L’histoire commence en février dernier lors de la vente aux enchères de la Percée du Vin Jaune à Conliège. Dans la salle chauffée à blanc les enchères fusent dans une atmosphère bon enfant. A la fin de la vente je me retrouve heureux allocataire de quelques trésors jurassiens, certains produits par des vignerons de légende, disparus depuis.
Avec qui les déguster ? Il y avait ce jour-là deux François dans la salle des ventes : François Rousset-Martin, le producteur de Nevy-sur-Seille et un autre François, fou des vins du Jura, ami de Louis (Lili) Florin de Voiteur. Nous étions au moins trois à adorer ça, les grands Jaunes, les vins singuliers et à pratiquer avec allégresse le culte du Château-Chalon, à aimer la vie au goût de jaune :
« Rien, dans l’univers fertile des crus et des climats, rien n’inspire, autant que le Château Chalon, le sentiment émerveillé du prodige et de la perfection. Que ce Salvagnin rebelle et fragile, accroché aux éboulis calcaireset aux pentes de marne bleue du Revermont.Tour à tour brûlé de soleil et de gel, durement vendangé au treuil et parfois sous la neige, que de ce cépage unique, dont le jus n’aura cure, à nul moment, au plus obscur des caves, des prescrits orthodoxes de l’œnologie, naisse, on ne saura jamais comment, ce vin si puissant qu’autour de lui, tous les autres faiblissent ou s’annulent, voilà bien qui fait s’exclamer l’amateur : Décidément, la vie mérite d’être vécue, puisqu’elle a quelquefois le goût de jaune ! »
Jean-Claude Pirotte, Les Contes bleus du vin
Comme chacun de nous était plusieurs, ça faisait déjà pas mal de monde. Nous avions prévu une première soirée le 18 novembre dans le cadre de notre Ecole du Vin. Vu le nombre des impétrants, il a fallu la dédoubler et se mettre sérieusement au piano pour concocter deux plats qui tiennent la route face à ces monstres sacrés.
Une entrée entre lac et Jura, pour illustrer la capacité de ces vins à la fusion. Et un classique revisité, un petit pâté chaud dont je vous livre plus bas la recette.
Le menu des deux soirées
Féra fumée à froid de Liechti, radis noir, betterave, pomme,
sésame noir et tsukudani de kombu
Petit pâté chaud au Vin Jaune, topinambours et truffe de Bourgogne
Les fromages : « faux » Comté (issu de vaches Villars-de-Lans) et vrai Morbier de la Ferme de Laisia près de St-Claude
Les vins des deux soirées.
C’est assez rare pour être souligné : aucune bouteille couleuse, aucun problème de liège, des niveaux parfaits. La plupart de ces bouteilles n’avaient sans doute jamais quitté leur cave d’origine.
Une vidéo de présentation des vins dégustés lors de ces deux soirées :
VdF Savagnin « Clos de Trus » 2011, François Rousset-Martin
Terroir très pentu sur Château-Chalon, sur la droite de Sous Roche, vieille vigne de plus de 80 ans. Vin ouillé. Ce terroir est nommé ainsi en honneur des trois frères (trus) Clavelin qui ont donné leur nom à la bouteille emblématique.
VdF Savagnin Vigne aux Dames 2011, François Rousset-Martin
C’est un autre des terroirs très connus de Château-Chalon, qui a fait la réputation de Marius Perron. C’est un très beau terroir, sûrement plus en finesse que Sous Roche qui, selon François Rousset, se prête particulièrement bien au ouillage.
L’Etoile 1990, Paul Comte
Vin d’une grande fraîcheur et d’une tenue remarquable.
L’Etoile 1959, Paul Comte
Terroir d’une grande finesse, surtout connu pour son chardonnay. Notes racinaires, gentiane, avec un léger côté végétal. Manque un peu d’éclat. Pas tout à fait au niveau du précédent.
Côtes du Jura 1964, Marcel Blanchard
Quelle belle découverte ! Un vin tonique, complexe, à la robe légèrement ambrée, au corps dense, enjoué, d’une remarquable continuité.
