Ici, à défaut de porter un nom, chacune des coulées de l’Etna ventriloque – il crache vraiment pas plusieurs bouches – est millésimée. En attendant d’être lentement apprivoisée, grignotée, diffractée par les genêts arborea, seuls capables de transformer la lave avec le temps. Chaque coulée signe ainsi les éruptions qui se sont succédées ici : de 122 av. J.C. à la dernière en date, celle qui a commencé en mai 2008, dont les cendres ont envahi Randazzo, Linguaglossa et Zafferana.
Randazzo où je me trouve précisément aujourd’hui, à la recherche de la Tenuta Terre Nerre de Marco de Grazia. Ce voyage en Sicile, c’est un peu à lui que je le dois : il est venu en 2009 fêter les 25 ans du CAVE, à une condition : que je vienne le visiter sur les pentes de l’Etna. Grazie mille signor de Grazia !
Marco de Grazia dans son extraordinaire vignoble de Guardiola.
Ex-brooker en vins, nomade transbahuté de New-York à San Francisco, puis Paris et Florence, grand navigateur, helléniste, Marco de Grazia est arrivé ici, au début du nouveau millénaire. Rêvant d’un jardin, d’une petite vigne dont il ferait son vin, de grillades dont il régalerait les amis. En chemin, il a rencontré l’Amour, une belle Sicilienne, Misette, mi-pantellerienne, mi-palermitani !
Huit ans plus tard, le wonder-boy, arrière petit-fils de Gabriele d'Annunzio, prince de Montenevoso, n’a pas fait les choses à moitié : il est à la tête d’un domaine de 22 ha sur les pentes de l’Etna, une mosaïque de petits jardins, aux ceps parfois plus que centenaires où ce passionné de la Bourgogne, adepte de la sélection parcellaire, s’attache à produire des vins qui traduisent au plus proche les subtilités des grands terroirs de l’Etna, "et non, précise Marco, l’ego du propriétaire !"
On ne plaisante pas avec le tri du raisin. Regardez les mines : elles sont graves !
Nous sommes en pleines vendanges. Moment souvent crucial dans la vie d’une propriété. Ici comme ailleurs, car il peut pleuvoir beaucoup – ce fut le cas lors des vendanges 2009 – sur la zone de l’Etna.
Pourtant, Marco de Grazia est très calme et prend le temps de me montrer ses différents « jardins ». Il a rentré hier les blancs issus du cépage Carricante et le millésime s’annonce exceptionnel. Aujourd’hui, on vendange les jeunes vignes de Calderara, un des plus beaux terroirs de Rendazzo
Rencontre avec un des meilleurs vignerons du secteur.
La visite commence par là. Au passage, Marco en profitera pour effectuer des prélèvements sur les différents terroirs afin de déterminer la date des vendanges. On s’engouffre en 4 X 4 sur de petits chemins qui serpentent entre les concrétions de lave et la nature en fête.
Le nerello mascalese, cépage emblématique de l'Etna.
Outre la vigne et l’olivier, on trouve ici une profusion d’espèces végétales, les genêts colonisateurs, le chêne, les hêtres, les châtaigniers, les figuiers, les cognassiers, les cactus, les pistachiers, les lentisques et des herbes aromatiques aux senteurs infinies, essentielles (laurier, menthe, sauge, serpolet, fenouil).
Guardiola.
Une séquence pédagogique où Marc de Grazia explique avec simplicité ce qu'est l'éducation d'un vin ou d'une personne.
On saute d’une parcelle à l’autre dont les noms sont autant de crus : Calderara, Santo Spirito, Guardiola (le 2008 dégusté le soir avec un bollito misto est une vraie merveille, un « petit Chambertin » !).
Le jardin d'Eden de Feudo di Mezzo
Avant de redescendre vers un vrai jardin d’Eden, le Feudo di Mezzo et son Carré des Roses où a eu lieu hier la Vendange des Enfants : une centaine d’enfants dans ce parterre de rêve et leurs parents, pour un vrai moment de grâce.
Rencontre avec un jeune couple et son bébé en pleines vendanges (elle, œnologue australienne et lui, français de Perpignan)
Merci Misette et Marco pour cette passion partagée, ce feu salutaire et cette belle hospitalité.
7 Comments
Je te jalouse un max !
François, si tu voyais le beau restaurant chez Gulfi, le Gaja du sud de la Sicile, avec un jeune chef qui a le sens du produit (local), qui travaille devant vous dans sa cuisine high-tech dont il tire des plats qui célèbrent les parfums et les saveurs de la Sicile ! Le tout arrosé de vins Gulfi, qui ne valent pas les vins de l’Etna, mais très bien faits.
Franchement Jacques, j’ai rarement d’aussi belles photos de vignoble sur le blog. Tout cela me replonge deux mois en arrière, dans l’ambiance des Cinque Terre. L’Italie est vraiment un foutu pays de vin, énorme. Merci pour tout ça !
Bonjour, c’est très émouvant la Sicile et j’adore vos récits..si vous avez la possibilité d’aller à Ragusa au Restaurant Duomo chez Ciccio Sultano, ça vaut le voyage !
http://www.ristoranteduomo.it
Salutations
Gregory
Merci de partager votre voyage avec nous dans vos bagages… C’est superbe !
J’ai dégusté "terre nerre rosso 2008"dans un petit resto italien de ma région….un petit italien plein de personnalité; profondeur, fruit, un caractére énorme , quel plaisir!!
De retour de Sicile après une semaine enchanteresse, je voudrais rendre un humble mais sincère hommage pour l’investissement personnel, la philosophie développée et le travail exceptionnel réalisé par Marco et son équipe (il faut du monde pour entretenir un tel vignoble sur des terres aussi fertiles), aux Terre Nere.
La tenue des vignes, le travail des sols, les efforts faits quotidiennement et la préservation du cadre naturel – invraisemblablement beau – méritent le plus grand respect.
Les crus 2009 rouges bientôt à la vente, bien qu’issus d’un millésime difficile sur la fin (en raison de pluies durant le mois d’octobre) sonnent comme un véritable miracle, et témoignent surtout de la qualité et valeur des sacrifices et longues heures de labeur, de la vigne au tri final.
Il y en aura peu mais chanceux ceux qui pourront y tremper leurs lèvres. Peu de cuvées produites dans la région sur ce millésime atteindront un tel niveau de perfection et personnalité tannique, c’est certain. Lors du dernier Vinitaly, avant mise, les vins étaient rayonnants de race et personnalité.
Et puis… une fois que les plantiers de Carricante du Santo Spirito auront atteint l’âge de raison, ici naîtra sans doute un jour une cuvée mythique, formant avec le Pietramarina de Benanti et le rare vin d’Il Cantante le trio des plus grands vins blancs accouchés sur le fascinant et vibrant (sic) "Mongibello" !