Il s'est d'abord implanté en France à Pujaut, près de Roquemaure, dans le Gard. Puis l'épidémie s’est étendue plus ou moins vite au reste de l’Europe. Malgré les mesures imposées, il a progressivement infesté les vignobles du monde entier, à quelques exceptions près, notamment outre-Atlantique.
Viticulteurs et scientifiques étaient désemparés devant les désastres considérables. On a donc essayé, souvent de façon empirique, des traitements divers aux résultats plus ou moins heureux : badigeonnage des souches, traitement par le sulfure de carbone, par submersion et enfin plantation de vignes américaines. De cette dernière méthode est venue la solution finalement retenue : utiliser les plants américains comme porte-greffes et y souder les plants autochtones.
José Vouillamoz, généalogiste des cépages.
Cela dit, aujourd'hui subsistent encore en Europe quelques très rares et antiques plants qui n'ont jamais été décimés par le fameux parasite. José Vouillamoz, spécialiste incontesté des cépages et de leurs origines, se proposait, à l'occasion d'une soirée exceptionnelle, de nous en présenter le fruit, via une dégustation pas comme les autres.
Les vins ont été dégustés selon la chronologie suivante et par pair, à l'exception du dernier. En voici le détail.
Südtirol/Italie : Versoaln, Castel Katzenzungen/Tesimo 2010 : Cépage versoaln. Un test ADN a permis de déterminer qu’il ne peut se comparer à aucune autre variété connue dans le monde. Vin issu d’un pied unique d’environ 350 ans qui couvre 350 m2 en treille, et d’une autre petite vigne appartenant à un institut du vin. 500 bt./an, numérotées. Robe très pale, notes de citron frais et de poivre blanc, ensemble aromatique discret et retenu. La bouche est simple mais fraîche, tendue, nette, se prolongeant sur une impression saline titillante. Intéressant. On aimerait le voir cultivé classiquement, c’est à dire à bonne densité de plantation et petits rendements, pour en apprendre davantage. C'est en cours.
Le Castel Kantzenzungen
Autriche : Tabor Kremstal DAC Reserve, Meinhard Forstreiter 2006 : Cépage grüner veltliner. Vin issu d’une treille située près d'Eisenstadt, la plus vieille d’Autriche, elle a environ 150 ans. Il possède une couleur avancée, un nez légèrement champignonné et une bouche quelque peu lactique, tirant vers la mollesse. Il y a de la densité mais le nerf et la pureté n’y sont pas. Sans doute pas le meilleur millésime pour juger de la qualité de cette vigne. Dommage.
Touraine : VdP du Loir et Cher, Provignage, Domaine de la Charmoise 2009 : Cépage romorantin issu d’un croisement Pinot noir × Gouais Blanc. 0.36 ha, la vigne a environ 160 ans, elle a été rachetée par Henry Marionnet en 1998. Malgré la richesse de matière et maturité, le vin se déguste actuellement sur une réduction tenace. A revoir dans le temps.
Saar : Riesling, Altenberg Alte Reben, Van Volxem 2007 : Vignes de 80 à plus de 120 ans dont certaines franches de pieds et même préphylloxériques, sur un des plus beaux terroirs de la Saar. Nez explosif de fruits exotiques, ananas frais, pointe de thé matcha, évolution sur le miel. Bouche ample, vineuse et puissante, quasi sèche malgré la haute maturité perceptible du raisin. Il se prolonge longuement sur des amers "schisteux" évoquant la quinine et l'orange amère. Grande garde prévisible pour ce vin d’expression racée.
Les deux pinots qui suivent sont issus de très vieilles vignes mais non préphylloxeriques, exception de cette dégustation.
