Les accompagnements gustatifs ont été rêvés par les « Femmes, chefs de cuisine » et chacun des vins proposés illustrait un des éléments. Tel le Fronholz Riesling 2008, « pur et cristallin comme une eau de roche, avec le scintillement d’une lame de couteau sous un éclat de roche » en relation avec l’eau. Ou le Fronholz Pinot Gris 2009 « solidement ancré dans la terre comme le chêne qui l’a vu naître en son ventre, qui sait aussi accueillir les oiseaux du ciel. »
Les oiseaux migrateurs, les cigognes, les aigrettes, les faucons hobereaux et les vrais riches intelligents, on ne les a pas vus passer. Trop tard. En revanche, des pétales de cumulonimbus ont été porteurs d’humides présages, au moment où l’on abordait les territoires du Feu, juste à côté du Zellberg, là où le chaosmos a fait se percuter, il y a quelques millions d’années, l’argile, le grès et le granite ! Je les voyais, ces volutes, ces sombres moutonnements, se refléter dans l’œil céruléen de l’écrivain Gérard Oberlé, rencontré à cette occasion. Si ce n’est pas déjà fait, lisez fissa ses Itinéraires spiritueux La Toile étant encore heureusement épargnée par les araignées des pisse-vinaigre, j’extrais de ces Itinéraires un éloge de l’ivrognerie bien pensée.
Gérard Oberlé et André Ostertag, près du Zellberg.
"Les grands ivrognes, ceux qui boivent tout le temps et ne font pas grand-chose d'autre, ceux qui jamais ne dessoûlent complètement, sont peut-être les derniers hommes libres. Mais j'entends déjà les hurlements des camelots de la pédagogie officielle, de l'ignorance gratuite et obligatoire, les sectateurs du mens sana, les socio-psys à la mordsmoi le calibistri qui émargent au râtelier des cellules psychologiques, tous ces dictateurs de la vertu et de la tempérance subventionnés pour assommer le licheur, le fumeur et le trousseur à coups de sermons, de rapports et de menaces : « L'alcoolique n'est pas libre! Il est, bien au contraire, prisonnier, esclave de son vice.» Pompeux imbéciles! Allez donc vous noyer dans un verre d'eau minérale plate. Je n'ai pas prononcé le mot alcoolique, c'est vous, sèches gorgones des ligues de continence, c'est vous, foireux diafoirus ès sobriété, qui parlez d'alcooliques et hurlez au loup. Moi je vous parle d'ivrognes, un vocable magnifique, qui s'écrivait ivrongne – parfaite anagramme de vigneron – au temps des poètes satyriques et baroques qui, contrairement à vous, prosateurs indigents et hypocrites, avaient l'élégance d'appeler un chat un con !"
Avec son ami Jim Harrison, Gérard Oberlé partage les mêmes valeurs, un amour des mots et de la vie, des ramages et des plumages, des oiseaux qui passent dans le ciel, des sucs et des saveurs, la même rébellion face à la réduction du réel aux lois de la grande machine à décerveler.
Vue du Fronholz en direction de Nothalten : "J'aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages!"
Dans son discours de nouveau chevalier, André Ostertag, habité par la muse, a cité Gérard Oberlé dont la cave recèle maints trésors.
Décrire un vin, selon notre ogre placide, c’est tenter de décrire un nuage. N’est pas Mantegna ou Baudelaire qui veut ! A cet instant, il n’y avait d’autre urgence que celle-ci : savourer à cet le Fronholz Pinot noir 2009, sans le décrire. Comme un bonheur qui passe.
Alors fixer les nuages, c'est vouloir remonter à la source de la source… Et la néphancie n’est qu’une prédiction parmi d’autres. Le ciel allait-il nous tomber sur l’occiput ? Non, la fête sera belle jusqu’au bout !
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