Jacky Rigaux, grand monsieur du vin et connaisseur hors pair de la Bourgogne, était donc venu en cette soirée du 23 avril 2009 au CAVE nous raconter tout cela. Très proche de Denis, il nous a parlé avec respect, nostalgie mais surtout passion de cet homme, de son fils Arnaud, et de leur grand premier cru.
Voici mes notes, dans l'ordre de la dégustation (vins servis par séries de trois) :
2005 : premier nez très mûr sur des notes de viande séchée, de fumé, d’épices et de camphre. Entrée en bouche grasse, le tanin est éminemment serré même si la texture est globalement veloutée. La bouche est pleine et concentrée, tendue, nerveuse. L’assise tannique est très forte, confinant à la raideur dans la jeunesse. La finale encore abrupte demande du temps pour se raboter, mais le fond est là. Le fond de verre laisse apparaître quelques scories d’élevage qui confirment l’urgence de prendre son temps avec cette bouteille bâtie pour la grande garde. Rendez-vous dans au moins 7 ans…
2004 : le millésime est immédiatement reconnaissable aux notes de sarment de vigne brûlé, de racine de gentiane et de terre mouillée. Attaque moins consistante que sur le 2005. Il semble aussi qu’un léger gaz carbonique soit encore présent. La bouche laisse une impression sapide et saline, le côté nerveux et racé du cru éclate plus rapidement que sur le millésime précédent. Le vin se présente déjà assez avancé dans l’évolution, faisant également apparaître les faiblesses du millésime en finale. L’ensemble ne démérite tout de même pas, compte tenu de la difficulté de l’année sur la commune.
2003 : discret au premier coup de nez, l’aération va lui permettre de délivrer des notes de pêche rôtie, de fruits cuits, et des fragrances plus poudrées, orientales. En bouche le tanin paraît déjà bien fondu, le jus est velouté avec toujours cette fraicheur et ce côté salin (terroir ou tonnelier ?) malgré l’année. L’ensemble est déjà très abordable et présente l’avantage de ne pas brûler. Les tanins sont légèrement réglissés dans la saveur (comme souvent à Gevrey), avec la pointe d’austérité typique du terroir. Finale sur des flaveurs légèrement sauvages et épicées. Déjà accessible et surtout réussi !
2002 : premier nez un peu boudeur, évoluant ensuite sur des notes fumées, légèrement boisées, avec des fragrances de « marc » typiques des élevages « Mortet ». Entrée en bouche très pulpeuse, avec des tanins fins mais très serrés. Le vin offre beaucoup de plénitude et d’énergie : il avance volontaire et énergique en bouche, machû, mais sans brutalité, on ne perd pas le terroir. Ni plus ni moins que ce que l’on appelle la grande densité, celle qui fait les bouteilles de garde. Finale corsée et noblement austère, très « Lavaux ». La plus grande bouteille de la soirée pour moi, à moins que le 2005 se révèle encore plus grand à la garde, ce qui n’est pas impossible !
2000 : bouquet d’évolution secondaire avec des notes d’orangette (zeste d’orange confite enrobé de chocolat) qui peuvent rappeler certains (bons) grenaches rhodaniens. Bouche de très belle plénitude qui offre un velouté immédiat réjouissant. C’est pulpeux, savoureux, pas immensément long mais quelle performance de sortir un tel vin sur ce millésime. La finale marque juste les limites de l’année, mais on chipote presque. C’est sur des vins comme cela que le talent et l’opiniâtreté de Denis transparaissent !
1999 : bouquet timide de cerise sauvage, de crème de cassis, mais tout cela est un peu fermé et opaque malgré l’âge. Bouche au fruit dur pour le moment, l’extraction semble poussée, l’ensemble est très carré et plus que cistercien d’esprit. Le vin est complètement recroquevillé, difficile à entrevoir. Pour le moment il s’équilibre davantage sur la matière que sur l’éclat du fruit. La saveur est très réglissée, donc bien peu juteuse. Malgré dix années, il ne parle que très peu. Est ce le très grand Lavaux de garde dont les amateurs rêvent, ou un vin qui conservera toujours cette austérité ? Seule la garde le dira.
1998 : superbe bouquet de fruits rouges confits, avec un soupçon d’épices nobles. Comme tous les 1998, ce vin n’est pas un monstre de fruit en bouche, mais plus une boule d’épices qui présente ici l’avantage – comparé à nombre de vins du millésime – de ne pas sécher en finale. Il ne faiblit pas de bout en bout, étant remarquablement tenu, alliant avec une adresse folle austérité et charme. Ou quand la patte du vigneron se marie à merveille avec celle du terroir, le millésime en toile de fond. Peu de gens le savent, mais les 98 du domaine sont remarquables ! A bons entendeurs…
1997 : un premier nez désordonné, qui perdurera. Et une bouche au fruit assez évolué, paraissant un peu trop mûre. Il semble que le vin ait basculé, malheureusement. Rappelons que ce millésime de hautes maturités a été difficile à gérer à l’époque, et que bien peu de vignerons l’ont compris et réussi. Denis en a d’ailleurs tiré les leçons, à voir le remarquable 2003 qu’il a fait (un des meilleurs Gevrey que j’ai bu dans le millésime, et de loin).
