L’histoire de Sociando-Mallet est intimement liée à la personnalité de Jean Gautreau. Quoi de plus normal si, après quelques réticences, une cuvée porte aujourd’hui le nom de celui qui a incarné durant 44 vendanges la renaissance et l’essor de cette propriété chère aux amateurs de vins ?
Originaire de Lesparre, Jean Gautreau naît dans une famille assez éloignée du monde du vin puisque son père est agent d’assurances.
Après un début dans la vie marqué par le sport pendant lequel Jean Gautreau foule la terre battue de Roland-Garros, il commence sa carrière professionnelle comme courtier en vins. Débuts difficiles car les vins de Bordeaux n’ont guère la cote dans l’après-guerre. A 23 ans, en 1950, le jeune Gautreau s’installe à son compte et bat la campagne. En 1957, il crée sa propre société de négoce et développe un courant d’affaires sur la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne notamment.
En 1969, il prospecte dans les environs de St-Seurin de Cadourne pour un client qui cherche une propriété où venir couler des jours tranquilles en regardant l’estuaire. L’affaire ne se fait pas. Le client est effrayé par l’état de la propriété. Et c’est ainsi que Jean Gautreau se retrouve propriétaire de quelques arpents de vignes, d’un foyer de ronces et de quatre logements d’ouvriers agricoles quasi à l’abandon. Le destin venait se mettre en marche.
Jean Gautreau rêvait peut-être d’une thébaïde. Il ne connaissait rien à la viticulture. Il va relever le défi et, à partir des 5 ha initiaux quasiment en friche, agrandir la propriété en replantant de nouvelles vignes (notamment en 1970) et rêver de grands vins. Son terroir, en bordure de l’estuaire de la Gironde, n’a rien à envier aux meilleurs des appellations voisines. Regardez la position des premiers et des deuxièmes crus, ils sont tous situés sur la même frange littorale, sur cette nappe de graves du Günz qui regarde la Gironde. Ainsi Sociando, pour ne parler que de ses voisins les plus proches, est situé dans l’exact prolongement de Cos d’Estournel, Montrose et Calon-Ségur. C’est là sur cette île au bout du monde, sur cet estuaire qui vit passer tant de vaisseaux et de caravelles du « commerce atlantique » que Jean Gautreau, le voyageur, vient fixer ses amarres.
Aujourd’hui la surface du vignoble avoisine les 80 ha distribués en 24 parcelles dont deux blocs importants de 18.9 ha (Baleyron) et de 16.56 ha (appelée Le Domaine) à proximité immédiate des chais et des bureaux.
La cuvée Jean Gautreau
En 1995, Jean Gautreau et son maître de chai – à l’époque il s’agissait de Gabriel Ribero – ont décidé d’entonner à chaud dans des barriques neuves un certain pourcentage de la récolte représentant soixante barriques au total. A la fin de l’élevage (12 mois pour Sociando), après dégustation, un lot de 18 barriques ont été retenues et l’élevage a été poursuivi pendant 6 mois.
Attention, la Cuvée Jean Gautreau ne saurait être considérée comme un vin de garage, “ou alors un vin de grand garage” comme se plaît à le souligner le propriétaire de Sociando, “car une Cuvée comme cela, je peux en faire 150 000 bt par année !” Pas d’isolation parcellaire ici, pas de tri drastique et de rendements dérisoires mais simplement, la volonté de se faire plaisir en isolant quelques lots et en les élevant à part avec entonnage à chaud et malo en barriques. “Avec mon maître de chais Vincent Faure, nous avons un goût très cabernet et il est certain que nous avons tendance à privilégier ce dernier lorsque nous sélectionnons nos barriques. Ainsi le 2010 est à 100 % cabernet sauvignon ! En fait, précise JG, c’est à peu près le même style que Sociando. On prend 3 fûts des meilleurs lots à l’écoulage, ce qui représente 60 à 70 barriques. On les élève. A la sortie de barrique, on garde les 10 à 15 meilleurs fûts. On les assemble ».
1ère série
Cuvée Jean Gautreau 1997
60 cs – 30 m – 10 cf
Il a gardé une belle couleur. Nez vanillé, encore sur le fruit, avec des notes mentholées et balsamiques à l’ouverture. Puis touche de cuir. La bouche offre un joli volume sphérique. Très bon compte tenu du millésime.
