S'enquérir de sa destination en pêchant au hasard parmi les piétons n'est pas, comme l'expérience me l'a appris, dénué de tout risque : souvent, on vous expédie dans la direction opposée… Pas de chance, « mes » contrôleurs ne connaissent pas la Faculté d'œnologie, pourtant située à quelques centaines de mètres à peine de là… L'un d'entre eux, finalement, tente de sauver la face en m'aiguillant du côté du Casino. Surprenante cette géographie des supermarchés en France, la seule qui soit à peu près fiable avec celle des pharmacies et des assedics…. Mû par une intuition soudaine, je débouche finalement sur le domaine universitaire de Talence. Je n'y suis pas revenu depuis 21 ans très exactement. Rien n'a changé. Ou si peu… Pendant que Denis Dubourdieu, la mine docte, le front creusé d'un sillon dont on ne sait s'il faut l'attribuer à la concentration exigée par le sujet ou à une forme nouvelle de scepticisme chez lui, arpente à pas mesurés l'estrade, un collègue journaliste, sans doute bercé par ce rythme monocorde et par la torpeur naissante du printemps, sacrifie au rituel de la sieste. Il se réveillera plus tard, rasséréné, la mine rose, à peine étonné de l'avancée de l'après-midi. Semblable au décor, notre professeur a continué sa monodie ; il paraît intemporel, comme statufié. Avec le temps, ni son ton ni son style n'ont changé. Toujours cette manière assez bordelaise, un peu hautaine, de s'adresser à l'auditoire dans la distance qui vous sépare de lui, dans cette mise en scène obsolète du savoir magistral. C'est Barthes, je crois, qui rappelait un jour que le Maître est celui qui s'arrange pour faire tojours coïncider le signifiant et le signifié. Dans la façon de dire autant que dans ce qui est dit, le Maître est celui qui affirme avec constance : « oui, je suis le Maître… »
Au vol, et parce que le jeu en vaut la peine, je note quelques formules. Style rassembleur, universaliste, à propos d'un Haut-Médoc : “il a le goût de ce que j'appelle, moi, le vrai Bordeaux, un vin éminemment buvable. Pour nos amis asiatiques, ce sont des vins qui correspondent très bien au goût de l'Asie tropicale : quand j'y séjourne moi-même, j'aime bien boire cela… “ Style “langue de bois” à propos d'un Pomerol : “il n'est pas dans le style très surmûr, par ailleurs très défendable, que l'on peut trouver sur l'appellation… “ Ou alors le style messianique à propos d'un Pessac-Léognan blanc : “ces vins blancs sont véritablement nouveaux à Bordeaux. Un de vos collègues journalistes, Michel Bettane, me disait hier que les grands blancs secs de Bordeaux sont comme de l'eau de roche… “ Je terminerai avec ce que l’on pourrait appeler le style thérapeutique, à propos d'un Sauternes : » en bouche, c'est un bonbon. Si on n'aime pas ça, c'est qu'on est malade, quoi ! “
2 Comments
Cher Monsieur Jacques Perrin, le mélange entr ela philosophie et l’oenologie se fait ressentir dans vos dires. Quel plaisir de vous lire.
Encore une belle journée qui s’annonce lorsque j’ai le plaisir de lire un de vos articles monsieur Perrin. Je vous souhaite la bonne journée à vous aussi.