Situé à l’extrême nord-ouest du vignoble de Barolo, le méconnu village de Verduno recèle en son cœur un domaine hors du temps, empreint d’une singularité et d’un esprit de tradition qui en font une sorte d’extraterrestre au sein même du vignoble local, l’Azienda Comm. Giovan Battista Burlotto, fondée par ce dernier en 1850. Les générations se succèdent avec nombre de grands succès et reconnaissances. Puis c’est au tour de Marina Burlotto, arrière petite-fille du Commendatore, aidée de son fils Fabio Alessandria, de diriger cette propriété discrète mais ô combien importante.
Le domaine possède désormais environ douze hectares en production, dont dix exclusivement sur la commune de Verduno et le reste sur Barolo et Roddi. Un peu plus de la moitié de ces douze hectares sont uniquement plantés en nebbiolo sur les collines les plus renommées de Verduno et sur une petite parcelle dans la zone prestigieuse de Cannubi. Toutes les vignes sont conduites en guyot, avec des densités de plantation de l’ordre de 4’000 à 5’000 pieds par hectare. Le remplacement des manquants est principalement effectué en sélection massale.
La célèbre façade du domaine
Au delà du Barolo « classique » qui est le plus ancien vin du domaine, trois Barolo sont actuellement produits :
Acclivi : qui n’est pas le nom d’un lieu-dit mais celui d’un assemblage de vignes provenant des crus Neirane, Monvigliero et Rocche dell’Olmo, respectant ainsi la pure tradition séculaire du Barolo. Les plus vieilles vignes atteignent quarante ans d’âge. Macération d’une quinzaine de jours. A l’issu de la fermentation malolactique, le vin est élevé deux ans et demi en foudre de chêne de l’Allier de 35 à 50 hectolitres. Cette cuvée est revendiquée depuis le millésime 1999.
Monvigliero : le domaine possède deux hectares dans ce cru reconnu comme le plus prestigieux du village de Verduno. Les vignes sont exposées au sud-est et situées à une altitude de 380 mètres en moyenne, formant un amphithéâtre quasi parfait. Leur âge varie de quinze à quarante ans. Les sols, constitués au cours du miocène (Tortoniano), sont à tendance calcaire et surtout très limoneuse, fins et drainants, légers en surface. Exceptionnellement, ici, la vinification se fait en vendange entière intégrale. La fermentation se déroule en cuve inox, après un léger foulage au pied pour éviter une fermentation intracellulaire. Le chapeau est ensuite immergé dans le jus à l’aide d’une grille (comme en beaujolais), puis la cuve est fermée ; le moût infuse ainsi pendant environ quarante jours sans aucune intervention. Le jus est ensuite soutiré et élevé pendant trente mois en grands foudres de 35 hectolitres, puis vingt-quatre mois supplémentaires en bouteilles avant commercialisation. Le cru a été isolé pour la première fois en 1982 du simple Barolo et constitue depuis une cuvée à part entière. En moyenne, il est produit 5’000 à 6’000 bouteilles par an.
Cannubi : cette cuvée fut produite pour la première fois en 1982. Les vignes en production ont aujourd’hui une vingtaine d’années en moyenne. Cannubi est le seul vin du domaine situé sur la commune de Barolo et il est issu du cru Cannubi Valleta, qui est une subdivision de l’historique Cannubi, avec une surface d’environ quatre hectares formant un bassin orienté sud, sud-est. C’est au cœur du cru, sur sa partie la plus qualitative, que se trouvent les 0.7 hectares du domaine. Les sols du Tortoniano (Miocène) sont à tendance argilo-sableuse avec une dominante de sable, particularité du cru. La vendange est égrappée puis macérée deux à trois semaines. Le vin est élevé dix mois en fûts de 300 à 500 litres puis vingt mois en foudres. Puis après la mise, il est encore gardé au moins douze mois avant commercialisation.
Fabio Alessandria, un immense vigneron et un vinificateur de génie ! © photo
Nous avons dernièrement eu la chance, au CAVE, de comparer ces crus sur six millésimes, en voici le détail :
1999 Monvigliero : premier nez légèrement fourrure, animal, qui évolue sur le poivron, les épices, un côté fleurs séchées aussi, agrumes, de la noblesse. Attaque large mais non pesante, texture relâchée, vin fin et charnu, prêt à boire, apaisé, plaisant. Evolution lactique et un peu imprécise sur le fond de verre.
2001 Acclivi : nez précis et frais, bien découpé, au caractère balsamique, réglissé, qui se présente étonnement bien en place. Attaque dense et légèrement ferme, tanin et jus sapide, vin « de coteau », jeune, salivant, énergique et long. Superbe allonge, c’est très bon.
2001 Cannubi : nez ouvert, large, sur les agrumes et fruits rouges, le cigare, notes de quinine : ensemble noble mais moins complexe et précis que le précédent à ce stade. Bouche opulente mais bâtie sur des tanins plus rustiques qu’Acclivi, tanin un peu plus sec. Un vin plus puissant donc, mais moins uni. Peut-être que la garde lui fera rattraper ce « retard ».
2006 Acclivi : beau nez de rose, de violette, de menthe, balsamique, qui se complexifie grandement à l’aération. Bouche fraîche, très équilibrée, qui ne manque pas de vinosité et ressemble au 2001 en plus jeune. Vin très complet, long, extra.
2006 Monvigliero : arômes piémontais classiques avec la déclinaison de tous les agrumes et les notes « amères » possibles (chinotto, kumquat), vin bouqueté, ouvert. Bouche à l’inverse du nez, douce, grasse, aux tanins suaves et fins.
