Comme tout le monde, il a un ego.
Aussi grand que son talent, que son cœur battant, que le large des montagnes et la navigation au flair dans les sombres forêts. Sillage de fleurs froissées, menthe et grenadine, tel le calament sauvage qu’il adore. Cuisinier. Alchimiste. Cueilleur. Communicateur. Eveilleur et éveillé. Un peu bonimenteur, mais pas menteur. Forçat du travail. Cramé au feu de la passion, soixante-six printemps au compteur, mais encore séveux comme un grand vin, plein de jus, de verve et de vie. Phénix de la mythologie, c’est le cas de dire.
Regard de l’aigle par-dessus le bleu nuit des lunettes. Le chef couronné de l’éternel sapé noir, le chapeau noir pastoral que l’on n’ôte que pour dormir, pour se recueillir, pour l’amour ou pour y abriter les champignons que l’on vient de cueillir. Un personnage.
Je vais enfin rencontrer Marc Veyrat. C’est une belle journée de juillet. La Maison de Bois au Col de la Croix Fry. Juste au-dessus de Manigod. C’est ici. Avec le scintillement infini du Mont Blanc dans le lointain. Et les montagnes mineures des Aravis qui se poussent un peu du col au premier plan, Pointe Percée, Etale, Mont Charvin.
Le chef est là, en grande forme, ravi de retrouver son public après un grand chantier. Officiellement, la Maison des Bois – qui a été la proie des flammes en mars 2015 après quelques mois d’ouverture seulement – n’ouvre que dans quinze jours, mais les demandes affluent depuis des mois et Marc Veyrat a choisi ce premier week-end de juillet pour un premier round d’essai.
Avec lui, une équipe encore resserrée mais qui va s’étoffer, parmi laquelle Bruno Locatelli en cuisine et Sylvain Bergonhe, le sommelier, qui s’est éclaté à recréer une cave partie en fumée.
C’est que le grand Marco a des rêves plein les yeux et, quoi qu’il ait pu en dire, le frou-frou des étoiles ne lui est pas indifférent. L’objectif, il l’a déjà clamé urbi et orbi : trois macarons au Guide rouge et la note maximale chez les concurrents. Quasiment un énoncé performatif. Fini les dérives moléculaires, les pailles et les paillettes. On se recentre.
Dans la vie des peintres italiens, Georgio Vasari dit que chaque époque invente le grand artiste qu’elle attendait, mais aussi le grand peintre qui lui succèdera – souvent son exact contraire – celui dont l’étoile, plus tard, brillera peut-être encore plus haut que la sienne.
A quelle catégorie appartient Marc Veyrat ? Le grand maître d’aujourd’hui ou celui de demain ? Je l’ignore.
Une certitude, une seule. L’enfant le plus célèbre de Manigod est aussi le fils de son époque, surgi (presque) de nulle part. Autodidacte. Pétri de talents multiples. Exactement comme dans les contes de fées. Inféodé à son terroir – quitte à le surjouer un peu – comme le peintre à sa lumière, il sait capter les signes, les énergies, mais aussi les manques de son temps, les mettre en scène, émouvoir, surprendre toujours. « Un roman, c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin » (Stendhal). Inclassable, exubérante, sobre et baroque à la fois, la cuisine de Marc Veyrat est, elle aussi, une activité romanesque.
Il faudrait plutôt parler ici des cuisines de Marc Veyrat. Végétale. Le monde fascinant des plantes, des fleurs et des herbes sauvages. Pastorale parce que là-haut sur la montagne, l’air y est plus vif, plus tranchant, la nature foisonnante, les bergers heureux. Il suffit de se pencher vers la terre. Voici les tétragones, la myrrhe légèrement anisée, la berce au goût hespéridé, l’oxalis, le lierre terrestre, le chénopode Bon-Henri… Un pas plus loin, au plus profond des forêts, au bord des sources, et la cuisine, comme les vins, devient minérale et autarcique. Terme improbable, mais tellement savoureux, qui répond sans doute à un besoin profond, caché dans les méandres de notre système limbique. Suceurs de substantifique moelle et de pierre, cueilleurs de l’instant et de l’infinie patience : au festin de la nature, nous le sommes tous restés. Il y va de notre bonheur :
« Je suis certainement le chef le plus heureux du monde. Pourquoi ? Parce que je vais dans la nature, je prends les arômes et on les met dans l’assiette. » (Marc Veyrat lors d’un récent reportage de TF1 le 5/08/16)
Le bonheur, oui ! Mais pourquoi, après avoir renoncé aux étoiles et aux chimères, vouloir les reconquérir ?
Marc Veyrat tente une forme de pari pascalien qu’on pourrait résumer ainsi : soit ce retour est gagnant et dans un horizon de deux ou trois ans, pas plus, il reconquiert ses étoiles (ce qui en additionnant celles déjà obtenues par le passé à Veyrier et à Megève porterait le total à neuf étoiles) et il remporte son pari un peu fou. Soit il perd son pari et, dans ce cas, il ne perd rien, car il a déjà tout gagné !
Voici quelques photos des plats dégustés en avant-première au début juillet. Un menu encore en devenir avec, déjà, des créations percutantes, de vrais plats-signature qui vous laissent une empreinte forte, tels les Grenouilles dans leur habitat naturel, le filet de truite cuit dans l’écorce de sapin ou le caïon au chénopode.
Merci à Marc Veyrat et à Michel Grisard, initiateur de cette belle rencontre, et dont la Mondeuse 1986 est à son apothéose !
Pomme verte et oxalys
Foie gras poêlé et myrrhe odorante
L’œuf inversé (maïs safran et cœur coulant à la truffe)
Grenouilles dans leur habitat naturel, racines de polypode, berce
Caviar de truite du lac, gelée tremblotante au tussilage
Truite du lac, ache des montagnes
Langoustine cuite sur un galet du val de Fier, bonbon à la reine des prés
Les nouilles évanescentes au Beaufort, bouillon de légumes et soja
Truite cuite dans une écorce de sapin, infusion de bourgeon de sapin au manioc
Tartiflette destructurée
Tout sur l’astringence, caïon, chenopode bon-Henri, purée de truffe cacaotée
et, bien sûr, les desserts. Crème à la fève tonka, gelée d’agrumes et madeleine à la fleur d’oranger, tarte aux myrtilles destructuée. Sans oublier le fantastique plateau de fromages avec un Reblochon, un Beaufort d’alpage et un Bleu de Termignon de toute beauté.
L’adresse :
LA MAISON DES BOIS – MARC VEYRAT
Col de la Croix-Fry
74230 MANIGOD
France
Téléphone : 0033 (0)4 50 60 00 00
Courriel : contact@marcveyrat.fr
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