Côte chalonnaise : Mercurey, La Plante Chassey, Dominique Derain 2008 : Vigne de 60 à 100 ans, 70% pinot noir et 30% de pinot beurot (ie. gris). 0.9 ha en biodynamie. Sa couleur à peine appuyée, ses reflets orangés et son nez d'agrumes, de fleurs et de thé ne laissent pas de doute sur le style de vinification qui est celui de nombreux grands bourgognes, en raisins entiers. En bouche tout est infusé, le fruit, le tanin, l'acidité, le tout dans un ensemble dépouillé et savoureux. La vieille vigne a donné tout ce qu'elle a pu sous la main bienveillante d'un vigneron sans doute intègre. Bravo.
Côte chalonnaise : Mercurey, La Plante Chassey, Dominique Derain 2008 : Vigne de 60 à 100 ans, 70% pinot noir et 30% de pinot beurot (ie. gris). 0.9 ha en biodynamie. Sa couleur à peine appuyée, ses reflets orangés et son nez d'agrumes, de fleurs et de thé ne laissent pas de doute sur le style de vinification qui est celui de nombreux grands bourgognes, en raisins entiers. En bouche tout est infusé, le fruit, le tanin, l'acidité, le tout dans un ensemble dépouillé et savoureux. La vieille vigne a donné tout ce qu'elle a pu sous la main bienveillante d'un vigneron sans doute intègre. Bravo.
Côte de Nuits : Gevrey-Chambertin 1er Cru, Les Champeaux V.V., Moine-Champy 2005 : vigne de 110 ans, 0.1 ha reçu par la vigneronne en cadeau de mariage par sa grand-mère, 300-600 bt./an. La couleur est appuyée, le nez conjugue deux tendances aromatiques rédhibitoires, des notes de vieille futaille (poussière, lactique "sale") et un fruité cassissé bien trop appuyé et stéréotypé, inhérent à certains types de vinifications mal maitrisés. La bouche est dure, trop stricte, sans grâce, et finit sur le « vieux bois ». Une déception, qui plus est quand on connaît la valeur de ce grand terroir.
Touraine : Coteaux du Vendômois, Verre des poètes, Herredia 2008 : Cépage pineau d’aunis. Vigne plantée en 1870, vinifiée, élevée et mise en bouteille sans so2. Voilà un vin qui a divisé : certains le trouvant très accessible et à leur goût ; d'autres, dérangés par le côté "nature", usent de descriptions qui empruntent aux meilleurs bestiaires. Il affichait une turbidité importante autant due à son absence de filtration qu'à l'énergique carafage qui a permis de le dégazer. Le nez navigue entre composantes nobles (poivre noir, fleurs séchées, tabac brun) et moins nobles (morille, bouillon de légume). La bouche est complètement détendue dans sa trame par l'absence de so2, ce qui le déstructure un peu mais accroit son côté savoureux. Regoûté via une autre bouteille quelques jours plus tard, il était plus net. Vin étonnant.
Bordeaux : Côtes de Castillon, Vieilles Vignes, Clos Louie 2008 : Cépages cabernet franc et sauvignon, cot, merlot, carménère. Vigne plantée en foule, 0.85 ha, 145 ans, 4800 bt./an. Une expression aromatique pour le moment orientée sur l'élevage avec également des notes de fruits noirs et des accents réglissés. De demi-corps, élancé, droit, il affiche une étoffe apparemment limitée mais une certaine honnêteté dans la construction. Le boire avec un peu d'évolution sera intéressant.
Langhe : Dolcetto d'Alba, Boschi di Berri, Marcarini 2010 : Planté sur terrain sableux, 0.5 ha, vigne de 150 ans. Une bombe fruitée, aux notes de cerise éclatantes. Les tanins sont fins, nombreux et déjà bien liés. C'est un vin croquant, dynamique, de bonne vinosité et qui redore le blason de ce cépage sous-estimé. Un des meilleurs dolcetto du Piémont.
