Du danger de certaines lectures
L’enfance d’abord, à Saverne, "ma mère était bien trop jolie pour être heureuse". C'est dit. Le trouble de comprendre un jour que, dans sa solitude même, l’ivrogne n’est jamais seul :
"Vise un peu celui-là, mon petit. On peut dire qu’il n’est pas seul !"
L’enfance d’abord, à Saverne, "ma mère était bien trop jolie pour être heureuse". C'est dit. Le trouble de comprendre un jour que, dans sa solitude même, l’ivrogne n’est jamais seul :
"Vise un peu celui-là, mon petit. On peut dire qu’il n’est pas seul !"
Plus loin, on fait connaissance avec un bouledogue nommé Andrew qui se pique la ruche chaque jour que Dieu fait.
Dans un grand domaine bourguignon, j’ai connu également un bâtard adopté qui ne tétait à la pipette que les fleurons de la Côte de Nuits. Hélas Andrew, le chien de Oberlé, n’avait pas cette subtilité, "ayant opté pour la bibine plutôt que pour le Chambertin ".
Arrive, bien sûr, pour notre jeune lettré le temps de la première biture… Rituel initiatique.
Arrive, bien sûr, pour notre jeune lettré le temps de la première biture… Rituel initiatique.
"A cause de mes lectures ma vie fut romanesque. Entendez par là que j’ai fait beaucoup de conneries !"
Bunuel à l'heure du Chablis
Les années de formation au métier de vivre mettent un sérieux coup d’accélérateur. Oberlé tient une librairie de livres anciens, rue Henner, à Paris. Dans son antre, que l’on devine un peu sombre, "se pointent à l’heure du Chablis" Jean-Claude Carrière et Luis Bunuel, Louis Malle ou Milos Formann accompagné de "quelque jeune actrice qui, disait-il, savait lire." Des frangines aussi, des vraies, vaillantes, avec leurs godelureaux, tout un petit monde foisonnant, appliqué, dur à la tâche, sachant varier les plaisirs.
Les lois de l’hospitalité
Paris est peut-être le centre du monde mais le livre justifie son titre. Il s'agit bien de trouver sa route quelque part. Nous voilà débarqués, au chapitre IX, dans le Val d’Aoste, chez Renzo, un ami comme on en fait plus. Les lois de l’hospitalité sont sacrées, impérieuses, chez cet homme d’une libéralité qui frôle la magnificence.
Les années de formation au métier de vivre mettent un sérieux coup d’accélérateur. Oberlé tient une librairie de livres anciens, rue Henner, à Paris. Dans son antre, que l’on devine un peu sombre, "se pointent à l’heure du Chablis" Jean-Claude Carrière et Luis Bunuel, Louis Malle ou Milos Formann accompagné de "quelque jeune actrice qui, disait-il, savait lire." Des frangines aussi, des vraies, vaillantes, avec leurs godelureaux, tout un petit monde foisonnant, appliqué, dur à la tâche, sachant varier les plaisirs.
Les lois de l’hospitalité
Paris est peut-être le centre du monde mais le livre justifie son titre. Il s'agit bien de trouver sa route quelque part. Nous voilà débarqués, au chapitre IX, dans le Val d’Aoste, chez Renzo, un ami comme on en fait plus. Les lois de l’hospitalité sont sacrées, impérieuses, chez cet homme d’une libéralité qui frôle la magnificence.
Je vous laisse lire la suite pour en connaître les détails forcément troublants.
Cuisinier éblouissant, collectionneur de vins encyclopédique parachevant l’œuvre commencée par son père, Renzo a amassé dans ses caves plus de cinquante millésimes de ce que l’Oenotria recèle de meilleur. Ou la rencontre de l’œnophile et du bibliophile : "L’œuvre d’un écrivain et celle d’un vigneron sont toutes deux l’aboutissement de savoirs ancestraux, de méditations, d’efforts, d’intuitions et de raffinements infinis."
Un peu d’exaltation lyrique dans ce rapprochement mais, dieu, que cela est bien tourné ! On rêverait longtemps sur des œuvres capables d’échanger ainsi leur rôle.
Lake Leenanau, haut lieu de la mythologie de Jim Harrison
A peine le temps de souffler et nous voilà emportés au cœur du Michigan, à Lake Leenanau, dans la foulée de l'immense Jim Harrison, chassant la bécasse, ribotant avec la faconde et l’allégresse qui lui sont coutumières.
Je retiens cet épisode, magique, de la vieille ourse que Jim croise au retour d’une soirée bien arrosée au bar du village.
"Deux jours plus tard, en pleine nuit, alors que j’étais en train d’écrire près de la fenêtre, son visage m’est apparu derrière les carreaux. Elle me regardait fixement, comme si elle voulait me dire quelque chose."
Les vins, les grands auteurs.
Dans cette quête infinie, cette noria festive, les vins sont de la partie, viatiques obligés, passeurs de rêve, même si l’auteur concède quelques infidélités avec des tord-boyaux.
Les Baroli pour lesquels Oberlé invente la redoutable expression «être barolisé», le Sciatettra de Cinque Terre, le Montlouis de François Chidaine, les grands bordeaux, tels le Talbot 1945 ou le Montrose 1928 dégustés dans le restaurant à la mode de ces années-là, La Ciboulette, juste en face de Beaubourg ; où officiait, maître d’œuvre vêtu de tenues flamboyantes, Jean-Pierre Coffe. Auquel Gérard Oberlé rend un vibrant hommage.
Défile également le cortège des grands auteurs, férus en libations, les Jarry, Cingria ou Norge qui, souvent, convia Oberlé à dîner "avec des anges connaisseurs de grands vins." Qui n'eût aimé faire partie de ces anges ?
Ou encore le mystérieux Jean-Claude Pirotte qui, par amour du vin jaune, quitta un jour les contreforts de la Montagne Noire pour les brumes et les silences du Jura :
"Ce goût énigmatique du vin jaune, c’est le goût de l’immortalité qui habitait les choses au cœur du jardin d’Eden. Toutes choses réconciliées, comme cette couleur qui est saveur, et cette saveur qui est éclat."
Jean-Claude Pirotte, Les Contes bleus du vin
La perfection entre l’intitulé et l’objet décrit. Un forme de haïku transposé au monde du vin.
On referme bientôt ce livre «écrit par amitié» avec une nuance de regret.
Je viens de le relire, quelques mois plus tard. Avec le même ravissement. Seuls les sommeliers s’en trouveront marris de l’avoir lu. Mais ceci est, peut-être, une autre histoire.
Gérard Oberlé, Itinéraire spiritueux, 272 p. Grasset
2 Comments
" globaliser"
Un terme très en vogue me vient à l’esprit après la lecture d’ Itinéraires spiritueux . Globaliser, les sentiments, la philosophie, l’art
la contemplation, les sens à fleur de peau, la démesure.
Pour être dans la profondeur de l’être, et le faire sans que rien ne soit jamais définitif, parce que plus notre vue est large est moins notre vision est péremptoire.
Gérard Oberlé est le passant éclairé d’une initiation sans fin et sans but si ce n’est celui du mystère.
Bonjour, vous n’êtes pas là ? Mince. Comment ai-je fait pour tomber chez vous ? Ne le sais pas. Mais c’est festif : je vais m’en régaler d’un petit verre de vin partagé invisiblement auprès des dunes d’Ali.
Vive les contes des Mille et une nuit et vos "Itinéraires spiritueux" – Belle fin de journée à vous et à tous ceux qui sont autour de vous.