Très tôt ce matin, je quitte mon refuge pour rejoindre Palmer dans le crachin médocain. Je traverse le parc de Cantemerle « Roulez au pas, svp ! ». On doit ce parc dans sa forme actuelle au botaniste Louis-Bernard Fischer qui, au XIXe siècle, a également dessiné celui de Filhot et des Carmes Haut-Brion. Avec ses arbres séculaires, ses essences rares, ce lieu est véritablement magique et je ne cultive qu’un regret, immense, n’avoir su trouver le temps de parcourir en long et en large cet endroit magique qui s’étend sur 28 hectares aux portes de Bordeaux. J’eusse aimé vagabonder à travers ces allées rigoureuses qui traversent une garenne, traverser la résille des ruisseaux qui le parcourent sur de petits ponts incurvés qui donnent l’impression d’être au Japon.
Au Château Margaux, on est toujours dans les grands travaux et le local où Paul Pontallier accueille les journalistes offre le charme d’une précarité bien étudiée. Le vin est élégant, racé, fuselé comme je l’aime et le discours de M. Pontallier, parfaitement rodé et lissé ; sa gestuelle également, très étudiée, la main gauche négligemment ancrée dans la poche du veston, la droite, façon vitarka comme dans les représentations de bouddha, le pied gauche déporté à droite, posé sur la pointe, tel un danseur se préparant à exécuter un entrechat. Classieux!
La dégustation des Listrac-Moulis et Margaux a lieu dans des conditions parfaites au Château Fourcas-Hosten où nous sommes accueillis par les propriétaires, les frères Mommeja, héritiers du fondateur de la maison Hermès. Le temps est immuablement gris, voilé, moiré. Dans la cour, le photographe suisse Hans-Peter Siffert fait les cent pas, en quête du moindre frémissement de lumière. « Je me concentre sur les intérieurs » finit-il par avouer.
Nous aussi. Nous essayons de ne pas demeurer à la surface du vin, de capter sa vérité intime, changeante (surtout en raison de la variabilité des échantillons, accentuée encore par les conditions atmosphériques). L’après-midi est presque célinienne, à courir d’un château à l’autre, à crapahuter d’un salon feutré à l’autre, à saisir les parapluies que vous tendent de sémillantes hôtesses.
À Lafite, je profite d’un instant de répit pour déguster seul sous l’œil embroussaillé et néanmoins bienveillant de Charles Chevallier. Voici Cos, son petit parking qui ressemble à la place de la Concorde aux heures de pointe. Je suis reçu par Dominique Arangoits, directeur technique. À Montrose, tout se gâte. Il pleut. Dans l’imposant salon se presse une foule hétéroclite, dissipée et bruyante. Un Belge débonnaire déguste la Dame de Montrose 2014 et, gloups, déclare : « C’est tellement bon. J’ai craché à l’envers et j’ai tout avalé ! ». Mais que diable suis-je venu faire dans cette galère ?
Heureusement, il y a Calon-Ségur tout près, le soleil qui revient et ce miracle, le 2014, époustouflant par sa précision et son intensité gustative.
Encore un saut au Château Belgrave où toute l’équipe de Dourthe accueille les dégustateurs dans des conditions idéales et puis ce sera soirée de liesse à Phélan-Ségur qui fête ses 30 ans autour d’un brillant dîner orchestré par Alain Solivérès, le chef du Taillevent, autour des vins de Phélan (1996, 2001 et le 1989 en impériale).
Je sens que l’instant sera magique. Normalement, j’aurais dû être au raout d’Yquem au Grand-Théâtre, mais il y a quelques années déjà j’ai renoncé au don d’ubiquité. Trop compliqué à vivre. Et j’ai choisi Saint-Estèphe.
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