Côte du Jura « Clos Bacchus », 1966 Pierre Richerateaux
Un des plus grands vins de la dégustation avec une finale somptueuse, complexe ! Un vin de grand terroir, situé sur Menétru-le-Vignoble (Château-Chalon), plein sud.
Vin Jaune l’Etoile 1990, Château de l’Etoile
Côte du Jura Vin Jaune 1979, Hubert Clavelin
Plus un vin de texture qu’un vin de nez, souple et parfaitement prêt à boire.
Côtes du Jura Vin Jaune 1979, Christian Pêcheur
C’est un vin assez immédiat, tout en rondeur et en opulence, avec presque une impression de sucrosité en fin de bouche.
Arbois rouge 1976, Camille Loye
Merveilleux vin, d’une grande finesse, aux arômes réglissés très nobles.
Arbois rouge « Cuvée des Géologues » 1976, Lucien Aviet
Encore assez jeune, fringant avec des notes de kirsch. L’illustration de l’aptitude au vieillissement du Trousseau.
Meursault Genevrières 1998, Hospices de Beaune
Un vin pirate amené par François Rousset. Belle matière mais un peu serré en finale dans sa gangue boisée. Il n’a piégé personne.
Château-Chalon 1979, Lili Florin (bouteille généreusement offerte par un convive)
Notes iodées, coquille d’huître, ciselé, magique.
Les vignes se trouvent sur Menétru-le-Vignoble, sur les Beaumonts du bas et elles appartiennent aujourd’hui à son neveu Michel Pichet. Lili Florin était à l’époque le fournisseur officiel en Chalon du Général de Gaulle.
Château-Chalon 1985, Jean Macle
Goûté lors de chaque soirée. Un modèle de Château-Chalon, fin, nuancé et complexe !
Château-Chalon 1966, Bouvret P&F – Cave des Echansons
Château-Chalon 1962, Bouvret P&F – Cave des Echansons
Notes aromatiques extravagantes de grand Château-Chalon arrivé à maturité. Il offre un supplément de finesse par rapport au 1966, mais les deux sont très réussis.
Château Chalon 1990, Domaine Rousset-Martin
C’est le premier Château-Chalon vinifié par le père de François Rousset. Très vif, tendu comme un arc, un vin de cognée et d’ouverture. Très long.
Château Chalon 1991, Domaine Rousset-Martin
Millésime aux rendements dérisoires. La vigne d’où provient ce vin est situées sur Sous Roche, à mi-coteau, sur u terroir plus incurvé et le gel a moins fait de dégâts ici qu’ailleurs. La maturité n’est pas solaire mais liée au faible rendement. Très beau Château-Chalon, parfaitement accompli.
Château Chalon 1959, Domaine Rousset-Martin
Robe colorée, très chemisée. On a presque l’impression d’un vin tanique (le tanisage était une pratique existante à l’époque). Belle complexité après carafage. Une journée d’ouverture lui fait du bien, comme le précise François Rousset.
Château Chalon 1945, Domaine Rousset-Martin
Une merveille et une grande émotion face à ce vin vinifié par l’arrière grand-père de François Rousset !
Château Chalon 1953, André Perrin
Une grande découverte ! André Perrin était forgeron à Voiteur et connu dans la région comme un très bon vigneron. La bouteille ne porte pas d’étiquette d’origine et porte un paraphe de la fille d’André Perrin certifiant l’authenticité de ce vin. Il provient vraisemblablement, selon François Rousset, d’une vigne située juste Sous Roche.
La recette (pas de photo hélas, car dans le coup de feu, personne n’a songé à prendre des photos du plat !)
Petit pâté chaud au Vin Jaune
• Ingrédients pour 4 personnes
600g d’épaule de veau coupée en gros dés
Marinade : 3 dl de Vin jaune. Un Côtes du Jura de Jean Macle fonctionne également très bien mais, dans ce cas, prévoir 5 dl.
