Cette année la manifestation se déroule au domaine de Chevalier ; à l'heure de l'apéritif et des mises en bouche, plusieurs centaines de personnes se pressent dans le superbe cuvier de la propriété. C'est l'occasion de déguster un certain nombre de vins et, notamment, de faire une petite verticale de domaine de Chevalier blanc, du millésime 2001 (tendu, dynamique) au 2004 (très nuancé et élégant). J'aime beaucoup le style de ce cru, un des rares Bordeaux blancs secs avec les deux crus du secteur de Pessac, qui vieillisse en se complexifiant réellement.
Mais l'endroit n'est pas, ce soir, uniquement dévolu aux conjectures concernant l'évolution des vins blancs ; il constitue également, ordonné en une scène circulaire qui épouse parfaitement la configuration du cuvier, une sorte de théâtre fascinant à observer, une représentation du microcosme bordelais, avec ses jeux de pouvoir, ses strates, ses intrigues, ses passions, ses codes. Un tel événement va bien au-delà du jeu lisse et insignifiant des apparences auquel souscrirait d'emblée un observateur distrait. Derrière les sourires de circonstance, au-delà de la mondanité érigée en art de vivre affleure une autre réalité et la scène de se transformer peu à peu en un véritable champ romanesque. Emergeant de cette rumeur, de cette giration, tels des personnages aux traits encore un peu flous, des individus mais aussi de grandes typologies, des constellations, qui vous frôlent, en évitent d'autres. Dans ces sillages tourbillonnaires, soudain, d'autres individus encore, qui marchent, sans interruption, trouant la foule ; ils avancent à la limite du déséquilibre, le buste penché en avant, vers une rencontre, un point imaginaire, loin, très loin devant eux, serrant quelques mains au passage, « comment vas-tu mon cher? on se voit tout à l'heure ! » Que quêtent-ils ? Sans doute LES personnes qui leur permettront de passer une soirée en agréable compagnie.
Une tension particulière est perceptible ce soir, en relation avec la suspension, par le tribunal administratif de Bordeaux, du nouveau classement des vins de St-Emilion, homologué en décembre dernier et censé être valable pour une période allant de 2006 à 2016 ! Après l'annulation du classement des crus bourgeois datant de 2003, Bordeaux accuse le coup. Sept châteaux de St-Emilion ont en effet déposé un recours contre le nouveau classement de St-Emilion excipant en partie des mêmes critiques que celles formulées à l'encontre du classement des crus bourgeois, notamment la composition partiale de la commission chargées de procéder à ce classement. Quatre de ces propriétés – château Guadet Saint-Julien, château La Marzelle, château Cadet Bon, château La Tour du Pin Figeac – ont même demandé la suspension immédiate du nouveau classement qui, parmi les 91candidats, avait retenu quinze premiers crus classés et quarante-six crus classés. Pour mémoire,
rappelons ici que le classement des Saint-Emilion, qui date de 1954, est un classement évolutif, reconduit tous les dix ans.
Depuis quelques jours et, je le sens, durant toute la semaine à venir, beaucoup de conversations ont été et vont continuer d'être focalisées sur ce thème de la suspension du classement, suscitant débats animés et passionnés. Commentaire dépité d'un propriétaire de St-Emilion concernant la composition de la commission d'évaluation : “Nous sommes en train de basculer dans un système procédurier à l'américaine où l'on attaque tout en justice : accuse-t-on la commission d'être juge et partie parce que composée de courtiers, de négociants, de juristes qui, de près ou de loin, ont tous des liens et des intérêts avec la région ? Soit, mettons sur pied une commission de maçons italiens, d'architectes hollandais, de banquiers suisses, de cheminots français et d'aviateurs norvégiens, et nous verrons si ceci donnera de meilleurs résultats…”
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