Rien de grand ne s’accomplit sans la durée, dans ce monde – celui du vin – comme dans les autres sans doute. Rares sont pourtant les domaines bourguignons qui peuvent se prévaloir d’être restés durant deux siècles au sein de la même famille. Parmi eux, le château de Vosne-Romanée propriété de la famille Liger-Belair dont Louis-Michel et Constance représentent la septième génération.
A l’origine de ce fleuron de la Bourgogne, une femme, Claire-Cécile Basire, qui en 1815 épouse en secondes noces le général et comte Louis Liger-Belair. Après la révolution, la famille de cette dernière a acquis un domaine important de la région dans l’escarcelle duquel on trouve quelques-uns des plus prestigieux climats de Vosne : Godichots, Grande Rue, aux Suchots, aux Beaumonts, au Clos Saint-Denis (Echezeaux) et ce qui va devenir le fleuron du domaine, aux Echanges (ouvrée initiale de la Romanée). La mosaïque des crus bourguignons est complexe, les aléas de l’histoire tout autant. La Romanée, plus petite appellation de France et monopole de la famille Liger-Belair, est le fruit d’un remembrement parcellaire. En effet, peu avant la vente de la future Romanée-Conti en 1760 par la famille Croonembourg à Louis-François de Bourbon, prince de Conti, il est fait mention de 6 parcelles contiguës « à considérer à l’évidence comme solidaires » comme l’écrit Jean-François Bazin dans Les comtes Liger-Belair, deux siècles au service de la Romanée. Le comte Louis Liger-Belair et son fils adoptif, Louis-Charles Bocquillon, vont œuvrer pour réunir les pièces du puzzle et à « recoudre ensemble » les six parcelles. En 1827, la Romanée actuelle est inscrite au cadastre avec 84 a 52 ca.
C’est autour de ce joyau, « La Romanée, notre aimée », que la célébration du 200ème anniversaire du château de Vosne-Romanée s’est cristallisée. A travers une dégustation exceptionnelle tout d’abord. Deux dégustations horizontale des millésimes récents 2013 et 2012 ont précédé cinq verticales : Vosne-Romanée Clos du Château (2013-2000) ; Vosne-Romanée 1er Cru Aux Brûlées (2013-2006) ; Echezeaux (2013-2016) ; Vosne-Romanée 1er Cru Aux Reignots (2013-2002) et, enfin, La Romanée (2013-2002) ! Au total 72 vins présentés : ils nous ont permis de prendre la mesure du travail remarquable accompli ici par Louis-Michel Liger-Belair et son équipe depuis 2000. Les vins n’ont cessé de progresser et de gagner en finesse et en profondeur. Depuis 2008, le domaine est certifié en biodynamie.
Quelques coups de cœur dans une qualité d’ensemble remarquable :
Millésime 2013 : très grande réussite du domaine dans ce millésime. Il faudrait citer tous les vins. J’en garderai trois :
Vosne-Romanée 1er Cru Les Chaumes 2013 : grand nez sur les fruits noirs où le réglissé apparaît. Corps savoureux, continu, avec beaucoup d’allant et finale persistance, d’une très grande fraîcheur.
Vosne-Romanée 1er Cru Les Suchots 2013 : grande profondeur aromatique C’est raffiné, complexe. Corps suave, caressant, sphérique avec un beau développement et une finale profonde.
NSG 1er cru 2013 Aux Cras : superbe nez, sur la ronce, la suie, le fumé. Corps dense, énergique. Très belle trame, millimétrique. Le tanin est savoureux et le vin dégage une grande énergie.
En 2012, les grandes réussites sont également au rendez-vous. Je retiens tout particulièrement :
Vosne-Romanée 2012 la Colombière : s’il ne s’exprime pas encore complètement au nez, il se distingue par un corps sphérique irrésistible. C’est une gourmandise à la texture caressante et à la finale déliée et racée.
Vosne-Romanée 1er Cru Les Chaumes 2012 : à elle seule, la robe est une merveille. Nez expressif et raffiné, sur les baies des bois et le floral. Merveilleux toucher de bouche, caressant, avec une belle fraîcheur finale et un tanin parfaitement extrait.
Vosne-Romanée 1er Cru Les Petits Monts 2012 : magnifiquement situé, à mi-coteau, entre Cros Parentoux et les Reignots, ce climat donne ici toute sa mesure avec ce superbe vin d’une grande complexité qui finit sur la mûre et les fruits noirs.
VERTICALE de Vosne-Romanée Clos du Château
Cette parcelle de 83 a 04 ca est un monopole et un vrai clos ceint de murs, à proximité, comme son nom l’indique, du château de Vosne-Romanée. Le terroir y est différent de celui de la Colombière contiguë. Plus pierreux et plus calcaire et donne un vin de caractère qui vieillit admirablement, comme en témoigne les 2000, 2001 et 2002 qui, chacun dans son style, se distinguent par leur vinosité et leur rigueur que dissimule une texture très « Vosne ». J’ai beaucoup aimé également le 2010 à l’assise tanique remarquable et qui se distingue par sa grande finale et le 2013 pour son équilibre, son corps satiné avec un tanin très raffiné, juste infusé. Le 2005, dans un style plus extrait, plus énergique, est encore en devenir, mais donnera un grand vin !
