Doté d’un sens du vin très aigu et possédant une impressionnante connaissance des crus de son pays, il a très rapidement fait décoller le niveau de la cave, accentuant la définition de terroir de toutes les cuvées. C’était donc un plaisir de l’accueillir au CAVE, accompagné de Gianni Fabrizio, journaliste italien référent et co-directeur du Guide Gambero Rosso, pour une verticale hors du commun.
Les appellations du Haut-Piémont (45'000 ha au XIXe siècle, 2000 ha aujourd'hui..)
Avant d’entrer dans le vif du sujet, deux mots sur le vin de Lessona. Ce dernier est évoqué pour la première fois au XIIème siècle. Malgré une grande réputation bâtie sur plusieurs siècles, la production décline énormément au fil du temps, à l’image de la viticulture locale, avant de reprendre à partir des années 2000 un peu de poil de la bête grâce à quelques rares domaines historiques. Lessona est reconnu DOC en 1976. Actuellement, à peine 6.45 hectares sont en production. Les cépages autorisés sont bien évidemment le nebbiolo, toujours majoritaire, complété éventuellement de vespolina (superbe variété méconnue mais difficile à cultiver), de croatina ou d’uva rara.
Un des terroirs de Lessona – photo Serge Pulfer
Sur le terrain, l’appellation n'est pas spectaculaire car beaucoup de choses se passent en sous-sol : le terroir de Lessona est une sorte de poche de sédiments marins qui repose sur une roche porphyrique profonde ; il s'agit de sables très acides, entassés en vrac, rougeâtres et très riches en minéraux, formant des sols pratiquement dépourvus de structure. L'altitude moyenne ne dépasse pas 300 mètres, ce qui en fait un terroir relativement précoce pour la région. Et pour aborder l’expression des vins, revenons désormais à notre verticale…
Lessona 1921 Année chaude. Les malos n’étaient pas faîtes, équilibres à +/-10° d’alcool, élevages en foudres de châtaigniers durant 4 ans. Avec le temps, ce vieux nebbiolo est devenu blanc ! Le nez tire sur le vin jaune. Bouche surprenante avec des fragrances de noix de coco, presque exotique, s’allongeant comme un vieux Château Chalon. Etonnamment gras, riche et chaleureux.
Lessona 1965 Année très difficile dans la région. Nez de grillé, fumé, avec des accents métalliques. La bouche est du même acabit : acidité tendue, nerveuse, assez mince, de l’amertume. Un témoin d’une époque où la viticulture se voulait moins ambitieuse.
Lessona 1975 On trouve des notes d’amarena et des accents de poivre. Bouche tendue sur l’attaque, développant du volume, assez corsée, mais avec une importante acidité en finale. Il s’allonge correctement même s’il n’est pas mémorable.
Lessona 1985 Grand millésime dans tout le Piémont. Nuances de fruits rouges sucrés, cuir frais, évolue sur la cerise vanillée. Le vin affiche un beau volume, du fond, tanins gras et lisses, bien enrobés. Bouteille étonnante et qui est restée finalement assez jeune.
Lessona 1996 Elevage deux ans en foudres. Joli nez fumé qui évolue sur l’orange séchée, assez profond, nuances de quinquina. Bouche de beau volume sur l’attaque, qui se tend ensuite sans afficher de minceur, bonne allonge. On apprécie sa finesse et sa tenue.
Lessona « Il Chioso » 1996 Elevage en barriques. Cette cuvée est « l’ancêtre » de la cuvée San Sebastiano allo Zoppo. Nez plus toasté, boisé. Mais plus précis aussi, à l’aération, plus plein, plus droit. Bouche enrobée sur l’attaque, mais avec une trame ferme, qui se prolonge longue, assez grasse, concentrée. Vin sérieux et qui évite les écueils de minceur du millésime. Finale sèche et droite.
Lessona 1999 Assemblage de 80% de cuvée classique en foudre et de 20% de SS. allo Zoppo élevé en barriques. Nez fumé, mangue, orange confite : on a enfin la définition aromatique du terroir ! Vin opulent, épaulé, encore ferme sur la finale. Du potentiel.
Lessona 2001 L’année correspond à l’arrivée de l’œnologue qui a précédé Cristiano Garella. Nez fruité, évoluant sur le tabac, le havane. Puis sur l’abricot, la cerise, très marqué par le terroir de Lessona. Bouche sexy sur l’attaque, avec un beau volume de fruit, de la richesse alcoolique. C’est savoureux, plein, encore jeune. Vraiment bon !