1996 : un 96 très… 96. Notes d’orange blette et de griotte. Bouche vive et pointue, avec l’acidité de l’année, très fraiche et conservant cette pointe d’austérité du terroir que le millésime renforce. Comme le 1999, ce 1996 demeure peu loquace, mais avec moins de volume et de concentration apparente. Un vin peu facile, mais qui reste droit dans ses bottes. Pour amateurs de Gevrey sans concession.
1995 : pas très pur dans l’arôme, avec un côté médicinal. La bouche semble décharnée, manquant de netteté, finale dure et acide, sans suite. Avouons le, Denis n’a jamais aimé ce vin ! Mais il ne s’en cachait pas, et s’en est servi pour progresser et se remettre en question. Forte tête on vous dit…
1993 : pour un vin de début de carrière, c’est bien mieux qu’une relique ! Notes tertiaires de sous bois et d’humus, avec une relative discrétion aromatique que d’ailleurs beaucoup de 93 ont, même les plus grands. Mais la bouche reste relativement pleine et concentrée. L’aération lui fait du bien et lui permet de délivrer de jolies effluves réglissés, de reprendre un peu de gras. Il reste strict comme son millésime l’est, mais se tient fièrement. Honorable…
Puis nous avons fini par le premier vin d’Arnaud, qui a repris avec sa mère Laurence la propriété. Arnaud a débuté ses études de viticulture en 1998, mais avoue n’avoir jamais eu grand attrait pour l’école ; ayant toujours préféré le terrain et les vignes, comme nombre de grands personnage de sa commune. En 2006 et 2007, il a travaillé 60% de ses vignes en culture biologique. A partir de 2008, tout le domaine sera converti. Le respect des sols est un point important pour lui. En vinification, il cherche à respecter au maximum le fruit. Les raisins sont doucement égrappés pour ne pas abîmer les grumes, ce qui permet des fermentations intracellulaires. Les élevages sont dans la lignée de ceux réalisés par son père.
Et voilà donc son premier bébé, le 2006 : en dehors des quelques petites notes vanillées d’élevage encore récent, le nez le plus « pinot » de la soirée, avec un éclat et une précision de fruit réjouissants. Très belle qualité de tanin avec un grain fin, satiné, et une saveur fruitée relativement pure (malgré le luxe de la barrique en fond). L’austérité du Lavaux est déjà là aussi. L’ensemble est serré comme il se doit à cet âge. Ensemble très bourguignon dans l’esprit, à la fois classique et moderne. On est pressé de le regoûter dans quelques années, pour voir (et boire), mais je fiche un billet que ça fera une très belle bouteille. Terriblement prometteur !
Il me reste à remercier tous les gens qui ont participé à cette soirée de près ou de loin : Jacky en tout premier, irremplaçable ; mais aussi Laurence Mortet et Arnaud qui ont permis à Jacques Perrin de sortir de vieux magnums de leur cave ; et le docteur Regamey enfin, proche de Denis comme Jacques Perrin l'a d’ailleurs aussi été : ses anecdotes ont ponctué agréablement cette belle soirée.
Denis, vous nous avez quittés le 30 janvier 2006, mais ce soir d’avril 2009, vous étiez un peu (beaucoup) avec nous. L’histoire continue…
Pour approfondir
– Gevrey Chambertin, joyau du terroir – Jacky Rigaux et Christian Bon – Terres en vue.
– Le Terroir et le Vigneron – Jacky Rigaux – Terres en Vue.
5 Comments
Merci pour ce compte-rendu émouvant.
Bel hommage en effet et bonnes réussites à sa famille …
GEVREY-CHAMBERTIN 1er cru "Lavaux Saint-Jacques". Notes : DS16,5 – PC16,5 – LG16 – CS16,5 – RP15,5. sur fût, acceuil par Denis Mortet
Intense, gras (beaucoup de glycérol) dans le verre. Nez intense de griotte, de noyau, impressionnant. Bouche pour la première fois élégante, le fruit est toujours aussi éclatant, mais la trame est longue, veloutée, harmonieuse.
Gevrey-Chambertin Lavaux St-Jacques Mortet 2000 : 17/20 – 14/6/07
On trouve ici un style vraiment différent. Expression sombre, lactée, corsée, corpulente, rentrée, dans laquelle il faut aller débusquer des notes de terre, de betterave, de cassis, de pivoine. Le style maison également, plus extrait (mais sans excès), avec un fond indéniable.
Les 98 bus sur fût : http://www.invinoveritastoulouse...
Le premier vin décrit est bien entendu le 1998.
Il fut regoûté ainsi au club, en juin 2002 :
Domaine Denis Mortet – Gevrey Chambertin premier cru “Lavaux Saint-Jacques” 1998 (cr par Pierre Citerne)
Note moyenne sur fût en 99 : 16-16,5. Note moyenne en 02 : 16,5. Prix : 64 €
Rouge sang d’une belle densité. Nez exubérant, foisonnant d’arômes, marqué par l’élevage : fruit presque exotique, iris, viande fraîche, grillé, café, girofle, peau d’orange… Matière dense, extraite, savoureuse – heureusement le fruit profond équilibre les tannins encore peu fondus.
Le Vougeot 98 restant au même excellent niveau à 17/20.
Merci pour lui et eux François.
Gevrey reste très marqué par sa disparition, les vignerons locaux m’en parlent souvent…
Très beau résumé, plein d’émotion.
Merci.
Jean DM