VERTICALE de Vosne-Romanée 1er Cru Aux Brûlées
Situé à l’est des Richebourgs et au-dessus des Suchots, c’est le climat le plus rare du domaine. Encore plus rare que la Romanée puisque la parcelle couvre une surface de 0.1157 ha et, bon an mal an, produit une pièce, soit 300 bouteilles. En fait, ce vin est mis en magnums, en jéroboam et réhoboam. Les magnums, c’est du pmg, et les autres contenants sont destinés à des ventes de charité. Donc, ce vin n’existe pas. Dommage car la qualité d’ensemble est impressionnante. Parmi lesquels se distinguent tout particulièrement à mon goût les 2007 (extraordinaire floral), 2009, 2010 (magique !), 2012 et le fuselé 2013 !
VERTICALE d’Echezeaux Grand Cru
Le domaine Liger-Belair possède 0.6157 ha sur ce cru (Cruots, Champs Traversins, Clos Saint Denis. La conjonction des trois lieux dits et l’âge élevé des vignes (plus de 60 ans) expliquent la race implacable et la finesse de ces vins. Dans les milllésimes les plus récents, le 2013 et le 2012 sont époustouflants. Il faut y ajouter bien sûr le 2010.
VERTICALE de Vosne-Romanée 1er Cru Reignots
Il suffit de se promener dans le vignoble pour comprendre la grandeur de ce climat et l’énergie minérale qui se dégage du lieu. Une faille sépare les Reignots de la Romanée et le sens de plantation. La parcelle du domaine Liger-Belair couvre une surface de 0.7319 ha et, du nord au sud, englobe tous les « étages géologiques » du cru. Celui-ci se caractérise par une couche de terre très mince (20 à 25 cm) reposant directement sur la dalle de calcaire. Les vins qui en sont issus y acquièrent ce style unique, épicé et réglissé, tonique, minéral. C’est un des autres fleurons magiques du domaine. Hormis peut-être les 2003 et 2004 légèrement en retrait, tous les millésimes dégustés m’ont épaté par leur tenue, leur profondeur et cette touche de magique qui est la signature des plus grands terroirs. Le 2002 est une bouteille remarquable à déguster aujourd’hui. Le 2005 est profond et énergique. Dans des styles différents les 2009, 2010, 2011 et 2013 expriment à merveille le terroir et font partie des grands vins d’émotion pure !
VERTICALE de La Romanée Grand Cru et Monopole
Une verticale de la Romanée, c’est comme le Graal : un rarissime privilège ! On est heureux de le découvrir une fois dans sa vie… 3 à 4000 bouteilles par an sont produites chaque année sur ce cru qui doit beaucoup au chanoine Just Liger-Belair qui a réussi à garder ce joyau dans le giron familial au moment où – la crise des années trente advenue – l’intégralité du domaine Liger-Belair était mis en vente aux enchères le 31 août 1933. L’homme de Dieu décrivait ainsi la Romanée : « une grande dame qui ne se donne jamais tout entière ». La vigne est alors mise en métayage auprès de la famille Forey qui cultivait la vigne et produisait le vin. Jusqu’à sa reprise par le domaine du Comte Liger-Belair en 2002, la Romanée a été diffusée par plusieurs maisons : Leroy (jusqu’au début des années soixante, Bichot jusqu’en 1972, puis Bouchard Père et Fils qui, de 1976 à 2001, en a assurée la mise en bouteille et la commercialisation. D’une pente plus marquée (12 %) que sur la Romanée-Conti et dotée d’un sol d’une texture moins argileuse, la Romanée repose sur deux types de calcaires, celui de Premeaux à l’ouest et un calcaire plus délité côté levant. L’âge des vignes y est remarquable (50 % des pieds ont plus de 60 ans et une ouvrée est âgée de plus d’un siècle).
La dégustation de la Romanée
La Romanée 2013
Très beau floral avec un côté élégant de fruits frais et de violette. Grande plénitude de chair. La bouche est superbe, dotée d’une grande texture avec une grande finale dynamique et fuselée.
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La Romanée 2012
Encore sur la retenue, au nez comme au palais. Corps dense, d’une superbe richesse de constitution, au développement continu et à la finale complexe qui se révèlera davantage avec le temps.
Finale complexe. Il est un peu moins stylé que le 2013 mais phénoménal par sa richesse de constitution et pour son potentiel.
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La Romanée 2011
Nez très frais, incisif, floral. Bouche élégante, élancée, dynamique, avec une note végétale très noble et une finale très pure. ****
La Romanée 2010
Sa robe est merveilleuse. Nez complexe, avec des notions de fruits frais, de baies, de violette et d’épices. Corps ample, avec un côté majestueux dans la texture. Superbe finale, profonde, mystérieuse, au tanin sublime de raffinement. Un chef-d’œuvre !
