Aujourd’hui, le quartier des temples (Higashyama) et le pittoresque quartier des commerçants (Sanmachi suji) près de la rivière Miya et), sont, même sous la neige, une fête pour le voyageur. Dans ces ruelles qui se recoupent à angle droit, les boutiques d’artisanat, les magasins de saké et les petits restaurants se succèdent. L’un de ces derniers a retenu mon attention. Il s’agit du restaurant Susaki, un établissement unique, dans une maison tricentenaire, où se sont succédées dix générations de Susaki. On vient, paraît-il, de tout le Japon pour déguster la cuisine Sôwa Ryû hanzen du Susaki. Elaborée à partir des produits régionaux (légumes et poissons de rivière notamment et peut-être, je l’imagine, l’extraordinaire bœuf de Hida), la cuisine du Susaki perpétue la tradition de la cuisine kaseki ryôri de Kyôto avec une influence de la gastronomie d’Edo.
On vient de tout le Japon pour goûter la cuisine de Susaki mais ce n'était pas notre jour de chance…
Comme il est difficile de réserver au Japon, sauf à se prévaloir de contacts locaux, nous y sommes allés. Nous avons erré un peu pour découvrir le lieu, entre les ponts Naka bashi et Yanagi bashi. Finalement, voici l’endroit. On entre. Personne dans la salle. Dans la cuisine pourtant, il semble que l’on s’active. Apparaît une dame japonaise en kimono. A l’énoncé de notre requête, ses traits changent : sur son visage, passe un nuage ; il exprime un début de désolation et une gêne profonde (le Japonais n’aime pas ne pouvoir répondre favorablement à une demande et risquer ainsi d’être « pris en défaut ». Nous comprenons que, même ouvert, le restaurant est fermé aujourd'hui. C’est donc le repas du lendemain qui est en train d’être concocté. Il n’est pas rare en effet que certains menus de la cuisine Sôwa Ryû hanzen exigent près d’une semaine de préparation. La désolation a changé de camp.
Takayama, quartier Sanmachi-suji.
La mine contrite, nous sortons parmi les bourrasques de neige et l'hiver enveloppant. Mais il faut être zen n’est-ce pas ? Pour ce déjeuner, nous contenterons d’un bol de soba pris dans une échoppe de fortune. Délicieux. Vraiment.
Le fameux boeuf de Hida vient de la région, un des seuls vraiment nourri à la bière !
Heureusement, les dieux nous seront davantage favorables ce soir. Le ryokan Tanabe, situé tout près de là, est une adresse qui va nous faire oublier cette frustration. Le temps de revêtir un yukata et une veste haori. Direction le sentô, pour une heure de méditation dans un bain bouillonnant et bienfaiteur après avoir affronté depuis plusieurs jours la neige et le vent. Puis, à 18.00 précises – on dîne très tôt au Japon –, c’est l’heure d’un ballet magnifque, celui d’un somptueux festin kaiseki, servi sur tatami par deux Japonaises aux grâces infinies.
Une vingtaine de plats défllent, tous dans le même temps. Certains plats chauds finissant de cuire sur d’astucieux réchauds individuels.
Itadakimas ! la formule veut dire à la fois « je commence àmanger » et « je me souhaite bon appétit » ! A vousde trouver, parmi ces méandres de goût, de textures, dans cetteextraordinaire profusion, le juste chemin, la vraie gradation. Car elleexiste. Extraordinairement codifiée, telle qu’en elle-même l’éternitéla changea, la cuisine kaiseki juxtapose en effet selon un rituelimmuable un certain nombre de plats dont le fil rouge est à trouverparmi les différents contrastes, subtils, surprenants toujours (textures, goûts,températures, formes, couleurs).
D’un raffinement inouï, maisdifficilement perceptible de prime abord par nos palais occidentaux, lacuisine kaiseki – dont le mot désignait à l’origine, par métonymie, unepierre chaude que le moine maintenait près de son estomac pour atténuerla sensation de la faim – précédait initialement la cérémonie du thé.Tout ici fait sens. Les produits utilisés d’abord. En relation avec lasaison. La manière de les découper, de les préparer, le cru, le cuit,le grillé. Leur vertus diététiques. Les contenants également sontimportants : les bols, les assiettes. Le formant comme une œuvred’art éphèmère, d’une extraordinaire raffinement. Si le menu « àla française » définit l’ordre et la progression des sensations,on peut éprouver, la première fois que l’on goûte à cette cuisinekaiseki, un sentiment proche de la perdition gustative, de l’absence derepères. Comme si nous étions perdus au milieu d’un archipel sans unitéapparente.
Après quelques tâtonnements, quelques incertitudes, leschoses se mettent pourtant en place. L’essentiel étant de gardertoujours le goût ouvert. Pourquoi un des actes les plus importants denotre vie – se nourrir – devrait-il être l’un des pluscloisonnés ?
6 Comments
T’as t’y pas honte d’être là-bas sans nous ?
Politesse pour politesse : j’ai connu au Piémont un restaurant comme ton Susaki où nous étions là le jour de fermeture (ils préparaient là aussi des mets pour le lendemain). Et bien, ils ont dressé une table et nous ont servi un repas royal ! Juste pour deux personnes ! Comme quoi, en Europe, on sait aussi se tenir et recevoir le voyageur de passage !
Si tu passes par Tokyo au retour, va dire bonjour à Koju qui commence à faire sérieusement parler de lui dans ses études sur vins et mets japonais. Un mondialiste de la cuisine !
Juste tellement magnifique que tu m’en fait perdre mes mots.
petite question, que buvez vous avec les repas ?
saké ou biere et dans quel ordre ?
salutations
Ou thé, Fredi …
Je croyais que le thé etait plutot reservé a la ceremonie avant le repas.
j’imagine mal les accords tanniques du thé avec les plats mais on ne sait jamais.
Différents thés, différentes infusions, différents moments …
Un exemple de livre d’accords :
http://www.amazon.fr/Th%C3%A9s-m...
Merci à l’ami qui nous prépara ce plat : Sole aux asperges et graines de nigelle, jus au thé Oolong Chi-Lai (Taiwan)
Et même un accord (diététique certes) avec la fondue : blog.lefigaro.fr/suisse/2…
🙂