A l’opposé, mais prétendant également prendre appui sur le terroir, on trouve la marque.
La marque et le terroir, c’est un peu l’équation, presque insoluble, de Bordeaux qui navigue entre les deux, comme entre la terre et la mer. Ou plutôt entre le père (la marque), le logo, le style, la trace et la mère, la génitrice, le terroir.
La marque et le terroir, comme le couple aux relations passionnelles. D’un côté le savoir-faire, le marketing qui créent leur propre territoire. De l’autre, l’alchimie mystérieuse où le travail des hommes rencontre le don de la nature. Serait-ce si simple ?
Les noms de vin en rupture avec l'origine ou l'indication de cépage sont apparus, il y a une vingtaine d’années, en Italie, un peu en France, dans le nouveau Monde et l’hémisphère sud.
Ils représentent une tentative pour se détacher de l’origine, s’affranchir du poids de la tradition, de la gangue du conservatisme et se réserver, peut-être, un espace de création, de liberté, comme ces moines-copistes qui, au Moyen Age, écrivaient dans les marges, espaces de liberté.
et de lui ne reste, en vérité, qu’un nom
Omar Ibn al-Farîdh
Eclats d’Ame 2005, Claudy Clavien, Miège (Chardonnay, petite arvine et païen)
Le contexte : on a souvent associé l’âme aux humeurs, à des états, souvent contradictoires, versatiles. Claudy Clavien a joué à l’orpailleur et a trouvé la pépite qui brille, l’éclat, la brillance de l’âme mais, attention : l’éclatement est proche, la diffraction. C’est tout l’art de l’assemblage. Il faut jouer sur trois cépages, la chair et la texture du chardonnay ; la minéralité saline de l’arvine et le tranchant du païen.
La dégustation : nez très fin, sur des notes d’agrumes, boisé parfaitement intégré. Entrée en bouche précise, tonique. Suite évasée. Il revient sur la finale sur une ligne de fraîcheur avec une belle persistance. Très bon vin dynamique construit sur une synergie des cépages particulièrement réussie, assez typée petite arvine.
Beyond the Clouds 2005, Elena Wach, Haut Adige (Tyrol du sud)
Le contexte : Elena Walch, architecte de formation, possède deux propriétés, le Castel Ringberg (12 ha) au-dessus du lac Kaltern et le Kastelaz (5 ha) à Tramin. Le Chardonnay qui entre dans la composition de cette cuvée provient du Castel Ringberg.
Le nom de ce vin, très poétique, fait évidemment référence au film éponyme de Michelangelo Antonioni et de Wim Wenders avec Fanny Ardant, John Malkovitch et Sophie Marceau. A moins qu’il s’agisse du célèbre manga japonais qui porte le même nom mais paru plus tardivement. Quoi qu’il en soit, au-delà des nuages, il y a le ciel et l’infini. Celui des désirs et de la composition.
La dégustation : robe dorée. Nez très exotique, mangue, curry doux, fleur d’oranger. Belle entrée en bouche, large, évasée. Corps ample, généreux. Finale aux notes de rose et de fruits exotiques. Difficile de croire qu’il n’y a que du chardonnay dans cet assemblage (notes muscatée et gewurztraminer). Le vin, un peu linéaire, laisse une belle empreinte finale, entêtante.
Le contexte : A Farra d’Isonzo, dans le Frioul, Silvio Jermann a rêvé un jour de ce vin. C’était en 1987. Il prit ce nom, un peu ronflant : Where the dreams have no end. Le modèle était musical, le célèbre Where the Streets have no name de U2. Est-ce que les rêves s’interrompent un jour ? Le vin de Jermann a (légèrement) changé de nom dans l’intervalle. Tandis que les rues, elles, continuaient de mener vers d’autres rues. Il est devenu beaucoup plus allusif. Désormais, il s’appelle W… dreams… Et, vous, vos rêves sont-ils finis ?
La dégustation : robe à reflet dorés. Très joli nez, expressif, sur des notes de pêche. Corps d’une belle densité, joliment texturé et finale d’une belle longueur avec une légère sucrosité perceptible. C’est un bon vin, équilibré, assez flatteur avec cette suavité finale qui lui coupe un peu son élan. L’impression finale est davantage celle d’un vin civilisé et un peu technique que d’un vin véritablement inspiré.
Le contexte : « Ca m’est venu sur une route de montagne, sinueuse. L’expression « à propos » me trottait dans la tête. En même temps, il y avait le vent, le foehn, qui desséchait les grappes. Ailes, c’est le vent, l’esprit, la légèreté. C’était pour ne pas l’appeler « mon chéri d’amour ». Et voilà. Le premier millésime a été le 2000. » ainsi parle le shaman martignerain, Christophe Abbet.
La dégustation : il ne se pousse pas du col et plaît par son naturel d’expression, sa parfaite sapidité. Après tout, c’est ce qu’on demande à un gamay, non ? Très joli corps, avec de la structure, des tannins légèrement épicés et beaucoup de fraîcheur. Belle trace final sur les fruits à noyau, le chocolat.