600 g de flanchet de veau
1 gousse d’ail, quelques branches de thym, 1 feuille de laurier
1 petit pain au lait
20 g de beurre
1 oignon haché
1 botte de livèche
1 céleri rave
1 sachet morilles séchées
Une dizaine de cerneaux de noix
1 œuf
3 cc de Curry corsaire d’Olivier Roellinge
Sel, poivre du moulin
500 g de pâte feuilletée
1 jaune d’œuf pour dorer
A. Préparation de la sauce
Porter à légère ébullition un bouillon de légumes avec carottes, poireaux, panais, oignons et 600 g de flanchet de veau (poitrine) que vous pourrez récupérer pour préparer le lendemain un Parmentier de veau. Cuisson douce durant 3.30 environ. Ecumer souvent.
B. Préparation de la farce
Laisser mariner la viande une nuit au frigo dans un récipient filmé avec le vin, le thym, le laurier et une dizaine de feuilles de livèche.
Tremper les morilles dans de l’eau tiède.
Tremper le petit pain dans du lait. Egouttez-le et hachez-le.
Hacher les noix.
Sortir la viande du frigo, ajoutez une dizaine de feuilles fraîches de livèche, mixer brièvement. Salez et poivrez. Ajoutez les épices, l’œuf et le petit pain, les morilles (garder l’eau des morilles) et les noix hachées.
Faire suer l’oignon et l’ail haché.
Ajouter la viande et laissez revenir doucement pendant une dizaine de minutes jusqu’à absorption totale de la marinade. Ajouter le vin de la marinade ainsi que de fins copeaux de céleri passés à la mandoline.
Récupérer le bouillon de cuisson du flanchet. Le passer au chinois. Le réduire à feu moyen en y ajoutant encore 2 dl de vin du Jura ainsi que l’eau des morilles.
C. Montage des pâtés
Etendre la pâte feuilletée très finement en 4 X 2 abaisses (fond et couvercle) d’environ 12 cm de diamètre.
Préchauffer le four à 180˚C.
Répartir vos 4 abaisses sur une tôle à pâtisserie recouverte de papier sulfurisé.
Garnir avec la farce, rabattre un peu la pâte et l’humecter avec un pinceau. Recouvrir avec la deuxième abaisse en pressant bien les bords pour bien souder les deux pâtes.
Pratiquer une ouverture au centre (cheminée) pour laisser la vapeur s’évacuer.
Dorer avec le jaune d’œuf. Décorer le dessus, cuire au four durant 30 à 45 minutes.
Servir tiède avec des topinambours poêlés au beurre et la sauce au Vin Jaune réduite.
Recette librement inspirée d’une recette de Stéphane Decotterd, le Pont de Brent.
Merci à François Rousset-Martin pour sa présence et sa contribution à la réussite de ces deux soirées. Merci à l’autre François pour l’exquis Château-Chalon de Lili Florin et merci au hasard qui nous a réunis le 2 février 2014 !
2 Comments
Cher Monsieur,
Merci à vous pour ce bel article et cette référence à Jean-Claude Pirotte, lui qui voyait dans le vin jaune « le goût de l’immortalité qui habite les choses au cœur du jardin d’Éden » (Les contes bleus du Vin), et dont nous avons hélas perdu les feux en cette année 2014…
Je me permets de vous laisser l’adresse de mon blog https://disvinblog.wordpress.com/ , où il est (très modestement) question du vin sous une approche plutôt littéraire. Comme le disait si justement Jean-Claude Pirotte, « écrire c’est partir en quête d’un vin qui n’existe pas »…
Sincères salutations,
Jean-Noël RIEFFEL
Il y a les contes bleus du vin (qu’on peut encore trouver) et la veine bleue de chez Rousset-martin(absolument introuvable au fond du finistère!!)
Bonjour Mr Perrin !
Merci pour votre blog!!
Pourriez vous me dire comment peut faire un vieux veto breton aficionado du savagnin pour trouver des flacons
de chez Rousset Martin? j’ai la chance d’avoir gardé une petite allocation de chez Macle mais là….Nada!!!
Merci de consacrer quelques minutes pour me répondre!
Cordialement
thierry doré clinique vétérinaire des hortensias 29290 saint renan