Mais ce livre révèle surtout le filigrane d’une trajectoire de vie, sensible, lumineuse. Qui croise celle de quelques grandes figures de la fin des années soixante, Lacan, Barthes, Deleuze, Oury.
Et, surtout, la passion vive, exigeante, pour la littérature, coulée dans le cristal d’une langue magnifique.
Quarante ans après mai 68, au moment où l’école vit, d’une manière différente, une nouvelle crise, au moment où s’exacerbent les positions pédagogiques, clivées entre une nostalgie fossilisée de l’école d’avant, un structuralisme moribond et un pédagogisme verbeux, ce livre, iconoclaste, lucide, un peu désespéré et jubilatoire, ne manque pas d’air.
L’école d’avant ?
« Je ne me souviens pas d’avoir appris quoi que ce soit en préparant, un peu avant 68, quand on disait que tout allait bien, l’agrégation. »
Qu’est-ce qu’un avenir ?
Elle parle de ce dont on ne saurait parler si l’on veut continuer de croire au métier d’enseigner. Elle parle de ce qu’est devenue l’université d’aujourd’hui, de la dévastation, du peu d’avenir qui est offert à ceux auxquels on a dit un jour qu’ils étaient tout l’avenir :
« Pourquoi y a-t-il encore des étudiants à l’université ?
Parce qu’un étudiant coûte moins cher qu’un chômeur et que c’est une situation moins triste, peut-être, de se dire qu’on fait des études ?
(…)
Maintenant ils arrivent. Ils arrivent dévastés, les premières années, par l’ignorance.
(…)
Et ceux qui ne nous glissent pas entre les doigts dans les premiers mois peu à peu s’habituent à y vivre une grande partie de leurs jours. Jusqu’à éprouver une certaine angoisse, les diplômes passés, à l’idée de ne plus y être.
(…)
Je comprends qu’on vienne s’inscrire là, faute de pouvoir s’inscrire ailleurs, comme on prendrait une carte d’assurance contre le vide, la barbarie, le néant. »
Elle prend cette liberté, Marie Depussé : elle redit les grandes illusions, les aveuglements sur lesquels s’est édifié une grande partie de l’enseignement de la littérature durant ces années, les grandes figures tutélaires, telles des clés de compréhension du monde, Marx, Freud et Saussure, « qu’on avait plantés là, comme des cactus dans le désert, on avait l’air, bien plus que de terroristes, d’imbéciles. »
Plus fondamentalement, et c’est là que Qu’est-ce qu’on garde prend tout son relief, Marie Depussé dialogue avec les textes (Virginia Woolf, Blanchot, Proust, Duras, Jouve, Stendhal, Baudelaire, Flaubert, Michaux. Elle les effleure, comme des choses fragiles et secrètes (sauf Houellebecq qu’elle démonte avec brio), les commente avec intelligence et sensibilité, sans affectation, avec un amour infini de l’écriture et de la vie qui file dans ses interstices.
Dans l’urgence du chant et du désenchantement qui le menace.
« Je ne sais pas ce qui est au bout du couloir. Mais je sais que les corps, ceux qu’on appelle les étudiants, devraient apprendre à chanter, pour eux-mêmes, tous seuls, vite. Je ne sais pas, dans les années qui viennent, quelles voix chanteront pour eux. »
Marie Depussé
Qu’est-ce qu’on garde ? P.O.L 2000 166 p.
4 Comments
Je confirme : une oeuvre originale, la vraie littérature, à mille lieues des clichés et des histoires convenues. A lire absolument : "à quelle heure passe le train…" Merci de parler ici de livres exigeants !
… et Peter Gabriel a la flute
http://www.youtube.com/watch?v=J...
Pas vu votre Peter Pan, Heeter, où se cache-t-il le satyre avec sa flûte d’osier ?
Sur un plateau