En voyant la salle, nous mesurons le privilège de dîner ici ce soir : c’est un exploit historique que de réserver six couverts dans un tel établissement (merci Philippe et François). On comprend dès lors mieux pourquoi, malgré ses étoiles, le Kojyu entend demeurer secret.
Avec un Dom Pérignon 1998, minéral et finement miellé, tendu comme un arc, c’est quasiment l’état de grâce. De quoi se remettre de ces frayeurs.
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Soupe de bonite avec gâteau de crevettes, gâteau de riz, herbes japonaises.
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Sashimi : thon, daurade et encornets
Et une vraie révérence au passage, à la japonaise, pour Daizen-Shoku, grand cuisinier oublié de l’époque Nara (8ème siècle) qui inventa cette façon d’apprêter les poissons (surtout des poissons d’eau douce à l’époque) pour l’Empereur.
Saito san Okuda nous présente les deux variétés de thon, la ventrèche o-toro et la partie du dos qui s’appelle akami.
Même le wasabi est ici préparé à la minute, devant vous.
Bœuf grillé de Shizuoka Sodachi (près de Tokyo) : aussi persillé et extraordinaire que le Kobé ; maquereau fumé mariné dans du saké et du mirin, le tout accompagné de racines de bambou. Une association étonnante, presque déconcertante de prime abord mais qui fonctionne parfaitement.
Tofu frit, petites crevettes grises et différentes sortes de courges
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On n’a guère parlé de vins jusqu’ici, captivé par l’incroyable gestuelle du chef qui compose devant vous le menu, soliste inspiré, mais on quand même ouvert plusieurs bouteilles pour des accords parfois osés, parfois évidents (Clos Nardian 2005, Flint, Weisserburgunder 2007 spätlese de Martin Wassmer, Calvet-Thunevin 2002, Dentelle et, pour finir, un Trotanoy 1989 d’une tenue et d’une complexité admirables avec ses notes de truffe, de violette, ses tannins soyeux et réglissés).
– Celui que vous venez de côtoyer durant trois heures et qui vous a écouté sans comprendre votre langue, celui qui vous a montré le chemin du restaurant lorsque vous étiez perdu, c’est Kojyu lui-même ou, plutôt, l’ombre de Kojyu. Ce dernier était un potier très renommé dans notre région qui a travaillé longtemps pour une des familles les plus influentes d’Edo, c’est ainsi que je continue à appeler notre vénérable ville… Tous les plats que vous trouverez ici sont d’ailleurs signés par lui, ajouta notre hôte, en nous désignant la magnifique faïence dans laquelle nous venions de prendre notre repas. Après cette rupture avec son employeur, Kojyu a sombré dans une lente dérive. Outre l’appartement dans lequel il logeait, il possédait cette petite maison dans le quartier de Ginza qui n’était pas alors aussi luxueux qu’aujourd’hui. C’est ici que Kojyu aimait venir noyer son chagrin et moudre son talent perdu car il n’y a pire déshonneur pour un Japonais que de perdre ainsi la face, devant la personne qu’il vénère le plus, car un artisan, ici, vénère son mécène. A la mort de Kojyu, j’ai pu racheter ce logement et j’ai en fait en restaurant auquel, par fidélité à sa mémoire, j’ai donné son nom.
KOJYU
Diani Sanyu Bldg.1
8-5-25 Ginza Chyuouku
Tokyo 104-0061 Japon
T. 03-6205-9544 F. 03-6215-9545
2 Comments
Il s’agit de Trotanoy 1989 et non Evangile 1989 !!
Mais bien sûr, merci mon ange : il a toujours été question du Trotanoy !