Le contexte : Mike Favre et son frère ont rêvé de ce vin, dans l’esprit du Hot Rodder, des lignes fluides, de la puissance, l’esprit d’aventure… Roulent les mécaniques ? L’inspiration est ici celle d’un vrai vintage, un F-100 1954, ramené du Nouveau Mexique dans les années 90, et qui roule toujours. Post équipé d’un moteur puissant : un 351 Cleveland avec un Holley quadruple corps, il a, dit Mike, une carrosserie aux formes douces, arrondies, humaines. Voilà le vin et la liberté qui va avec !
La dégustation : belle robe grenat. Il est d’un bloc, affirmateur, conquérant avec une finale aux tannins fermes, granuleux, chocolatés. Comme le soulignait un des dégustateurs : » Il correspond assez bien à l’image qu’il veut donner de lui : il glisse bien en bouche ; ça ne cogne pas dans tous les sens ; un peu carré mais confortable malgré tout ! »
Kyè 2003, G.D. Vajra (freisa)
Le contexte : cépage ancien du Piémont, le freisa a, selon les décrypteurs de l’ADN, des liens de parenté en amont avec le viognier et en aval avec le nebbiolo. Ce cépage décrié, en voie de disparition, fait pourtant partie du patrimoine des Langhe. Aldo Vajra en tire une des plus belles expressions. Kyè sonne comme « qui es-tu », toi le freisa ? La réponse est dans la question : je suis moi, répond le Kyè en occitan. Ni le soleil, ni la lune. Notre travail et la joie qui l’accompagne. Le tout sous la présence du Padre Costantino Ruggeri, l’âme inspiratrice de la belle œuvre des Vajra.
La dégustation : le nez rappelle un peu celui d’un nebbiolo : notes d’épices douces, de cendre, d’herbes sèches, de cerise sauvage. Corps magnifique. La définition même d’une noble rusticité. Le tanin est ferme, épicé, un peu sauvage, poudré mais sans sécheresse. Superbe vin de gastronomie.
Le contexte : On entend à travers le nom ce qu’il veut dire « dommage ». C’est, pour tout commentaire, ce que Giovanni Gaja, le père d’Angelo, dit quand il comprit que ce dernier venait de replanter la colline qui jouxte sa maison avec du cabernet sauvignon. Visionnaire et ardent défenseur du nebbiolo, Angelo Gaja, avait opéré ce choix, marginal, afin de se mesurer, « à armes égales » avec les prestigieux modèles internationaux. Pari réussi ? Parfois Gaja, quand il goûte son Darmagi, laisse tomber un « On y est presque ! » Puis il ajoute : » Si, lorsque j’aurai pris ma retraite, mes enfants ne seront pas convaincus par ce cépage et décideront d’arracher la vigne, c’est moi qui dirai : darmagi ! »
La dégustation : la robe est sombre. Nez sur des notes de poivron noble, de mûre, d’épices, mûre sauvage, petite touche animale (très rare chez Gaja). Corps noble, racé, aux articulations très précises. On retrouve le style Gaja. C’est très bon, mais très cher aussi !
Terra di Lavoro 2005, Galardi, IGT Roccamonfino Rosso (aglianico et piedirosso)
Située exactement à mi-chemin entre Rome et Naples, en Campanie, sur les pentes d’un ancien volcan éteint, le Roccamonfina, ce domaine et le vin qu’il produit portent le nom d’une terre de légende, la Terra di Lavoro, sorte de jardin d’Eden, agricole et prospère, connu dans l’Antiquité sous le nom de Campania felix et dont la ville la plus connue était Capoue (célèbre pour ses délices qui causèrent la perte d’Hannibal).
La dégustation : un des grands vins d’émotion de la dégustation. Superbe couleur. Nez complexe sur des notes de fruits noirs, de vanille, de zan, de fumé, de poudre de roche. Corps monumental, ample, au long développement. Tannins denses, longs et juteux et finale très complexe. Le carafer au moins 6 heures à l’avance. Incontestablement un des grands vins rouges (encore méconnu) d’Italie !
Le contexte : Maghani, c’est, dans les Quatrains d’Omar Khayyam (Directeur de l'observatoire d'Ispahan en 1074 et réformateur du calendrier persan, le vin des Mages.
A l’heure de l’intégrisme religieux et du vin diabolisé, il est rassurant de relire de tels auteurs. Savant et poète musulman, Omar Khayyam, qui se disait infidèle et croyant, célèbre la mystique du vin, tel un soufi, allant jusqu’à célébrer l’ivresse de Dieu.
La dégustation : après 6 heures de carafe, il révèle de belles notes de fruits noirs, d’épices, de fruits noirs, de garrique ainsi qu’une note animale qui a perturbé certains dégustateurs. Corps généreux, solaire, qui ne manque pas de caractère.
