Le sommet de l’émission consista, selon moi, dans ce moment de grâce pure, la lecture d’un court extrait du début de A la recherche du temps perdu de Proust, au moment où la grand-mère du narrateur, après avoir dans un premier temps songé à offrir à Marcel un volume de Musset ou de Rousseau, s’est rabattue, par souci des convenances, sur les romans champêtres de George Sand :
"Elle ne se résignait jamais à rien acheter dont on ne pût tirer un profit intellectuel et surtout celui que nous procurent les belles choses en nous apprenant à chercher notre plaisir ailleurs que dans les satisfactions du plaisir et de la vanité."
"Elle ne se résignait jamais à rien acheter dont on ne pût tirer un profit intellectuel et surtout celui que nous procurent les belles choses en nous apprenant à chercher notre plaisir ailleurs que dans les satisfactions du plaisir et de la vanité."
– "Et bien, ajouta Alain Finkielkraut, la civilisation, c’est en effet l’expérience des belles choses et il n’y a plus beaucoup de grands-mères de Proust dans le monde d’aujourd’hui. L’anti-intellectualisme, ça consiste à dire : vous vous prenez la tête, on a envie de se faire plaisir… Or, il faut admettre et cultiver l’idée de plaisir difficile. Toute la culture, c’est le plaisir difficile. Dans la mesure où l’idée de plaisir difficile disparaît, nous sommes engagés dans un processus de déculturation."
Erri de Luca, écrivain et alpiniste, une œuvre essentielle et forte.
On peut tenter ce parallèle avec cette autre exigence, celle d’Erri de Luca, auteur italien contemporain au style magique, dont l’œuvre, forte, essentielle, habitée, m’enchante à titre personnel. Il est vrai qu’un individu capable d’escalader des lignes improbables (8 b+), qui sait en même temps évoquer les joies d’un verre de vin partagé sur les hauteurs d'Ischia, ne pouvait me laisser indifférent…
Gianni Mattera, Ischia
"A huit cents mètres au-dessus de la mer, le mont Epomeo domine, du haut de l’île d’Ischia, un orgueilleux point de vue. Son flanc sud est couvert de genêts, son flanc nord de châtaigniers, le sommet est une crête de tuf. A l’intérieur de celle-ci, des moines ont creusé leur demeure, dont un aubergiste a hérité. Sa pénombre était un tombeau étrusque, mais dégageait une bonne odeur de cuisine. J’y montais pour dîner face au soleil couchant, et l’aubergiste me faisait choisir une bouteille, parmi les plus poussiéreuses et couvertes de toiles d’araignées. Il tirait du fond du tas un vin d’un rouge sombre et épais, à contre-jour, le verre montrait un spectre violet : c’était le Per’e Palummo, le « Pied de pigeon », nom donné à un vignoble des lacets, implanté sur les terrasses de Forio. C’était le vin d’un seul cépage, il imposait le silence à la bouche, faisait regarder au loin. Il n’était pas adapté à un jeune de vingt ans, mais son âpreté me convenait. Dans la cuisine aux pierres disjointes, l’aubergiste faisait sauter dans une poêle, avec du vin blanc et des petites tomates séchées, de la viande de lapin aromatisée aux herbes cueillies sur les sommets de l’île. Avec un peu de cette sauce, il oignait une poignée de bucatini. Il cuisinait avec des gestes lents, mâchait longuement, imposant à mes mouvements son propre rythme.
Il m’avait attendu. En me voyant déboucher du sentier, il criait en guise de salut : »Erri, mannagia ‘o core tuio. », une insulte affectueuse. Il était borgne de l’œil droit, une cartouche qui avait explosé l’avait privé de l’œil qui sert à viser. Il lui restait celui de l’amitié. Rien n’a été aussi bon avec moi que ces nourritures qui descendaient dans mon gosier, face au soleil qui descendait dans la mer." Erri de Luca
Il m’avait attendu. En me voyant déboucher du sentier, il criait en guise de salut : »Erri, mannagia ‘o core tuio. », une insulte affectueuse. Il était borgne de l’œil droit, une cartouche qui avait explosé l’avait privé de l’œil qui sert à viser. Il lui restait celui de l’amitié. Rien n’a été aussi bon avec moi que ces nourritures qui descendaient dans mon gosier, face au soleil qui descendait dans la mer." Erri de Luca
Quelques livres de Erri de Luca particulièrement recommandés :
Montedidio
Trois chevaux
Le nom de la mère
Le contraire de un
Sur la trace de Nives
Montedidio
Trois chevaux
Le nom de la mère
Le contraire de un
Sur la trace de Nives
Bonne lecture et bon voyage à Ischia si les photos de Gianni Mattera vous embarquent… C’est maintenant qu’il faut y aller !
3 Comments
N’oublions pas "Aceto, Arcobaleno" ! Sublime …
Merci pour le tuyau. Je le lirai. Publié chez Rivages Poches en français sous le titre de Acide, Arc-en-ciel.
Voilà l’inconvénient de voyager sans arrêt :on loupe de telles émissions.
merci Grand Jacques pour ce résumé plus qu’intéressant : voilà un site à marquer – si ce n’est fait – d’une pierre blanche !