Vendredi 1er avril. Le jour des roses sur le toit
Disparu. Apparu. Le printemps est de retour. Chic ! Le Médoc est toujours désert, à l’image du parking de Mouton. Difficile d’imaginer que des hordes vont déferler ici dès lundi !
La journée commence au château Latour. La table est dressée, nappée d’un bleu céruléen. Autour d’elle ont pris place neuf personnages. Seul celui situé tout à droite, le teint rougeaud, vêtu d’une veste au vert chamarré, nous regarde. Son index semble désigner un des plats au premier plan. Certainement une dinde rôtie. Pourquoi sous la chaise de cette personne un enfant tente-t-il d’attraper une grenouille ? Nous savons tous que c’est impossible. Les autres personnages semblent préoccupés, voire absents. Tel celui face à nous qui, le teint hâve, les deux mains ouvertes en un geste d’oblation, porte une forme de résignation en lui. Personne ne lui prête la moindre attention. A gauche de la table, une jeune fille s’est figée, pieds nus. Elle porte un plateau de fruits. Elle est de dos, mais son visage nous apparaît de profil. Ses jambes sont longues et minces et ses fesses en partie dénudées. De vivant, nous ne voyons qu’elle. Du moins le nacre de sa chair.
Je viens de déguster l’énergique Latour 2015. Au moment de quitter les lieux, je tombe en arrêt devant le tableau décrit ci-dessus. C’est une œuvre de Martial Raysse, réputé comme « l’artiste français vivant le plus cher au monde » : le prix de ses toiles a désormais dépassé celui de Soulages.
Comme dans l’empyrée des grands vins lorsque le prix de sortie du voisin et rival est plus élevé que le vôtre ?
Quel peut être le prix des 18 m2 d’une toile intitulée Le jour des roses sur le toit, fleuron de l’art contemporain désormais exposé dans un des salons de Latour ? Silence. Une autre question ?
Non, poursuivons. A Mouton, ni sainte cène ni mise en scène contemporaine. Rien n’a changé, hormis peut-être le petit jardin à l’entrée. Arasé. Et le Mouton 2015, absolument flamboyant. A Lafite, c’est l’antithèse. C’est un long fil soyeux. Un vin qui préserve son mystère. On retient son souffle. C’est la route qui est la source des rêves. Elle passe devant une allée de saules en larmes.
Au sommet d’une petite côte, voici Zanzibar, ses sultans, ses palais, ses fragrances. Nous sommes à Cos d’Estournel. Le vin déroule sa chair soyeuse et vibrante. On n’a gardé ici que le cœur du terroir, les plus vieilles vignes, pour produire un des Cos les plus fins de ces dernières années.
A Montrose, la directrice de la communication a d’autres chats à fouetter que moi. Je fais donc antichambre. Il ne me reste qu’à admirer l’estuaire entre mer et ciel, piqué d’éclats multicolores, les carrelets, leur bras unique tendu vers un improbable ailleurs. J’ai tout mon temps. « il n’y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser. Il n’y a point d’avantages trop éloignés à qui s’y prépare par la patience. » La Bruyère
Retour sur Pauillac. Une triade étincelante : Pontet Canet, Pichon Baron et Pichon Lalande. Puis Palmer, époustouflant de grâce enjouée et de raffinement. La grâce. C’est la première image qui me vient du millésime. Thomas Duroux, le directeur de Palmer, parle de Steiner, de la biodynamie : on vit la biodynamie selon le modèle agricole, explique-t-il, nous avons sept vaches, 80 brebis, nous allons replanter des arbres, la monoculture est un piège.
C’est au rythme de Daniel Humair, fantastique batteur, et de son quartet que je rallie Saint-Emilion et la rive droite où j’ai rendez-vous avec des amis pour dîner au Logis de Cadenne où le chef Alexandre Baumard concocte de très jolis plats. Arrosés pour la circonstance par l’Insolite 2012 de Thierry Germain et un château Marsau 2009 épanoui, noblement terrine. Histoire de terminer en beauté ce jour des Roses sur le toit.
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