2006 Cannubi : exubérance du fruit mûr (cerise). Vin très ouvert et généreux, à l’attaque grasse, bouche enveloppante, roborative, ample et savoureuse, alcool un peu plus en avant mais c’est sans doute une grande bouteille de garde. Excellent.
2008 Acclivi : on va vers les fruits exotiques et les agrumes, la pastèque. La bouche en est la continuité, vin de demi-corps, frais, long, sapide, c’est un « faux mince » qui cache sa force dans le parfum. A l’aération, il devient extra, incrâchable.
2008 Monvigliero : magie : nez difficile à décrire, ultra floral, sur l’encens, avec des parfums orientaux, on frôle le baroque tout en restant dans la civilisation. De la « grâce buvable », impossible à cracher, immense harmonie. Très grand vin et en même temps très à part pour l’appellation.
2008 Cannubi : plus balsamique, sur des nuances d’agrumes chaudes. Un soupçon moins de précision aromatique que le précédent mais il est moins défini car moins avancé, aussi, comme souvent avec ce cru qui vieilli très lentement. Attaque discrète, mais sa sensation de vinosité se renforce dans le déroulement en bouche, il finit fort, pas dur. Excellente bouteille. A noter qu’il a pris à l’ouverture beaucoup d’opulence et de volume à l’air, ce qui augure d’une grande garde.
2009 Acclivi : il est sensiblement plus réducteur que le 2008 à ce stade, mais s’épure à l’air. Bouche jeune, très fraîche pour l’année, qui est le reflet des terroirs qui entrent dans l’assemblage. Pas de rusticité, c’est long, juteux, prometteur.
2009 Monvigliero : ressemble fortement au Monvigliero 2008, avec plus de jeunesse et moins de fleurs. La bouche est grandissime aussi, moins diversifiée dans le parfum et un tantinet moins fine que 2008 à ce stade, mais la comparaison dans le temps sera passionnante. Et le vin est déjà excellent aujourd’hui !
2009 Cannubi : rappelle encore une fois le 2008 avec un brin plus de réduction de jeunesse. Bouche opulente, généreuse, l’impact du millésime chaud se fait sentir ici, mais le vin s’exprime en retour avec un caractère juvénile qui est rare avec les Barolo de ce millésime. Patience et confiance, donc.
Les vins du domaine vins furent sélectionnés en 1899 pour accompagner l’expédition du Duc des Abruzzes au Pôle Nord !
2012 Classico : grande évidence dès le premier coup de nez : on est ici en plein cœur du style actuel du domaine, avec une palette inimitable d’agrumes, de fleurs, de fruits frais, un soupçon d’encens et d’épices, et surtout cette évidence, ce naturel d’expression. La bouche est la pleine continuité du nez, avec un toucher velouté et un raffinement de texture qui rendent le vin difficile à cracher, même s’il a le potentiel pour se complexifier dix années et plus. La classe.
2012 Acclivi : grandes similitudes d’expression avec le vin précèdent, mais un caractère moins ouvert, plus réservé, et simultanément un surcroit de fraîcheur et toujours cette touche mentholée qui revient sur ce Barolo de coteau, haut perché en altitude. En bouche, on monte d’un cran en structure, longueur et profondeur. Vin extrêmement enthousiasmant, et qui à ce jour se présente comme le meilleur Acclivi que nous ayons vu naître.
Nous adressons un immense merci et surtout bravo au domaine pour cette triple verticale de rêve, qui le temps d’une soirée a mis des étoiles dans les yeux des dégustateurs présents. Plus que jamais, la famille Alessandria peut – et doit – être fière du travail accompli. Car il ne faut pas l’oublier, l’histoire n’a pas toujours été rose et maintenir le cap du meilleur de la tradition durant toutes ces années relève tout autant de la passion que du sacerdoce.
2 Comments
Tres beau compte rendu d’une magnifique dégustation. Cannubi 2011 dégusté récemment se présentait un peu chaleureux a mon goût, clairement a attendre.
savez-vous où on peut trouver ces vins en France ?
Merci.
Tout à fait.
Les Cannubi Burlotto dégustés jeunes et issus de millésimes chauds sont un peu opulents, à la manière de certains Chateauneuf-du-Pape, mais ils s’affinent considérablement avec le temps, mangeant un peu de leurs rondeurs et calmant leur feu de jeunesse pour gagner en finesse. Pour information, le lendemain de la verticale, j’ai regoûté tous les fonds de bouteille, et ceux qui résistaient le mieux à l’épreuve de l’oxygénation et du temps étaient incontestablement les Cannubi. Ce qui confirme selon moi que les meilleurs Cannubi vieillissent bien et surtout longtemps, et donc que la réputation du cru n’est pas usurpée. Mais comme en Bourgogne, il faut juste miser sur les bons vignerons, et ne pas trop se focaliser sur un hyper découpage du terroir, qui a la fin revient à couper les cheveux en quatre. A titre d’exemple, je pense que le Cannubi de Fabio est bien meilleur que celui produit par d’autres producteurs possédant des vignes parait-il mieux placées et dans le coeur « historique » du cru.
Pour la distribution en France, vous trouverez des vins chez l’excellent caviste de la rue du Cherche Midi à Paris, Mihran Karabetyan : http://www.enotecamidi.com/. Un homme fin et cultivé, passionné, respectueux tout autant des vignerons qu’il vend que de ses clients.