On reste dans la mystique. Après Dieu, c’est l’éternité qu’on convoque. J’adore cette collision de l’Aîon et de Chronos (que l’on trouvait déjà chez les Stoïciens), de l’instant pur et de la durée, le temps des corps et de l’incorporel, de l’événement. Finalement, c’est en cela que cette course est un événement, un infinitif, grâce à cette seconde gagnée (sur l’éternité ?). On oublie le reste, la haute technologie, la numérisation, les icônes, la marchandising et le reste…
J’ai eu le plaisir de déguster aujourd’hui deux vins du Priorat qui m’ont enthousiasmé.
Le Terram 2005, produit par un jeune œnologue sur quelques ha, un Priorat à part, sur la finesse et la fraîcheur. Très jolie bouche, finement articulée, sur un profil élancé, d’une trame très dynamique et qui finit sur une jolie persistance. Un vin de style ! Et le
Mas Romani 2004 La Creu Alta 2004 (Carignan 60 % et 40 % grenache : une partie des vignes qui composent cette cuvée sont centenaires) élaboré avec la participation de Michel Tardieu. Grande couleur, foncée. Nez raffiné, complexe, superbe prise de bois. La bouche évoque un grand Châteauneuf du Pape. Beaucoup de noblesse et de race sur ce vin ascendant aux tannins réglissés. On sent ici les petits rendements et le climat généreux mais rien de lourd sur ce vin. J’étais sur place en octobre 2004 au moment des premiers écoulages et j’avais été déjà très impressionné par cette extraordinaire matière première. Trois ans plus tard, je le retrouve avec grand plaisir.
Je rappelle ici que le Priorat est un endroit extraordinaire situé à 120 km de Barcelone, en Catalogne. Abritée par la Serra de Montsant qui forme une sorte d’amphithéâtre, cette terre âpre et sauvage a été mise en valeur, dès 1163, par les moines-chartreux qui, à l’instigation de Alphonse II le Chaste, y fondèrent la chartreuse de Scala Dei et y implantèrent la vigne.
Après une période faste qui dura plusieurs siècle, la région eut de la peine à se remettre de la crise du phylloxéra. Au début des années quatre-vingt, le vignoble était même en voie de désertification. Seuls étaient restés au pays les plus pauvres, accrochés à leurs vignes centenaires, parfois établies sur des pentes impressionnantes. Grâce à la ténacité et, peut-être, à l’inconscience d’une poignée d’idéalistes conquis par la beauté des lieux (José Luis Pérez, Carlos Pastrana, René Barbier, puis Daphné Glorian et Alvaro Palacios notamment), la région a commencé peu à peu à renaître de ses cendres, dès le début des années quatre-vingt dix. Aujourd’hui, les vins du Priorat sont connus dans le monde entier, adulés (parfois exagérément) par la plupart des critiques et donc vendus chers, certains mêmes à des prix himalayens (L’Ermita, Clos Erasmus, etc.). Je ne suis pas certain d’ailleurs que La Creu Alta ne prenne pas rapidement ce chemin…
Une chose est certaine : si vous aimez les paysages viticoles encore entièrement préservés, découvrez celui du Priorat. Il vibre d’une énergie tellurique particulière. C’est un endroit tout simplement magique. Je rêve de m’y installer à mes heures perdues pour y écrire un livre, calfeutré dans une petite maison au fond des vignes (ça vous rappelle quelque chose ?). René Barbier me l’a promise. De temps en temps il m’appelle et me dit : »tu sais, Jacques, il y a ta maison qui t’attend, au fond des vignes… »
Pourquoi n’y vais-je pas tout de suite ? Pourquoi ne pas obéir à la fameuse objurgation de Breton, le fameux « Lâchez tout, partez sur la route ! »
Oui, mais alors : qu’aurais-je besoin encore d’un abri ?
Leave A Reply