De battre mon cœur mon cœur s’est arrêté 2007, Côtes du Roussillon-Villages 2007, Hervé Bizeul (syrah)
Le contexte : lorsque Hervé Bizeul a vu la première fois ces vignes dans la vallée de l’Agly. Une vallée perdue. Des blocs granitiques émergeant d’une sable gris pailleté d’or. Et cette vigne de syrah qui semble grimper au ciel et l’éblouit littéralement. « J’ai alors pensé, moi qui, pourtant, ne suis pas un aficionado, au serrement de cœur que doit ressentir le Matador lorsque le taureau entre dans l’arène….
La dégustation : beaucoup de pureté dans l’expression aromatique ; il éclate de notes de violette, de fruits, de cacao, sans aucune lourdeur. Le corps est gourmand, généreux mais sans lourdeur. Un vrai vin de plaisir !
Sine Qua non Papa 2003, Manfred Krankl (syrah)
Le contexte : Manfred Krankl est un idiosyncrasic winemaker qui fait partie de ce que l’on appelle les Rhone Rangers. Il vit et travaille dans le West Ventura (non loin de Santa Barbara) où il élabore des vins à nul autre pareils. Au départ Krankl était associé avec Bryan Babok et John Alban. The Queen of Spades (la dame de pique) est son premier vin, en 1994. Partant du principe que chaque année, chaque vin est différent, Manfred Krankl est le seul vinificateur à ma connaissance qui, chaque année, renomme l’ensemble de ses vins.
Ainsi a-t-on eu : Atlantis Fee, the Noble Man, Midnight Oil, Against the wall, Omega Shee, The Strawman, Twisted and Bent, Just for the love of it, Imposter McCoy, The Bride Poker Face, Red Handed, In Flagrante.
La dégustation : voilà le vin qui divise et illustre à la fois la relativité des notes stratosphériques du grand gourou américain et, surtout, des représentations du goût. Peu de personnes ont été vraiment subjuguées par ce vin (près de 100 points tout de même…) dont le corps monumental mais un peu saturant, au boisé plus qu’expansif. C’est une interprétation de la syrah typiquement « Nouveau monde », baroque, excessive même, où se perdent un peu les notions, je ne dis même pas de finesse, mais d’harmonie et de fraîcheur. Cela dit, la performance, si l’on se place sur ce terrain-là, est tout de même remarquable et l’approche « marketing » de Manfred Krankl géniale !
7 Comments
Superbe histoire racontée …
Je vous ai lu dans le détail et cela m’inspire quelques mots, à mon tour.
Campania Galardi Roccamonfina IGT Terre di Lavoro 2004 : (16/20) – 21/8/08
90% aglianico – 10% piedirosso.
Panoplie austère : minéral, sol de cave, cassis, Havane, charbon de bois, fumée.
Caverneux, profond, aux tannins un peu drus, ce vin produit par Ricardo Cotarella semble fragile (et tend à sécher après quelques minutes dans le verre).
Emballé 2 fois par Sine qua Non Midnight Oil 2001 (10% de viognier), qui avait parfaitment tenu son rang dans une série des meilleurs syrahs du Rhône Nord).
Moins convaincu par Sine Qua Non Pinot Noir Shea Vineyards 1998.
Pour les patronymes, on peut voir aussi du côté du DEWN (Distinctive Esoteric Wine Network), dont fait partie Bonny Doon (suivre à la trace ses cuvées et ses étiquettes est une gageure).
Dans un autre genre, il y a les artisans du naturel, familiers de la boutade lexicale, genre :
* In Vinasse Very Tôt
* Sayonara pas pour tout le monde (Puzelat)
* C’est pas la mer à boire (Loïc Roure)
* La soif du mal (foulards rouges)
* …
Laurent, après la soif du mal, on pourrait y ajouter "Mâle d’aurore" et "En mal d’amour". Ce serait amusant d’ailleurs de faire un think tank sur le sujet et propose leurs solutions au problème de la banalité de nombreux de vins que l’on trouve actuellement. Car à côté des originaux que vous avez mis en évidence ici, que de clichés vite torchés dans l’ombre des chais !
Altri vini dal nome interessante:
-Kairos – Zymè dal greco ideale per il momento!
-Anima – Accornero: riprende un bel quadro.
-Aisuma – Braida: "Ci siamo" al mometo che finalmente Bologna fece la barbera dei suoi sogni.
-Harys – Gillardi : era vietato piantare il Syrah in piemonte così lui lo scrisse al contrario…
e altri ancora, tutti con una loro storia da raccontare..
Bravo Jacques
Près de 100 pages de texte et photo, à l’initiative d’Oliv, sur LPV :
http://www.lapassionduvin.com/ph...
Les sommets d’Harys (Jamet)
Gama Sutra (Gamay – Vins Contés)
In Cot we trust (Puzelat)
Nuit d’ivresse (Breton, Bourgueil)
Yo no puedo mas (Lionel Maurel – Mas d’Agalis)
Melonix (Muscadet de Landron)
Les champs libres (Souhaut)
L’Ultime (Métras)
TSRTS
A W. Wenders: http://www.youtube.com/watch?v=a...