Sicile : Etna Rosso, Prephylloxera, Tenuta delle Terre Nere 2009 : Cépage nerello mascalese. 1 ha, vigne plantée en 1870, située sur Calderara Sottana et cultivée par le dénommé Don Peppino durant toute sa vie, aujourd’hui encore. La couleur ambrée et peu intense, typique du cépage, ne laisse pas présager la richesse du nez : notes d'oranges, musc, épices, goudron, iris, cerise à l'eau de vie, café. Qualité incroyable de la bouche qui allie à une très grande finesse une fermeté dans la trame et une race dans la saveur difficiles à surpasser. Finale balsamique mémorable. Un grand vin !
Rhône sud : Gigondas, Vieilles Vignes, Perrin 2007 : Sol sablonneux, 1 ha, vigne de 100 ans, 1000-1500 bt./an. Vin surprenant et ambivalent. Autant le nez un peu "fauve" peut surprendre et rebuter avec ses nuances de champignon et sauce barbecue, autant la finesse de tanin et le côté apaisé de la bouche séduit. Un Gigondas tactile, doux, rond.
Les caves des vignerons de Atauta dans la Ribera (province de Soria). C'est là notamment qu'on trouve encore des vignes préphylloxériques.
Espagne : Ribera del Duero, La Mala, Dominio de Atauta 2004 : Cépage tempranillo. Vallée encaissée, 900 m d’altitude. La vigne de “La Mala” a 160 ans. Difficile de saisir la race du terroir, cépage et matériel végétal avec ces notes torréfiées et toastées prégnantes. La bouche est évidemment énorme, concentrée, bâtie autour de tanins très nombreux et pour tout dire vigoureusement extraits (amertume de fin de bouche). Un vin très ambitieux. Trop ? Le temps le dira.
Paris Sigalas dans ses vignes de Santorin.
Ile de Santorin : Vin Santo, Santorini, Sigalas 2003 : Cépages assytriko et aidani. Vignes cultivées en corbeille, elles ont 60 à 250 ans. Raisins séchés sur paille pendant 2-3 semaines. Sol volcanique. Un vin "profusion" : notes de mélasse, de vinaigre balsamique, de raisin sec, de datte, d'abricot, et d'autres choses relevées par une acidité volatile présente. La saveur de caramel au beurre salé surprend puis séduit le dégustateur, l'acidité vive du cépage est aussi haute que le sucre, et l'ensemble ne s'empâte pas. Finale abricotée et sur le moka. Un vin qu'il faut boire pour lui seul.
21 Comments
Belle dégustation Nicolas, très éclectique et, a priori, riche en découverte ; pour amateur curieux sans aucun doute !
Si elles n’ont « que » 100 ans, les Vieilles Vignes de Perrin sont également post-phylloxériques. Mais si tu précises « sur sols sablonneux », est-ce que cela sous-entend qu’elles sont franches de pieds ?
Oui il me semble, c’est ce que José avait expliqué. Mais je vais lui demander des précisions.
Dégustation très intéressante en effet, animée par un "prof" de rêve !
Que voilà une dégustation rare ! Bravo pour ce travail de romain !
Une autre, toute aussi rare, sera relatée ces jours ci, François. A suivre !
Préphylloxérique François, pas la peine de remonter jusqu’à Rome.
Merci pour cette lecture fort intéressante..
Bu le Alte Reben 2010 chez Van Volxem il y a peu : un beau Riesling, long, svelte, sur des goûts de bergamote, cumin, cannelle, girofle.
Demain, j’ouvre un Piè Rupestris 2004 de Cappellano (Barolo Otin Fiorin).
Nous nous étions amusés à comparer les 2 versions (vs Piè Franco Michet), au domaine.
Epineux, la généalogie des cépages …
Un seul pied de vigne pour 500 bouteilles, ça nous fait un rendement de 3750 hl/ha (avec seulement 1000 pieds/ha) !!! Il y a bien quelques vignerons qui signeraient pour ça…
😀
Un article passionant sur l’invasion du phylloxéra :
http://www.inra.fr/internet/Hebe...
Lire jusqu’au bout !
J’ai écrit précisément : Vin issu d’un pied unique d’environ 350 ans qui couvre 350 m2 en treille, et d’une autre petite vigne appartenant à un institut du vin.
