailleurs, on se presse pour vendanger ici, l’assurance d’une mise en cuve de raisins les plus qualitatifs possibles, car déjà soigneusement triés à la vigne !
A quelques dizaines de mètres de là, Louis-Michel Liger Belair était également très confiant. Avec un égrappage particulièrement soigné, il a pu mettre en cuves des grumes très saines, aux peaux assez épaisses et avec des pépins arrivés à maturité. Quant au jeune Maxime Cheurlin, 22 ans, qui a repris le domaine Georges Noëllat, il rentrait ses Grands Echezeaux à près de 13° potentiels très serein ! Un jeune talentueux plein de promesses, grand ami de Guillaume Rouget, un autre jeune plein d’enthousiasme, passionné, déjà excellent dégustateur, doté un exceptionnel sens du vin.
Si Emmanuel Rouget, sagement, rappelait qu’avec un déficit de soleil en septembre on ne peut pas faire un très grand millésime, ses deux fils Nicolas et Guillaume approuvaient la sagesse paternelle d’avoir rentré Echezeaux et Cros Parantoux dès les 5 et 6 octobre. « Il ne fallait pas plus attendre ! On a bien fait car on a de belles acidités, et un potentiel alcoolique remarquable compte tenu de l’année ! »
Vendanges plus hétérogènes en Côte de Beaune
La Côte de Beaune a souffert d’une grêle impressionnante le 23 juillet. Pernand, Savigny, Beaune, Pommard, Volnay, Meursault, ont été touchés. Heureusement, seuls certains endroits ont été très sévèrement meurtris, et heureusement pas plus de 15 % du vignoble sont concernés. Bien sûr c’est très triste de voir l’ensemble du Clos des Mouches, par exemple, détruit, mais il ne faut surtout pas exagérer la surface totale de vigne concernée par ces dégâts impressionnants. « Nous avons eu un orage impressionnant avec des grêlons comparables à des balles de tennis par endroits, mais avec beaucoup d’eau qui les a noyés et heureusement atténué les effets dévastateurs », me confiait Jean-Marc Roulot.
Le vignoble de la Côte de Beaune a ainsi été plus fragilisé que ceux des Côtes de Nuits, Côte Chalonnaise, Mâconnais et Chablis. Le chardonnay étant plus fragile que le pinot, certains vignerons ont choisi de vendanger très tôt, dès le 21 septembre. D’autres ont eu les nerfs solides et n’ont commencé que le 3 octobre, en particulier à Meursault. « Tous les ans il faut être très rigoureux dans l’ordre de passage dans les parcelles, mais cette année il fallait être particulièrement rigoureux, avec une semaine d’écart entre les parcelles les plus précoces et les autres. Il fallait commencer du côté des Luchets au nord du vignoble de Meursault et terminer au sud, du côté des Bouchères, récoltées à 13°. Les quantités seront encore, pour la quatrième année consécutive, faibles, avec pas plus de 24 hectolitres par hectare en moyenne. Je suis cependant très satisfait de mon choix. Avec des degrés allant de 12 à 13, de bonnes acidités et des fermentations dynamiques, on peut espérer un bon millésime ».
Frédéric Barnier, qui a pris la suite de Jacques Lardières chez Jadot, confirme l’analyse de Jean-Marc Roulot en affirmant qu’ « il y avait de vrais choix à faire sur la première semaine des vendanges. Cela a été déterminant pour la réussite du millésime 2013. Avec les deux chefs de culture, en trois jours on a changé la programmation des parcelles à récolter. A partir du 8 octobre, il n’y avait plus vraiment à espérer de gagner encore en maturité. C’est le secteur de Gevrey qui aura été le plus tardif cette année. »
Un millésime d’une grande diversité d’expression
Il y aura donc une grande diversité d’expression des vins, millésime 2013. Ce sera incontestablement l’année de la Côte de Nuits, celle de Gevrey-Chambertin en particulier. En rouge, on aura de très belles réussites, dans les « climats » les plus réputés bien sûr, mais également en appellation Village, et même en appellation Bourgogne. En visitant l’élite de a viticulture bourguignonne, on ne peut que se réjouir des grands efforts faits pour s’adapter aux changements climatiques en cours, à toutes les étapes du travail de la vigne. Pour accueillir la vendanges, tables de tris de plus en plus sophistiquées et égrappoirs de plus en plus performants se dont généralisés. Cependant, la main de l’homme reste déterminante, et le choix des vendangeurs et des trieurs en cuverie essentiel.
Dans les cuveries, cette année, il y avait beaucoup de parfums qui s’échappaient dès les débuts de fermentation, grâce aux belles acidités de la récolte, ce qui donnera des vins rouges vifs et frais, sans doute plus en texture qu’en consistance, particulièrement aromatiques. En blanc, il faut s’attendre à plus d’hétérogénéité, avec des vins un peu faibles quand ils seront issus de vendanges rentrées autour du 20 septembre, mais d’une bonne consistance, tendus et parfumés, quand ils seront le fruit d’une vendange arrivée à maturité physiologique optimale. Mais attendons le prochain printemps pour avoir une idée plus précise des vins, dans les deux couleurs, quand ils auront fait leurs fermentations malolactiques et qu’ils auront pris leur vitesse de croisière en élevage, car ce sera une année facile à vinifier, mais exigeant le plus grand soin pour arriver à la mise en bouteille.
Texte : Jacky Rigaux
Photo : Mei Hong (hormis les photos sans mention)
2 Comments
Cela donne envie …
Un petit coucou à Meï au passage …
Merci beaucoup pour ce joli état des lieux. En Côte de Beaune, avez-vous des informations plus précises concernant les vignobles d’altitudes? Mi-septembre les maturités étaient inquiétantes (un vigneron sérieux disait que dans les hauteurs de Saint-Aubin, vers le 13 septembre, il avait des vignes à 7° de potentiel) sur toutes les hauteurs. Un passage d’ailleurs vers Les Tillets à Meursault montrait du raisin pas au top, avec cependant comme vous le dites du beaucoup mieux sur les 1er crus et les bas.