San Sebastiano allo Zoppo
Lessona « San Sebastiano allo Zoppo » 2001 Cuvée produite depuis 1993. Vigne de 75 ans. Coteau cultivé depuis 1436, dans la partie haute du village. Elevage 24 mois en foudres et 12 mois en demi-muids. Couleur plus évoluée que le Lessona, avec un disque plus clair. Premier nez exotique, captivant, sur les agrumes confits, la mangue, la quinine, le café. Un peu de bois sur l’attaque, mais suavité et « fausse » sucrosité accrue, impression spiritueuse, c’est long, gorgé de saveurs. La race de la vieille vigne sur grand terroir éclate !
Lessona « Omaggio a Quintino Sella » 2003 Cuvée hommage à l’un des personnages historiques de la famille, réalisée depuis 1999. Bon an mal an, seulement 3000 bts produites. Sélection à l’aveugle du meilleur foudre de la cave, quel que soit le lieu-dit considéré. Elevage de 36 mois. Nez explosif de cerise confite, très légèrement vanillé, tirant sur l’orange, la quinine, le thym, le romarin, nuances de pamplemousse : très complexe. Bouche riche, de grand volume et de grande richesse, mais avec une suavité et surtout une sapidité énorme pour l’année. Vin terriblement charmeur et équilibré pour un millésime si chaud. Superbe !
Lessona « Omaggio a Quintino Sella » 2004 Nez incroyable de raffinement et de complexité : nuances florales (violette), encens, poivre. Suavité et délicatesse de la bouche saisissante, vin très long, incrâchable. Le raffinement de texture tutoie les sommets piémontais. Grand cru évident.
Lessona « San Sebastiano allo Zoppo » 2005 Sur ce millésime, macération de 24 jours et élevage 60% en barriques, 40% en demi-muids. Année fraîche mais cette cuvée fut ramassée avant les premières averses de la période de vendanges. Comme souvent sur ce terroir, nez caché, moins évident que les autres crus, plus lent à s’ouvrir. Par contre la bouche est corsée, dotée d’une maturité avérée mais tonique. Tanins marqués, plus fermes à ce stade. Il a besoin de vieillir mais très beau fond de vin.
Lessona « Omaggio a Quintino Sella » 2006 Sur ce millésime, élevage de 48 mois en foudre. Intensité de parfum prodigieuse, avec des accents d’ambre et d’agrumes qui rappellent certains Moulin-à-Vent. Impressionnante plénitude de la bouche, le vin est très jeune, d’une profondeur insondable, infini. Du parfum de vin et une sorte de décoction de terroir. Il reste quelques ultimes flacons au CAVE !
Lessona 2008 Nombreux épisodes de grêle et au final une très petite récolte, mais de haute qualité ! 32 jours de macération (plus long qu’à l’accoutumée) pour aller chercher des notes de fruits rouges qui n’arrivent qu’en fin de macération. Petites nuances de réduction mais nez insolent de jeunesse, beau volume de fruit en bouche avec une grande acidité, une grande densité de vin. C’est carré, ultra séveux, puissant, chaleureux sur l’allonge, mais très sérieux. Très belle bouteille pour le millésime. En attendant son arrivage, le CAVE commercialise le 2007, excellent et doté d’un très bon potentiel de vieillissement.
Nous remercions infiniment la famille Sella et nos deux protagonistes pour leur passion communicative, qui a permis de démontrer à ceux qui en doutaient – où l’ignoraient – que le grand vin Piémontais ne se limitait pas à Barolo et Barbaresco !
Et pour approfondir, vous pouvez relire le compte-rendu de la verticale de Gattinara d’Antoniolo qui avait eu lieu au CAVE.
3 Comments
Merci Nicolas, vraiment passionnant. Je relève également l’ordre de la dégustation qui, une fois de plus, me parait être des plus pertinents.
Merci de nous avoir fait découvrir les vins de cette région.
Le Tenute Sella 2008, San Sebastiano allo Zoppo 2006 et le superbe Bramaterra I Porfidi 2007 sont commentés ici :
http://www.invinoveritastoulouse...
Omaggio 2004 a été carafé ?
Laurent :
Pas de vin carafé, si ce n’est le 1965 au moment du service pour éliminer le dépot… le 2004 était dans un grand jour, mais je l’ai souvent très bien goûté. Le 2006 devrait suivre le même chemin, avec plus de profondeur, et vieillira peut-être même encore mieux. A suivre…
Nicolas :
L’ordre de dégustation VIEUX > JEUNE dans les dernières verticales que nous avons faites au CAVE n’a jamais été critiqué par les participants pour, je pense, deux raisons :
1. on apprécie mieux les vins patinés et "fragiles" au début, et accumulation de cuvées aidant, les vins les plus puissants sont plus à l’aise en fin de parcours, ils ne tuent pas leurs ainés et sont à leur place, fringants, plein de promesses ;
2. cela permet de suivre l’évolution du domaine au fil du temps, qui plus est en présence des gens qui font le vin, donc on peut aussi d’avoir des éclaircissements sur les orientations prises aux vignes et à la cave selon les différentes périodes pendant la dégustation.