Cuvée Jean Gautreau 2002
65 – 31 -4
Dans ce millésime plutôt difficile, sauvé par le mois de septembre, la Cuvée JG tire bien son épingle du jeu. Nez assez flatteur, moyennement intense. Bouche ronde, souple, un peu linéaire. Le tanin est souple et savoureux. Ça se laisse boire avec plaisir.
Cuvée Jean Gautreau 2003
65 – 29 – 6
C’est un très beau vin, rond, pulpeux avec une fraîcheur mentholée de bon aloi : à l’aveugle, personne n’a pensé à un 2003. Dommage que les deux bouteilles ouvertes aient été un peu entachées par un problème de bouchon.
2e série
Cuvée Jean Gautreau 1995
80 – 15 – 5
C’est le premier millésime de la Cuvée JG, celui de la définition d’un style et d’une recherche esthétique différente, plus cabernet. C’est le cas ici avec 80 % de cs. Le nez est mentholé et boisé avec des notes de musc et de sous-bois. Dans ce millésime généreux, le vin n’a pas digéré totalement son bois.
Cuvée Jean Gautreau 1996
73 – 20 – 7
Largement plébicisté dans cette série par les participants, ce 1996 s’avère ferme et continu, d’une très belle fraîcheur, avec un tanin énergique, qui se resserre un peu sur la finale.
Cuvée Jean Gautreau 1998
80 – 20 – 0
Très très belle réussite ! Graphite, fruits noirs, truffe. Architecture stylée, rigoureuse, avec un tanin d’une grande noblesse et une finale irradiante ! On peut se le procurer ici.
3e série
Cuvée Jean Gautreau 1999
60 – 35 – 5
Couleur soutenue. Le nez est crémeux avec des notes de cassis, de prune. Bouche sphérique, souple, bien dessinée, marquée par le merlot. Dans ce millésime, la Cuvée est basée sur le même assemblage que Sociando-Mallet. Seul l’élevage diffère. Délicieux à déguster aujourd’hui.
Cuvée Jean Gautreau 2001
65 – 30 -5
Un autre des joyaux de la propriété ! Je retrouve exactement les mêmes sensations dispensées par ce vin quand nous l’avons goûté il y a quelques années en parallèle avec Sociando-Mallet. Fruits noirs, violette, épices et graphite. Bouche tonique, fuselée, aux tanins juteux. A noter aussi une intégration du bois très réussie (l’élevage cette année-là a passé de 18 à 15 mois).
Cuvée Jean Gautreau 2000
70 – 20 -10
Robe très dense. Nez sur le cassis, les nuances mentholées, le poivron. Corps ample, vigoureux, évasé. Finale d’une belle amplitude, mais à ce stade le vin paraît un peu simplifié au niveau aromatique et n’a pas totalement convaincu l’assistance.
4e série
Cuvée Jean Gautreau 2006
61 – 39 -0
Nez crémeux et fruité. Mûre, myrtille. Boisé un peu exotique. Bouche suave et ronde. Ensemble savoureux, un peu facile, qui n’a pas tout à fait la dimension des meilleurs.
Cuvée Jean Gautreau 2005
58 – 34 – 8
Robe sombre. Magnifique nez. Intense et complexe. Fruits noirs, violette, cèdre. Il confirme la grandeur du millésime et apparaît encore d’une jeunesse insolente. Avec l’aristocratique 2010, c’est un vin à placer dans les dégustations à l’aveugle !
Cuvée Jean Gautreau 2004
63 – 37 – 0
Marqué par des nuances boisées et lactiques, le nez manquait un peu de définition à ce stade. Corps de très belle facture, d’un grand classicisme, très sapide. Ce vin d’une belle fraîcheur est déjà délicieux à déguster aujourd’hui.
Cuvée Jean Gautreau 2010
100 % cabernet sauvignon !
Le sommet de la dégustation ! Goûté pour lui seul, ce vin a arraché des larmes de joie à la plupart des dégustateurs présents. Même celui qu’on appelle “le docteur” en a perdu son stéthoscope… Nez superbe, envoûtant par sa finesse, la maturité idéale et la profondeur du fruit. Le corps est à l’avenant. Dynamique et fuselé, continu et long, il rivalise sans problème avec les meilleurs vins de Bordeaux dans ce millésime et, vu son prix, devrait constituer une priorité d’achat pour tout amateur de (grand) Bordeaux !
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