Originaire d’Espagne comme le célèbre grenache, le mourvèdre cultive en France un drôle de paradoxe : bien représenté dans le midi et connu de nombre d’œnophiles, il est pourtant assez peu dégusté pour lui-même. En effet, à l’exception de l’AOC Bandol, il entre souvent en tant que cépage d’assemblage dans les cuvées et donc rarement de manière majoritaire. Il est même parfois relégué au rang de variété complémentaire dans certaines AOC méridionales, ce qui diminue d’autant plus sa représentativité. Si l’on ajoute à cela ses contraintes culturales, on comprend qu’il est rare que les vignerons lui consacrent une cuvée. On en trouve cependant quelques-unes le mettant à l’honneur de belle manière.
Château Pibarnon, La Cadière-d’Azur, Bandol
L’objet de la dégustation organisée récemment au CAVE était donc de mettre en opposition ces rares vins face aux meilleurs Bandol, afin de mieux appréhender les expressions diverses du cépage. Mais également de distinguer si le caractère du mourvèdre bandolais pouvait être reconnu à l’aveugle. Les crus ont été dégustés par séries de millésimes.
Bandol 2001, Domaine Tempier « Tourtine – Cuvée Spéciale »
80% mourvèdre, grenache, cinsault. Egrappage total et élevage en foudres de chêne pendant 18 à 20 mois.
Beau nez épicé, tabacé, poivré, avec une élégance aromatique inhabituelle pour la Tourtine. Le vin présente un superbe volume de bouche, une texture charnelle et en même temps un côté sauvage. L’alcool apparait à l’aération et les tanins s’affirment. Allonge droite, avec une impression « calcaire ». Très beau vin de caractère, qui commence à s’apaiser.
Bandol 2001, Château Pibarnon
90 à 95% de mourvèdre. Sol du trias argilo-calcaire. Vinification en partie non égrappée. Elevage en grands foudres.
Premier nez lactique et « rond », un peu caramélisé, chaud, moins « Mourvèdre » que le précédent. Attaque un peu décadente, tanins souples, poudrés, très fins, mais moins de noblesse de saveur en finale que le Tempier. Déjà goûté plusieurs fois, je le reconnais difficilement. Bouchage imparfait sur cette bouteille un peu trop évoluée pour son âge ?
Pic Saint Loup 2001, Château de Cazeneuve « Sang du Calvaire »
98% de mourvèdre. Sols d’éboulis d’éclats calcaires. Vendange égrappée et élevage en barriques dont la moitié neuves.
Grand nez mentholé rehaussé de notes de curry chaudes, ensemble sexy, vrai charme aromatique. Texture plus travaillée que les vins précédents, impression de largeur, avec une amertume noble assez marquée en finale. La texture est magnifique et le vin excellent à boire aujourd’hui, dans le grand style du domaine à son meilleur !
Mas Bruguière, Pic Saint-Loup
Pic Saint Loup 2007, Mas Bruguière « Le Septième »
98% mourvèdre. Sols d’éboulis calcaire profonds. Vendange égrappée et élevage de 24 mois en barriques/demi-muids.
Trouble dans la robe, il offre un fruit évanescent, des nuances de bois, de figue. Attaque fine et paraissant peu vineuse, saveur légèrement toastée, puis la bouche s’ouvre sur un corps assez large mais peu volumineux. Style en finesse plus qu’en puissance. Une belle cuvée, qui continue de progresser d’année en année.
Pic Saint Loup 2007, Château de Cazeneuve « Sang du Calvaire »
Nez un peu réducteur avec un boisé en avant sans être caricatural, il est encore peu diversifié à ce stade. La bouche est à l’avenant, avec un style un peu oriental, luxueux dans l’élevage, mais pas encore fondu. Moins rayonnant que dans sa jeunesse, il traverse peut-être une phase boudeuse. Ceci-dit la matière et le fond de vin sont sérieux. Attendre.
Bandol 2007, Château Jean-Pierre Gaussen « Longue Garde »
99% de mourvèdre. Sol argilo-calcaire. Egrappage total. Elevage de 18 mois en foudres de chêne.
Le nez qui dénote le plus dans la série, avec des nuances d’eucalyptus, de fruits rouges et d’abricot, tabac : voilà de la race et de la fraîcheur. En bouche le vin est assez droit et strict, offrant une belle expression du cépage sur le terroir de Bandol. L’allonge sur des notes de garrigue est superbe. Il exprime la vraie originalité de l’appellation. C’est très bon !
Jumilla 2008, Casa Castillo « Pie Franco »
100% Monastrell. Vieilles Vignes de 70 ans environ. Egrappage total. Elevage de 22 mois en barriques de chêne français.