Mais ça fait un gros rendement, c’est sûr. Le Dr R. a fait la même remarque que toi !!
NicolasH,
Tu me rappelles un vin goûté il y a qq années (je reprends mes notes, issues du catalogue du vendeur) :
South Dakota (Etats-Unis) – Valiant Vineyards – The Wild Grape 1999 :
Vin élaboré à partir d’un seul pied de vigne sauvage et âgé de 400 ans, dont les lianes ont colonisé tout un bois : la Vitis Riparia. Cette vigne est naturellement résistante au phylloxera et est très utilisée comme porte-greffe. Le fameux SO4 est un croisement de vitis riparia et de vitis berlandieri.
Et à ton avis Laurent, est-ce que cela explique le généreuse productivité des clones greffés sur S04 ?
Merci Nicolas pour ton superbe CR et pour tes compléments d’information très avisés durant la soirée. Concernant la vigne du Gigondas Vieilles Vignes des Frères Perrin, elle est en effet post-phylloxérique de par sa date de plantation, mais plantée franche de pied, ‘à l’ancienne’, ayant subsisté jusqu’à ce jour grâce au sol sablonneux dans lequel le phylloxera ne peut pas accomplir son cycle sous-terrain.
Vivement une dégustation de vins (!!!)pré-phylloxériques [il doit me rester 2-3 caisses d’Yquem 1811, faut que je vérifie ;)]
Laurent, Nico,
Dixit JG Bret, Riparia est au contraire un porte-greffe très qualitatif (pour le chardonnay en tout cas) qui assure une bonne maîtrise naturelle des rendements. Il faudrait lui demander confirmation mais je crois me souvenir que JGuillaume m’a dit le reconnaître au rougissement de la greffe (jusqu’aux rafles) qu’il provoque et à son très fort taux de millerand.
On en retrouve un peu dans les très vieilles du Mâconnais et dans le Jura (Ganevat en à aussi il me semble).
Paul, Nico,
Je ne sais pas répondre sur le sujet.
José,
Penser aussi au Bollinger Vieilles Vignes Françaises et au baga pe franco de Luis Pato (Bairrada).
En beaujolais, les portes greffes les plus quali sont les vieux Riparia (Gloire) et les Viala, et ça ne date pas d’hier…
!
Riparia oui, mais quid du S04 ? En Bourgogne les plants sur S04 sont conduits en cordon de Royat pour limiter leur vigueur !
Merci José pour votre réponse.
Il me semble avoir lu un article sur Henri Jayer qui encensait aussi le Riparia comme excellent porte-greffe. Donc, si Mr Jayer l’a dit…
http://www.vignevin-sudouest.com...
(site que je fréquente régulièrement, très bien fait, publications intéressantes et accessibles sur l’oenologie et la viticulture)
Pour en revenir au phylloxera :
http://www.vignevin-sudouest.com...
Et pour approfondir, deux bons livres lus cet été sur le sujet, traitant notamment de "l’avant" et de "l’après" :
* Journal de voyage en Europe de Thomas Jefferson – Récit fait par Jefferson de ses voyages à travers la campagne et les régions viticoles du continent européen en 1787-1788, Jean Gamard, aux Editions Ferret.
Et
* Le Phylloxéra – Une guerre de trente ans (1870-1900), Gilbert Garrier, aux Éd. Albin Michel.
LaurentG : des ouvrages pour toi !
NicolasH,
Ok, je connais très mal ces thèmes.
A propos de le Freisa de Mascarello, il y a bien refermentation en bouteille, comme il se semble nous l’a confié Maria-Teresa.
José avait déjà réalisé une dégustation de vins de vignes pré-phylloxériques à Martigny voici deux ou trois ans. Une dégustation à laquelle je n’avais pu me rendre hélas.
Les vins de cette dégustation étaient-ils globalement les mêmes ou a-t il déniché de nouveaux trésors ?