Ils sont les Amiel des temps modernes, les Bartleby scribes, addictifs au flux RSS, à Wikio News (qui est aux blogs ce que le CAC 40 est aux traders). A croire qu’ils ne prennent jamais de vacances. De peur de perdre leurs positions, d’être rétrogradés, laminés ; qui sait : emportés par la vague !
Iles éoliennes : Filicudi et Alicudi vues de Salina.
Je ne suis pas loin. Je n’ai déserté aucun de ces rivages. Je voulais vous donner des nouvelles d’ici. Du soleil, des vagues, du vent et des volcans. C’est un archipel de dix-sept îles. Sept sont habitées.
L’an dernier, j’ai évoqué la plus connue, Lipari. Eole, le dieu des vents, vint autrefois y établir son empire. C’était durant la guerre de Troie.
Parfois, au soir, quand tout paraît calme, léger, l’air se pare de flammèches chaudes, ascendantes ; la lumière est traversée par un souffle inhabituellement chaud et l’on devine, là-bas, que le Stromboli ne dort jamais. Au contraire de Volcano qui s’est assoupi.
Je ne suis jamais loin. Restons ensemble. On est bien.
Nous sommes sur l’île de Salina, la verdoyante, la fleurie.
Est-elle la plus belle ? Cette question ne se formule pas. La beauté est un incendie, pas une comparaison : « et la beauté parfaite nous brûle, comme une branche basse giflant notre visage, et la beauté parfaite nous mord, comme un loup merveilleux sautant à la gorge. »
Christian Bobin, A folle allure
Salina, village de Malfa.
Salina est dominée par deux montagnes, la Fossa delle Felci (961 m) et le Monte dei Porri (860 m). On y arrive par un petit port, Santa Marina. Par une petite route escarpée, taillée en biseau dans les roches volcaniques, on rejoint d’abord Capofaro, pointe avancée sur la mer Tyrrhénienne.
Ile de Salina, Capofaro.
Le célèbre producteur de vins Tasca d’Almerita y a établi un complexe hôtelier très épuré : blancheurs éoliennes et bleus cobalt. Restaurant réputé. Quelques kilomètres plus loin, sur la route des vignes – la célèbre Malvasia delle Lipari est principalement produite à Salina – voici le petit village de Malfa. C’est là que j’ai le bonheur de passer quelques jours pour terminer la rédaction d’un article sur les vins de l’Etna (à paraître à l’automne dans Vinifera). Là, parmi les essences odorantes, les mystères fleuris, voici l’hôtel Signum.
Pourquoi je vous en parle ? Pour sa table ? Elle est bonne, appliquée, sans surprise. Pour l’accueil courtois et un zeste dilettante ? Pour le cadre, magnifique, forcément sublime ? Non ! Pour la carte des vins, simplement collector. Hallucinante par la profusion de ses références et ses prix d’une exceptionnelle aménité. Construite par Vincenzo Minieri, jeune sommelier dont le talent et la passion sont inversément proportionnels à la réserve, elle propose le meilleur des vins d’Italie et d’ailleurs : très belle sélection en Champagne et en Chablis (même les vins de Thomas Pico sont présents !) ainsi que les grands rieslings rhénans.
Tout est là, ou presque ! Dans cette évidence de la beauté. Dans ce temps qui semble s’écouler différemment, avec une lenteur insoupçonnée, là, face à ce paysage immémorial. Face au large, dans l’odeur des embruns et du jasmin mêlés – on ne sait plus très bien si les jardins sont en mer et le sel sur l’île – ceci pourrait commencer avec un verre de bianco de Carlo Hauner, le producteur emblématique de Salina : agrumes, flaveurs hespéridées et finale empreinte de salinité, avec un bel extrait sec.
L’an dernier, lors de ma visite chez Biondi, j’avais aimé la cuvée Outis. « Quel est ton nom ? » demande le Cyclope à Ulysse qui, après l’avoir enivré, vient de l'énucléer « Mon nom est personne, nessuno, outis… » répond l’astucieux Ulysse.
Ce vin porte le nom de personne mais l’ivresse qu’il procure est légère, joyeuse, et il n’aveugle pas. Si loin que porte le regard, l’infini est là. La beauté aussi, fugace, rare, parfaite, qui nous fait signe sous les frondaisons, loin de la rumeur du monde, tout près de la flamme des volcans.
7 Comments
A propos des vins de l’Etna : j’ai eu hier longuement au téléphone Giuseppe Benanti qui souhaite présenter cette région sicilienne fascinante, avec ses cépages autochtones, lors du prochain WWS à Villa d’Este.
Il a lu tes anciens papiers déjà publiés sur le sujet et sera évidemment un lecteur attentif du prochain Vinifera.
Arrête de donner du poids à Wikio : le CAC 40, c’est quand même autre chose !
🙂
Tu sais que tu as là des photos *** ? Tu nous redis quel est ton instrument actuel ? Merci d’avance !
Un oeil en phase avec une âme : pas courant ! Félicitations.
Très beau souvenir de la malvasia delle Lipari 1991 produite par la papa (Carlo, aussi).
Pub (non sponsorisée) : Panasonic DMC-FX 700 de Lumix avec optique Leica. Voilà, tu sais tout, François !
Quand on doit rester au boulot c ‘est vraiment bien de vous lire… le reste de l’année aussi..
Vous y arrivez en voilier sur Salina??
Merci pour ce texte absolument magnifique !
Jacques,
Oui vraiment les îles éoliennes sont sublimes. J’y étais en octobre dernier avec mon épouse, Laura, sicilienne (de Bronté sur l’Etna) et 2 couples d’amis. Salina, l’hôtel Ariana, sa Malvoisie, tellement de bons souvenirs.
Nous restons à Filicudi à la Pensione la Canna, d’ordinaire en fin de saison, les derniers jours d’octobre avant la fermeture. Vue sublime sur Salina, Lipari, Panaréa et Stromboli en enfilade.
Une table comme on aime avec, comme se plait à préciser l’aubergiste, "il pesce nostro" tous les soirs.
Meilleurs souvenirs
Renaud Chastagnol
Domaine de l’Éléphant VINGRAU
[SPAM: proposer son adresse aux robots collecteurs est imprudent]
Poster tous les jours? Question d’habitude. Bien sûr, tout n’est pas grandiose, mais c’est un choix, celui de ne pas choisir. De laisser la bride sur le cou de l’inspiration. De partager un maximum de coups de coeur.