Robe assez claire et légère. Accents métalliques tirant sur la gentiane, le quinquina, qui rappellent le végétal du cépage. Bouche de demi-corps sur l’attaque, enrobée d’un élevage fumé un peu visible sans être caricatural ni sec. On change de style par rapport aux autres : l’allonge semble indiquer une maturité très fraîche, proche du variétal.
Château Pibarnon, Bandol
Bandol 2008, Château Vannières
Mourvèdre à 95% assemblé avec du grenache. Macération de 30 jours. Elevage en foudres et barriques durant 22 mois.
Boisé un peu envahissant tirant sur le lard avec un fond de tabac à l’aération. La bouche est moins imposante que le nez, avec un élevage perceptible dont l’amertume et l’astringence écrasent un peu le vin. Comment vieillira-t-il ?
Vin de Table 2008, Domaine Sarda Mallet « L’intransigeant »
100% Mourvèdre. Terroir de Günz, galets calcaires et marnes. Elevage de 12 mois en fûts non neufs.
Chocolaté, solaire, légèrement caramélisé avec un boisé un peu ostentatoire sans être envahissant. Bouche à l’avenant, avec un élevage « bordelais » bien mené. Mais l’originalité du cépage semble gommée et la finale n’offre pas une grande personnalité. Vin sans défaut mais sans émotion. Le cépage est-il vraiment adapté à une région aussi chaude ?
Nicolas Bon
Bandol 2009, Château Pibarnon
Nez frais avec du cassis mais également des notes de petits fruits rouges, de menthe. Bouche tendre, fine, très gourmande, salivante, à la saveur légèrement cassissée là encore, mais le raffinement et le toucher sont magnifiques. Vin juteux, séveux, avec un tanin civilisé inimitable et que l’on trouve rarement dans l’appellation.
Faugères 2009, Domaine Barral « Valinière »
80% mourvèdre assemblé à de la syrah. Sols de schistes. Vendange en partie égrappée. Long élevage de 30 à 36 mois.
Acescence qui renforce un côté animal prégnant. La présence de brettanomyces semble avérée avec une note de gueuze et d’encre caractéristique. Les tanins sont par contre très savoureux sur l’attaque, avec un corps charnu, mais la saveur phénolée gâche la pureté du vin en finale. Dommage !
Mas Bruguière, vigne de mourvèdre, sur fond de la falaise de l’Hortus
Languedoc Terrasses du Larzac 2009, Mas des Brousses « Mataro »
90% mourvèdre assemblé du grenache. Terroir argilo-gravelo-calcaire. Elevage de 18 mois en barriques.
Nez quasi pinotant, sur la griotte, le kirsch, avec une nuance d’arbouse et de crème de mûre délicieuse. La bouche est du même acabit, en finesse, délicate, même si le fort caractère du cépage semble un peu attendri. Très joli vin, à part.
Côtes-du-Rhône 2010, Mas de Libian « La Calade »
90% mourvèdre assemblé avec du grenache. Terroir de galets roulés. Eraflage. Elevage en demi-muids et en cuve.
Nuances métalliques, présence herbacée, mais pas en bouche où l’on trouve une forme de sucrosité, une haute maturité. Il s’allonge bien, moins chaud que ce que l’on pourrait imaginer, avec un peu de végétal en finale. Attendre.
Costières-de-Nîmes 2010, Château d’Or et de Gueule « La Bolida »
Vieux mourvèdre de 90 ans et grenache. Vendange éraflée. Élevage en barriques puis en cuve tronconique.
Notes de pomme blette, avec un fond épicé que l’on retrouve en bouche. Boisé toasté en avant, qui sèche et durcit la finale. Vin peut-être desservi par un mauvais bouchage sur cette bouteille à la limite de l’évent. A regoûter.
Bandol 2010, Château la Bégude
90% mourvèdre assemblé avec du grenache. Vendange éraflée. Elevage de 18 mois en demi-muids puis barriques.
Nez très fin sublimé par un élevage sophistiqué, nuances poivrées, mentholées. Attaque en dentelle, fraîcheur très « Bandol », sensation de nervosité accrue par un tanin ferme et un boisé de qualité. C’est une très belle découverte.
Compte-rendu écrit en collaboration avec Nicolas Bon, que je remercie vivement d’ avoir animé ce cours complet, qui a permis de démontrer que le mourvèdre était un cépage beaucoup plastique que ce que l’on pouvait imaginer !
2 Comments
Pibarnon 2000 bu le we dernier : attendre
Le 90 est superbe aujourd’hui
longue vie à ce nouvel environnement.
En attendant de boire ces vins, j’ai bu vos mots…et je suis ivre..