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La Romanée 2009
Nez plus solaire, épanoui, sur les épices, les fruits mûrs. Corps charnu, tanin savoureux, réglissé et très beau retour en bouche sur la finale.
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La Romanée 2008
Grande finesse dans l’expression aromatique. La bouche est précise, d’uen vivacité radieuse, moins charnue que les millésimes précédents, mais avec une très belle mise en évidence du cru. Grande réussite pour le millésime !
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La Romanée 2007
On peut déjà l’approcher avec beaucoup de bonheur. Notes d’épices et de fruits mûrs avec un caractère généreux et expansif. Le corps est sphérique, sensuel, doté d’une très jolie trame.
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La Romanée 2006
Elle a gardé une fraîcheur étonnante pour le millésime et commence à révéler avec intensité la dimension de son terroir. A la fois très suave et frais, il se goûte superbement. C’est d’ailleurs le millésime qui a été choisi en apothéose du dîner préparé par Pascal Barbot (voir ci-dessous).
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La Romanée 2005
Robe profonde, encore jeune. Nez très raffiné avec une empreinte boisée encore perceptible. Le corps est magnifique, dans un style plutôt vigoureux, plus sur le côté dague que fourreau. Grand vin dense et séveux qu’il faut attendre encore.
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La Romanée 2004
Tout en nuances et en fraîcheur, il se présente élancé, tonique, marqué par des notes de fruits rouges et un végétal noble.
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La Romanée 2003
Belle robe. Le nez est complexe, pas trop marqué par le côté solaire. Corps articulé sur une texture très suave, caressante, qui évolue en douceur avec un crescendo final qui transcende le côté généreux du millésime et finit sur une dimension de fraîcheur.
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La Romanée 2002
Nez de grande race, sur les fleurs séchées, les épices, les fruits macérés. Corps ample, savoureux. Le tanin est vigoureux et l’ensemble ne manque pas de race.
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Il faudrait parler aussi du concert qui a précédé le repas donné par un quatuor de musiciens habités par la grâce. Parmi lesquels Nicolas Dautricourt et son Stradivarius et un merveilleux guitariste, Jean-Marie Ecay, qui tourne souvent avec Billy Cobham
Un concert magique, placé sous le signe du duende, de l’inspiration sans frontières.
Et enfin ce repas de gala enfin dans la belle orangeraie ! Concocté par l’un des chefs les plus originaux et les plus discrets de la planète, Pascal Barbot, qui a pris des risques certains en sortant des ses murs de la rue Beethoven pour venir faire le bonheur d’une centaine de convives : trois fois plus que ce dont il a l’habitude dans son Astrance de la rue Beethoven à Paris ! Avec lui, son complice de toujours, le chorégraphe des plaisirs, qui voit tout, qui prévient tout, silencieux, concentré, Christophe Rohat, maître des plaisirs. Et Alexandre Jean, sommelier funambule et savant. Le repas fut un incroyable tour de force au service des grands vins du domaine ! Des accords limpides, ciselés, avec un zeste d’audace. Une succession d’instants inoubliables. De la transe, quoi !
Le menu du bicentenaire et les vins
Champagne Salon 2002
Foie gras mi-cuit, champignons de Paris et pomme verte
NSG 1er Cru Clos des Grandes Vignes blanc 2012
Poisson du Léman « cru-chaud », consommé de fenouil, gelée d’anis vert
Vosne-Romanée Clos du Château 2008 Monopole
Œuf meurette « Astrance », lies du château, pâte d’oignon, speck
Vosne-Romanée 1er Cru Aux Reignots 2007 en jéroboam
Agneau de lait, betterave rouge et framboise/capucine
Echezeaux Grand Cru 2006
Canard rôti aux baies de genièvre, cerises farcies dattes/origan
La Romanée Grand Cru 2006
Fromage de Bourgogne, rose/hibiscus
Scharzhofgerger Riesling Auslese 1997 Egon Muller
Tartelette rhubarbe /sureau /fleur d’acacia
Lait de poule au jasmin
PS : les informations figurant dans cet article sont tirées du livre Les Comtes Liger-Belair, deux siècles au service de la Romanée, 1815-2015, récemment paru et édité par la famille Liger-Belair, que je remercie très chaleureusement pour ces instants d’exception !
2 Comments
Si ça, ce n’est pas un beau rapport – je sais, j’y étais – j’en mange mon chapeau !
Bravo Grand Jacques pour ces photos (mais là, tu aurais pu couper le gros) et ces notes de dégustations particulièrement pointues. Un sommet !
Lucky few …
Beaucoup aimé sur place, en , La Romanée sur 2008 et 2007 (Echezeaux 2007 et 2008 sont aussi de grands vins).
Superbe Reignots 2008.