Vers Derborence : rencontre avec des silences et la perdrix des neiges.

Nous avons quitté tout à l'heure Ovronnaz. Rien ne nous retient ici. Ni thermes ni chalets «Mon bonheur ». Les brumes matinales tardent à se dissiper ; elles semblent mettre entre les montagnes et nous une distance, une ironie légère.

Plan Coppet, superbe plateau d’altitude à l’aplomb des Muverans

Première étape : la cabane Rambert sur son étrave aérienne…
Depuis Bougnonne, un nouveau sentier se profile à flanc de coteau et vous emmène vers une forme éthérée du bonheur qui, aujourd’hui, s’appelle Plan Coppet, superbe plateau d’altitude à l’aplomb des Muverans. La sensation de wilderness est ici très profonde.

Halte éclair à la cabane Rambert arrimée depuis 1952 à son nid d’aigle. La vie est une illusion : à côté de nous, un groupe se désaltère en sirotant du Côtes du Rhône en provenance de la cave coopérative de Laudun Chusclan. Le litron est déjà bien entamé sous le soleil de septembre.
–   Ah il est bon, celui-ci… Pas comme le pinot noir d'hier soir…
–   Pourquoi penses-tu qu’il est meilleur ?
–    Parce que celui-ci, c'est simple, il charge moins !

Vue sur la Dent de Chamosentze. Le col de la Forcla se trouve au sommet du pierrier ensoleillé.

Abandonnons ce promontoire et le joyeux équipage qui le hante pour le col de la Forcla qui se faufile entre les contreforts du Grand Muveran et la farouche Dent de Chamosentze.

Nous marchons dans ce paysage minéral, parmi ces concrétions où le temps s’est déposé en strates irrégulières.
Soudain, au milieu d’un pierrier, ce spectacle nous est offert : folâtre, à peine troublée par notre présence, une tribu de perdrix des neiges se prélasse au soleil. Elles appartiennent à la catégorie des lagopèdes, sans doute le Lagopus mutus helveticus. Il est rarissime de pouvoir les observer d’aussi près.

Cette espèce est hélas aujourd’hui menacée malgré son mimétisme extraordinaire : la perdrix des neige connaît trois mues successives pour se confondre avec son milieu. De couleur brune à l’été, elle devient mouchetée et grise à l’automne, puis entièrement blanche, l’hiver venu.

Moment magique que j’ai tenté de retenir à travers ce texte et cette photo. Pourrais-je, après l’avoir vue dans sa splendeur, goûter un jour à sa chair succulente ? C’est une rareté gastronomique très prisée. Freddy Girardet la proposait en saison. Et le talentueux Mauro Capelli l’apprête parfois en son Café du Théâtre.

Mais déjà voici, derrière le col de la Forcla, que nous parvient ce silence qui dure, celui des étendues et des songes :

« Le silence de la haute montagne, le silence de ces déserts d’hommes, où l’homme n’apparaît que temporairement : alors, pour peu que par hasard il soit silencieux lui-même, on a beau prêter l’oreille, on entend seulement qu’on n’entend rien. C’était comme si aucune chose n’existait plus nulle part, de nous à l’autre bout du monde, de nous jusqu’au fond du ciel. Rien, le néant, le vide, la perfection du vide… »

A la place du glacier de la Forcla dont nous mesurons l’agonie sous la poussière qui l’ensevelit, ne restera bientôt plus que cet océan de pierres…

Derborence, notre objectif initial, est à une dizaine de km d’ici. Oui, mais comment revenir récupérer notre voiture à Ovronnaz ?

Finalement, nous optons pour un autre itinéraire et remontons vers le Pas de Chamosentze. La descente versant Ovronnaz est spectaculaire avec les tours crénelées des Palantsons qui se découpent dans le ciel. A skis, en hiver, j’ose à peine rêver de la longue glissade au moins jusqu’aux Mayens de Chamoson.

Et qui sait, peut-être plus bas encore, en direction des vignes de Chamoson qui, vues d’ici, blotties sous les Hauts de Cry, ressemblent à un lointain damier ?

La Dent de Chamosentze avec sa forme très caractéristique vue de l'alpage du même nom.

Et puis, si vous voulez avoir une idée du chant du lagopède, cet étirement de la corde de l’arc juste avant d’atteindre la cible, c’est ici.

Itinéraire : Ovronnaz-Cabanne Rambert-Col de la Forcla-Pas de Chamosentze-Ovronnaz.
A l’aller, le télésiège Jorasse permet de gagner une bonne heure.
Horaire : 6 h 30 (sans télésiège) – 5 h 00 (avec le télésiège)

PS : toutes les citations de cet article sont tirée de Derborence de Ramuz.

Auteur

Jacques Perrin De mon passé de philosophe, j’ai hérité cette intuition que sapientia et saveur partagent la même origine. Des livres et des rencontres qui m’ont aidé à devenir ce que je suis, je garde tout : le sillage patient de la durée, l’inattendu et le meilleur. « Un rêve sans étoiles est un rêve oublié » Nos étoiles sont filantes et nos mémoires sont labiles. Du monde du vin et de la gastronomie, j’aimerais raconter les instants, les nuances subtiles et le bonheur dansant qui s’empare de nous quand nous rencontrons une forme de perfection. Il n’est pas nécessaire de publier un journal extime pour exister. Ce blog n’est pas un blog spécialisé pour wine geeks. Il est d’abord un lieu d’échanges, une série de passerelles, un réseau ouvert. Bienvenue sur les Mille Plateaux !

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